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Irak

L’Achoura, apogée des tensions entre chiites et sunnites

par Frank Weil-Rabaud

Article publié le 18/01/2008 Dernière mise à jour le 23/01/2008 à 11:43 TU

Plusieurs centaines de milliers de pèlerins sont attendus à Kerbala. Ils y célébrent l’Achoura. Cette commémoration, marquée par les flagellations que s’infligent les fidèles, marque le souvenir d’Hussein, petit-fils du prophète Mahomet et véritable héros du monde chiite.

La mosquée d'Hussein à Kerbala, le 18 janvier 2008.(Photo : AFP)

La mosquée d'Hussein à Kerbala, le 18 janvier 2008.
(Photo : AFP)

La bataille de Kerbala, en octobre 680, durant laquelle le petit-fils du Prophète fut tué, constitue incontestablement l’acte le plus symbolique du schisme entre les deux principales tendances de l’islam, les sunnites et les chiites. Mais la cassure s’était déjà amorcée dès la mort de Mahomet en 632. Deux logiques s’affrontent pour désigner le successeur de Mahomet. Les sunnites, qui tirent leur nom du mot sunna qui signifie tradition, affirment que la légitimité va aux compagnons du prophète, présentés comme les premiers convertis à l’islam. C’est donc une tradition d’ordre tribal que les sunnites entendent respecter. Les chiites, littéralement les partisans d’Ali, privilégient la logique familiale en la personne d’Ali qui est tout à la fois le cousin et le gendre du Prophète.

Ce sont finalement les sunnites qui l’emportent et c’est Abou Bakr qui devient ainsi le premier calife de l’histoire de l’islam. Pour les chiites, cette désignation marque encore actuellement la faute originelle qui explique les déchirements au sein de la communauté musulmane. Les partisans d’Ali n’hésitent pas à affirmer que leurs adversaires ont expurgé le Coran des consignes de succession laissées par Mahomet. Ils en veulent pour preuve une anecdote. En mars 632, alors que les deux hommes font une halte entre Médine et la Mecque où le prophète revient pour mourir, Mahomet aurait déclaré « toute personne dont je suis le maître a également Ali pour maître »

Les sunnites ne contestent pas la citation mais refusent d’y voir autre chose qu’un témoignage de confiance et d’amitié exprimé à un proche, et affirment que le Prophète n’a jamais désigné de successeur de son vivant.

Un schisme sanglant

Il faudra attendre 25 ans pour qu’Ali devienne enfin calife. De cette époque, les chiites conservent un ressentiment jamais démenti à l’égard des trois premiers califes considérés comme des usurpateurs. Mais ce quart de siècle d’attente est aussi considéré comme une volonté divine de mettre la patience de ses sujets à l’épreuve.

Le califat d’Ali est loin de mettre un terme aux querelles intestines. Il va au contraire marquer le début de la fitna, la grande discorde. Ali est en effet défié par Muawiya, fondateur de la dynastie des Omeyyades et surtout parent du prédécesseur d’Ali. Muawiyya entend venger l’assassinat du calife Othman. Une bataille est sur le point d’être engagée mais Ali accepte une procédure d’arbitrage pour savoir si Othman méritait d’être assassiné. Cet arbitrage sera défavorable à Ali et Muawiya se proclame à son tour calife. Un an plus tard en 661, Ali est assassiné. Son fils aîné Hassan lui succède brièvement mais il capitule face aux Omeyyades et laisse sa place à son cadet Hussein. Les divisions entre sunnites et chiites sont à leur apogée. La bataille de Kerbala en sera, à l’époque, l’épilogue sanglant. Elle  ne mettra pas pour autant un terme à cette cassure au sein de l’islam. Et l’Irak illustre aujourd’hui à quel point la divergence fondatrice entre les deux courants de l’islam est encore d’actualité

L’Irak, terre d’affrontements entre musulmans

Jusqu’à la chute de Saddam Hussein en 2003, les chiites ont été privés de toute possibilité d’exprimer publiquement leur foi. Le pèlerinage de Kerbala à l’occasion de la commémoration de l’Achoura était ainsi interdit. Autant dire que le renversement du dictateur marque une véritable libération pour les chiites, majoritaires dans le pays. Mais le répit est de courte durée.

La guérilla qui regroupe tout à la fois des baasistes restés fidèles au dictateur déchu et des insurgés venus de l’étranger pour combattre les troupes étrangères considérées comme infidèles ont une haine commune pour les chiites. Il faut dire que les combattants les plus radicaux sont fidèles à la doctrine wahhabite, la plus stricte des divers courants du sunnisme pour qui les chiites sont des hérétiques qui méritent la mort. Plus prosaïquement les fidèles de l’ancien dictateur n’ont toujours pas accepté l’arrivée au  pouvoir des chiites. Le gouvernement multiconfessionnel menace presque quotidiennement d’éclater et les quartiers de Bagdad, la capitale irakienne, où cohabitent sunnites et chiites sont de plus en plus rares. C’est l’illustration poussée à l’extrême d’une dissension théologique née un jour d’octobre il y 1328 ans dans une ville irakienne du nom de Kerbala.

Les explications d'un expert

Mehdi Mozaffari

Professeur de sciences politiques au Danemark et spécialiste du chiisme

« Au delà des rituels tragiques, il y a un sens politique aux commémorations de l'Achoura »

18/01/2008 par Frédérique Misslin