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Pakistan

Affaire Bhutto : le rapport de Scotland Yard divise

par Nicolas Vescovacci

Article publié le 08/02/2008 Dernière mise à jour le 09/02/2008 à 07:51 TU

Les inspecteurs de Scotland Yard ont remis leur rapport sur l'assassinat de Benazir Bhutto au  ministre pakistanais de l'Intérieur.(Photo : Reuters)

Les inspecteurs de Scotland Yard ont remis leur rapport sur l'assassinat de Benazir Bhutto au ministre pakistanais de l'Intérieur.
(Photo : Reuters)

Comment est morte Benazir Bhutto?
Le rapport de la police britannique, publiée ce vendredi 8 février 2008 à Islamabad, ne mettra sûrement pas fin aux polémiques.
Déjà, chacun des camps récupère ou dénonce les conclusions des enquêteurs de Scotland Yard.

Selon les limiers de Scotland Yard, invités au Pakistan par les autorités locales, Benazir Bhutto n'a pas été tuée par balle mais par un choc à la tête dû au souffle de la bombe qui la visait, le 27 décembre dernier. Les enquêteurs britanniques ne nient pas qu'un homme ait tiré à plusieurs reprises sur l'ancienne Premier ministre. Mais le tueur aurait manqué sa cible par trois fois avant de faire sauter sa bombe. Les conclusions de Scotland Yard confortent ainsi la thèse de la fracture du crâne émise dès le lendemain de l'attentat par le gouvernement pakistanais. Deux semaines et demie d'enquête et 70 pages d'un rapport très utile au gouvernement pakistanais.

 

La thèse de Scotland Yard

Abdoul Majid, inspecteur général pakistanais chargé de l'enquête sur l'assassinat de Benazir Bhutto, montre le rapport de Scotland Yard.(Photo : AFP)

Abdoul Majid, inspecteur général pakistanais chargé de l'enquête sur l'assassinat de Benazir Bhutto, montre le rapport de Scotland Yard.
(Photo : AFP)

La mission de la police britannique n’était pas d’identifier les auteurs de l’attentat du 27 décembre dernier mais de faire la lumière sur les circonstances de la mort de Benazir Bhutto. Dans son rapport, Scotland Yard reconnaît ne pas avoir pu examiner la scène du crime. Les enquêteurs n’ont pas pu autopsier le corps de Benazir Bhutto. Bref, ils n’ont pas pu faire leur travail de manière professionnelle. Et pourtant ces experts britanniques sont formels : « les preuves disponibles sont suffisamment probantes, écrivent-ils, pour en tirer des conclusions sérieuses. »

Premier élément : tout indique, selon le rapport, qu'un seul et même suspect est responsable des trois coups de feu et de l'explosion. Le tueur aurait manqué sa cible à trois reprises avant de faire sauter sa bombe.

Deuxième élément : les limiers de Scotland Yard affirment que« la seule blessure apparente [de Benazir Bhutto] est un traumatisme majeur sur le côté droit de la tête dû à un choc.» Ces policiers excluent donc qu'il puisse s'agir de l'orifice d'entrée ou de sortie d'une balle, écartant ainsi l’hypothèse défendue par les partisans du parti du peuple pakistanais, selon laquelle, madame Bhutto est morte d’une balle dans la tête.

Les principaux points du rapport de Scotland Yard

Sur les lieux de l'attentat dans la banlieue d'Islamabad, le 27 décembre 2007.(Photo : AFP)

Sur les lieux de l'attentat dans la banlieue d'Islamabad, le 27 décembre 2007.
(Photo : AFP)

« La priorité de l'équipe de Scotland Yard était d'assister les autorités pakistanaises pour établir les causes et les circonstances de la mort de Mme Bhutto. L'enquête visant à établir des culpabilités reste de la seule compétence des autorités pakistanaises »…

Les radios du crâne de la défunte, les rapports des médecins qui ont tenté de la ramener à la vie, ainsi que les témoignages des membres de la famille qui ont donné le dernier bain au corps de Mme Bhutto, sont considérés comme « des informations importantes » et « fiables ».  

« La seule blessure apparente était un traumatisme majeur sur le côté droit de sa tête. Les experts britanniques ont tous exclu qu'il puisse s'agir de l'orifice d'entrée ou de sortie d'une balle. »…

« La seule raison qui explique que la blessure à la tête a pu être fatale aussi rapidement c'est un choc dû à l'effet de souffle de la bombe. »

« A mon sens, Benazir Bhutto est morte d'une blessure grave à la tête conséquence de l'effet de souffle qui a provoqué un choc de sa tête quelque part contre la trappe » du toit ouvrant. « De même, la gravité de sa blessure exclut qu'elle ait pu se blesser seule en heurtant sa tête par mégarde au moment où elle se baissait pour rentrer dans le véhicule »...

« Des explosifs puissants comme ceux qui composent habituellement ce type de bombe explosent à une vitesse de 6 000 à 9 000 mètres par seconde »...

« D'après les images vidéos (prises au moment du drame), la tête de Mme Bhutto n'avait pas complètement disparu à l'intérieur de la voiture à encore 0,6 seconde de l'explosion (...) la conclusion irréfutable doit être qu'elle n'avait pas eu le temps de passer le niveau de la trappe du toit ouvrant au moment de l'explosion »...

Le reste du rapport est consacré à la confrontation des images vidéos à la position du kamikaze au moment de l'explosion, et les experts britanniques concluent, de manière « inévitable », que le tireur, qui ouvre d'abord le feu sur Benazir Bhutto et manque sa cible selon eux, et le kamikaze « ne font qu'un ».
(source AFP)

Un rapport qui sert des intérêts politiques divergents

Benazir Bhutto, lors de son ultime meeting, le 27 décembre 2007, à Rawalpindi. A ses côtés, Makhdoom Amin Faheem, vice-président de leur parti (PPP).(Photo : AFP)

Benazir Bhutto, lors de son ultime meeting, le 27 décembre 2007, à Rawalpindi. A ses côtés, Makhdoom Amin Faheem, vice-président de leur parti (PPP).
(Photo : AFP)

A dix jours des élections générales, la thèse de Scotland Yard sert à l'évidence les autorités d'Islamabad.

Le gouvernement pakistanais peut désormais très officiellement s'appuyer sur une enquête qu'il qualifie d'indépendante pour réfuter les accusations du Parti du peuple qui  continuent d'affirmer que Benazir Bhutto a été tuée par balle.

Deux conclusions qui servent en fait deux stratégies politiques différentes.

En invitant une équipe d'experts britanniques, les autorités d’Islamabad ont voulu montrer aux Pakistanais - et donc au monde - qu'elles jouaient la carte de la transparence. Or, c'est bien loin d'être le cas ! Les enquêteurs de Scotland Yard n'ont en effet jamais eu accès aux éléments indispensables à une enquête impartiale et minutieuse. C’est la limite de leur travail. Mais leurs conclusions tendent à montrer que le gouvernement pakistanais a dit la vérité. Et ce dès le lendemain de l'attentat. A l’époque, le ministre de l’Intérieur n’avait pas hésité à brandir, devant les caméras de télévision du monde entier la radiographie du crâne de Benazir Bhutto pour appuyer la thèse officielle.

Dans l'autre camp, les héritiers du clan Bhutto utilisent les zones d’ombres de l’enquête pour défendre leur version des faits.

Pour eux, il n’y a aucun doute : leur martyre a bien été tuée par balle, alimentant ainsi la polémique sur les commanditaires de l’assassinat, qu’il faudrait chercher dans les cercles du pouvoir pakistanais. Le parti de Benazir Bhutto avait les moyens d’en faire la preuve en demandant une autopsie du corps. Or cet examen a toujours été refusé par la famille.

En l’absence de faits solides, chaque camp instrumentalise une thèse contre l'autre dans le but de gagner les élections générales du 18 février 2008. L’enjeu est tel que chacun doit marquer son territoire, affirmer ses principes et dénoncer l'adversaire. Les circonstances de la mort de Benazir Bhutto apparaissent alors comme un champ de bataille politique à conquérir avant de remporter la victoire finale, le jour du scrutin.

Reste la question principale à laquelle personne ne peut répondre aujourd’hui : « qui a tué Benazir Bhutto ? »

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