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Russie

Aleksanian : la justice a reculé sous la pression

Article publié le 10/02/2008 Dernière mise à jour le 10/02/2008 à 16:18 TU

L'hospitalisation de l'ancien responsable de Ioukos marque une énième étape dans la saga judiciaire qui oppose le Kremlin aux dirigeants de ce géant industriel né à l'époque de Boris Eltsine et dépecé par les autorités russes en 2003.

Avec notre correspondant à Moscou, Alexandre Billette

Rassemblement, ce 9 février 2008 à Moscou des partisans de Vasily Aleksanian qui tiennent des affiches et un portrait de Mikhail Khodorkovky en grève de la faim. (Photo : AFP)

Rassemblement, ce 9 février 2008 à Moscou des partisans de Vasily Aleksanian qui tiennent des affiches et un portrait de Mikhail Khodorkovky en grève de la faim.
(Photo : AFP)

L'avocate de Vassili Aleksanian l'a confirmé ce week-end, plus de 48 heures après son hospitalisation : son client a bel et bien été transféré, depuis la prison où il croupissait, « dans une clinique hématologique » de Moscou. Maître Elena Lvova n'a toutefois pas pu rencontrer Aleksanian dans l'immédiat, faute d'autorisation.

Il aura fallu plusieurs semaines et des pressions croissantes, notamment venant de l'étranger, pour que Moscou se résolve à transférer l'ancien vice-président du groupe pétrolier Ioukos, malgré les sérieux problèmes de santé dont souffre Aleksanian. L'ancien homme d'affaires souffre d'un cancer, du sida et, aveugle d'un oeil de naissance, il perd graduellement la vue du second. Il aurait également contracté la tuberculose en détention.

Cette saga judiciaire – ou l'acharnement du Kremlin contre les responsables de Ioukos, selon plusieurs – a débuté avec l'arrestation en 2003 de son principal dirigeant, Mikhaïl Khodorkovski, qui purge une peine de huit ans de prison dans un camp pénitentiaire en Sibérie orientale, dans la région de Tchita.

Mikhaïl Khodorkovski fait partie des oligarques qui ont profité de la perestroïka et de l'effondrement de l'Union soviétique pour se lancer en affaires. Soutenu par le président de l'époque, Boris Eltsine, Khodorkovski fera l'acquisition en 1995 de l'entreprise pétrolière Ioukos, tout juste privatisée, en compagnie d'autres investisseurs. En quelques années, Ioukos est devenu l'un des fleurons de l'industrie russe durant cette période de far-west du libéralisme russe, dans les années 90. Mais l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000 marque le début du retour du contrôle de l'Etat dans les affaires juteuses de l'industrie nationale. Froissés avec le nouveau pouvoir, certains oligarques prendront le chemin de l'exil, d'autres accepteront les nouvelles règles du jeu. Mikhaïl Khodorkovski, lui, a voulu poursuivre ses activités en Russie, mettant même un pied dans le monde politique, avec la création de son ONG « Otkrytkaya Rossiya » (Russie ouverte).

Pour l'« exemple »

C'en était visiblement trop pour le Kremlin, qui fera de la lutte contre les dirigeants de Ioukos son principal combat contre les oligarques rétifs, un « exemple » pour ceux qui voudraient poursuivre le bon vieux temps du libéralisme eltsinien : le Kremlin est de retour aux affaires.

Platon Lebedev, un partenaire de Khodorkovski, sera le premier arrêté durant l'été 2003, suivi de Khodorkovski lui-même, à l'automne 2003, pour fraude et évasion fiscales. Le Kremlin a alors entrepris de remettre la main sur les actifs les plus rentables de Ioukos, notamment Iouganskneftegaz, qui sera racheté par des proches du Kremlin par le biais d'une compagnie écran créée quelques jours avant la vente de Iouganskneftegaz. Quand au holding Ioukos, qui était toujours en activité, il procédera à plusieurs investissements dans des entreprises étrangères afin de se soustraire au droit russe, avant d'être déclaré en faillite par un tribunal américain et liquidé en 2006.

Vassili Aleksanian fait partie des derniers dirigeants à avoir quitté le navire... bien involontairement. Nommé vice-président exécutif en avril 2006, il sera arrêté à son tour quelques jours plus tard pour évasion fiscale. Âgé de 35 ans, diplômé de Harvard, il dirigeait le département juridique de Ioukos depuis 1996.

Suite à son arrestation, sa santé s'est détériorée au point d'émouvoir un nombre croissant de défenseurs des droits de l'homme, exigeant de Moscou l'interruption de son procès et son hospitalisation dans une institution spécialisée. En novembre 2007, la Cour européenne des droits de l'homme, saisie de l'affaire, demande à la justice russe de placer le prisonnier en hospitalisation : son cancer du foie exige une chimiothérapie et ses mauvaises conditions de détention seraient responsable de sa tuberculose.

Hospitalisation contre témoignage

L'affaire prend de l'ampleur début 2008. Le 16 janvier, Aleksanian affirme dans une lettre ouverte que la direction pénitentiaire exerce un « chantage aux soins », lui promettant une hospitalisation en échange de témoignage à charge de sa part à l'encontre d'autres dirigeants de Ioukos. Le 30 janvier, Mikhaïl Khodorkovski entame dans sa lointaine prison sibérienne une grève de la faim jusqu'à ce que son ancien partenaire soit hospitalisé. Quelques jours plus tard, 17 personnalités proches de l'opposition, dont Garry Kasparov et Vladimir Boukovski, demandent publiquement l'hospitalisation du prisonnier, tandis que des mouvements de soutien voient le jour en Russie mais également à l'étranger : le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, avait notamment fait part de ses « inquiétudes » auprès de son collègue russe, et des manifestations étaient prévues dans toute l'Europe, dont Paris, ce mercredi 13 février, pour exiger l'hospitalisation de Vassili Aleksanian.

Ce ne sera visiblement pas nécessaire : après avoir refusé une énième fois le transfert du prisonnier en début de semaine, la justice russe a annoncé mercredi dernier l'interruption de son procès pour « raisons de santé », sans toutefois accepter son hospitalisation. Ce sera chose faite le lendemain, jeudi 7 février, un transfert confirmé ce samedi par l'avocate du détenu.

Pourquoi la justice russe a-t-elle fait volte-face ? Il est vrai que l'hospitalisation de Vassili Aleksanian commençait à virer au scandale, et la mobilisation de l'opposition russe et internationale a pris une ampleur de plus en plus gênante pour le Kremlin, alors que la Russie est en pleine campagne électorale pour le scrutin-plébiscite du 2 mars prochain, qui devrait officialiser la nomination de Dmitri Medvedev.

Quant à Mikhaïl Khodorkovski, il était toujours ce dimanche en grève de la faim : son avocat est pour le moment incapable de l'informer de l'hospitalisation de son ancien partenaire. Les autorités pénitentiaires ne semblent pas empressées de le prévenir : « Lorsqu'il arrêtera sa grève de la faim, nous vous préviendrons », a lancé laconiquement le directeur de la prison sibérienne...