par MFI
Article publié le 17/02/2008 Dernière mise à jour le 17/02/2008 à 23:12 TU
Les élections législatives ont lieu lundi 18 février au Pakistan. L’opposition va à la bataille en ordre dispersé, ce qui pourrait profiter au président Pervez Musharraf, pourtant peu populaire. Ce scrutin se déroule sur fond de violence politique, alors que les mouvements islamistes ont une influence croissante dans le pays. La population, elle, souhaite le retour de la démocratie et plus de justice sociale. La menace de nouvelles violences est forte après les multiples attentats qui ont ensanglanté la campagne, comme celui qui a fait 47 morts samedi dernier dans les zones tribales du pays.
Les élections législatives ont lieu lundi 18 février au Pakistan. L’opposition va à la bataille en ordre dispersé, ce qui pourrait profiter au président Pervez Musharraf, pourtant peu populaire. Ce scrutin se déroule sur fond de violence politique, alors que les mouvements islamistes ont une influence croissante dans le pays. La population, elle, souhaite le retour de la démocratie et plus de justice sociale.
« Je promets à tous les partis politiques que les élections seront justes, équitables et transparentes. Je les exhorte à participer au scrutin dans l'intérêt suprême de la Nation ». C’est en ces termes que le général Pervez Musharraf, le chef de l’Etat pakistanais, a annoncé début janvier le report des élections législatives – initialement prévues le 8 janvier – au 18 février. Un report justifié par les émeutes (58 morts) qui ont suivi l’assassinat, le 27 décembre, de Benazir Bhutto, et par les 40 jours de Moharram, le deuil chiite. Les partis d’opposition ont vu dans ce report une manœuvre du pouvoir pour truquer le scrutin. Le Parti du peuple pakistanais (PPP), la formation de Benazir Bhutto, espérait profiter du capital de sympathie créé par la mort de sa dirigeante pour s’imposer comme la première force politique du pays. Un cadeau que ne souhaitait pas lui faire Pervez Musharraf.
Intrigues politiciennes
L’ex-Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif est rentré au pays le 25 novembre 2007 après 7 ans d’exil en Arabie Saoudite.
(Photo : Reuters)
Malgré leurs craintes, tous les partis participeront à ces élections législatives. Outre le PPP, l’opposition sera représentée par la Ligue musulmane (PML-N) de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, récemment rentré au pays après sept ans d’exil, et par le MMA (Muttahida Majlis-e-Amal), une coalition de six partis religieux conservateurs. Les fidèles du général Musharraf se regroupent, eux, autour d’une autre branche de la Ligue musulmane, le PML-Q. Arrivé au pouvoir suite à un coup d’Etat sans effusion de sang en octobre 1999, Pervez Musharraf sait sa popularité en chute libre, et son parti miné par des luttes de clans. Les analystes à Islamabad estiment que, sans manipulation des urnes, le chef de l’Etat ne pourra pas obtenir la majorité des deux tiers dont il a besoin pour gouverner.
Le 27 novembre dernier, il a pourtant renoncé à son poste de chef d’Etat-major des Armées afin de faire taire ceux qui lui reprochaient de concentrer tous les pouvoirs, civils et militaires. Une initiative bien tardive. De même, le discours selon lequel lui seul est à même de protéger le pays du terrorisme et du fondamentalisme ne convainc plus guère. « Je vous promets après les élections un gouvernement démocratique et constitutionnel », a lancé Pervez Musharraf à la télévision. Une affirmation trop souvent entendue depuis 1999.
Pour se maintenir au pouvoir, Pervez Musharraf compte sur la division de l’opposition qui va à la bataille en ordre dispersé. Les discussions entre le PPP et le PML-N ont échoué, et le premier compte toujours sur le prestige et l’émotion associés au nom des Bhutto pour séduire les électeurs. Si aucun parti n’obtient la majorité absolue, le goût du pouvoir pourrait favoriser une alliance entre une formation d’opposition et celle du général-président. Des intrigues d’appareils qui découragent les Pakistanais, mais qui caractérisent la vie politique nationale depuis des décennies. « Les politiciens sont tous issus de milieux privilégiés. Ils trouvent toujours des accords entre eux, au mépris des intérêts de la population », se lamentait, dans le quotidien Le Monde, un étudiant de Lahore. Pervez Musharraf triompherait alors : une victoire électorale malgré la participation de tous les partis politiques. Sa légitimité serait totale.
Les islamistes en embuscade
Le chef de l’Etat bénéficie aussi du soutien de l’Armée dont il est un pur produit, et sans qui rien n’est possible au « Pays des purs ». L’Armée a directement dirigé le Pakistan près de trente ans – sur ses 60 ans d’existence – et indirectement le reste du temps. Seule institution stable et organisée dans un pays en pleine tourmente, la « grande muette » absorbe 40 % du budget national, et ses intérêts économiques se chiffrent en milliards de dollars.
Etudiants récitant le Coran dans la madrasa Muridke de Lahore (Pakistan).
(Photo: Véronique de Viguerie)
Les intrigues politiciennes, l’impopularité de Pervez Musharraf, proche des Etats-Unis, et les difficultés économiques et sociales du Pakistan pourraient favoriser le MMA. Historiquement, les partis religieux n’ont jamais connu de bons résultats électoraux au Pakistan, même si l’islam y est religion d’Etat. Majoritairement sunnites d’inspiration soufie, les Pakistanais ne goûtent guère l’extrémisme. Mais, comme le souligne le politologue Amal Durrani, de l’université d’Islamabad : « Les Pakistanais ne votent pas pour les partis religieux par idéologie, mais parce qu’ils ne croient plus dans les partis traditionnels corrompus. Ils ont tout essayé, sans succès. Alors pourquoi pas les imams ? De même envoient-ils leurs enfants dans les madrassas non par choix, mais parce qu’on y offre le vivre et le couvert et qu’il n’y a pas d’écoles publiques dans des milliers de villages ». Ajoutez à cela l’influence des talibans voisins et le fort sentiment anti-américain, et vous comprendrez pourquoi, aux élections législatives d’octobre 2002 déjà, le Muttahida Majlis-e-Amal a remporté 20 % des sièges. Il dirige désormais deux des cinq provinces du pays, et pourrait réitérer sa performance lors de ce scrutin législatif. Pervez Musharraf ne s’y est pas trompé, dont la formation, le PML-Q, est alliée avec le MMA au Parlement. Une alliance de la carpe et du lapin tant l’homme, ami de George Bush, ne fait pas mystère de son aversion pour les intégristes. Mais il se sait aussi isolé politiquement alors que le MMA a souvent l’oreille de l’opinion.
Un climat de violence
Des milliers de partisans de Benazir Bhutto sont venus assister aux obsèques prévues dans la journée au fief familial, dans la province méridionale du Sindh, près de la ville de Larkana.
(Photo : Reuters)
Ces élections législatives se déroulent dans un climat de tension extrême. Les dix jours de prise d’otages à la mosquée Rouge – la plus ancienne mosquée d’Islamabad – en juillet 2007 ont mis en évidence la détermination croissante des mouvements islamistes, dans un pays qui détient l’arme atomique. Les zones tribales, le long de la frontière afghane, échappent aux contrôles des autorités, et ceux que l’on surnomme les « talibans pakistanais » font régner leur loi dans un nombre croissant d’agglomérations. Depuis 2003, plus d’un millier de soldats pakistanais ont été tués lors d’affrontements avec des groupes extrémistes. L’assassinat de Benazir Bhutto, les fréquents heurts inter-communautaires témoignent aussi du climat de violence qui règne au Pakistan. L’attentat à la bombe qui a fait au moins 20 morts lors d’un meeting de l’Awami National Party, une petite formation régionale, samedi 9 février, a encore ajouté à la psychose.
La population est lasse enfin des atteintes répétées à la démocratie. Lorsqu’il s’est emparé du pouvoir par un coup d’Etat le 12 octobre 1999, Pervez Musharraf avait promis qu’il n’était là que pour remettre de l’ordre dans un pays rongé par la corruption et le népotisme et qu’il rendrait le pouvoir aux civils dans un an. Les Pakistanais dans leur majorité lui avaient alors apporté leur soutien. Huit ans après, le général-président est toujours en poste et ne donne aucun signe de vouloir quitter les affaires. Certes, depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis défendent un homme qui s’est engagé à leurs côtés dans la lutte contre le terrorisme. Mais avait-il bien le choix ? Le très modéré Talat Masood, ancien secrétaire d’Etat à la Défense, estime que « la manière dont Pervez Musharraf conduit les affaires de l'État montre qu'il n'est intéressé que par la perpétuation de son pouvoir ». Le dernier exemple en date est la lutte qu’a menée le chef de l’Etat contre un pouvoir judiciaire trop indépendant à son goût. Lutte qu’il a cependant perdue : après avoir limogé le président de la Cour suprême, il a dû le réinstaller dans ses fonctions sous la pression de la rue.
La révolte de la société civile
La société civile s’exprime en effet de plus en plus ouvertement contre Pervez Musharraf. « Nous ne referons pas les erreurs de nos aînés qui ne sont pas descendus dans la rue quand il le fallait. Nous nous battrons contre le règne de l’arbitraire, l’impunité des responsables, le règne de l’armée en politique, la confiscation du pouvoir par un petit nombre. Nous souhaitons la démocratie, le respect des lois, la justice sociale et la suprématie de la Constitution », déclarait au Monde un étudiant, lors d’une manifestation contre Pervez Musharraf à Lahore. « Ces manifestants sont issus des classes aisées. Mais leurs revendications transcendent les classiques divisions ethniques, religieuses, politiques de la société pakistanaise. Ils représentent le sentiment majoritaire. Le problème est de savoir par qui remplacer Pervez Musharraf », défend Ijaz Shafi Gilani, le président de l’institut de sondage Gallup Pakistan. Hélas, ces manifestants pour la démocratie ne trouvent guère de relais dans les partis politiques et manquent d’un réel leadership.
La seule bonne nouvelle au Pakistan est le dynamisme retrouvé de l’économie. Depuis l’adoption d’une politique libérale par Pervez Musharraf, le taux de croissance est de 7 % par an. Les investissements étrangers ont doublé pour représenter 7 milliards de dollars en 2007. Onze millions d’emplois ont été créés ces cinq dernières années, et le pays est faiblement endetté. Les indicateurs sociaux (éducation, santé…) par contre restent médiocres, et les inégalités abyssales. Les résultats économiques ne suffiront certainement pas à restaurer la popularité déclinante du président Pervez Musharraf.
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