Article publié le 23/02/2008 Dernière mise à jour le 23/02/2008 à 07:37 TU

Des Serbes de Bosnie brûlant le drapeau américain au cours d'une manifestation à Banja Luka le 21 février.
(Photo : Reuters)
Avec notre envoyé spécial à Sarajevo, Jean-Arnault Dérens
Les manifestations ont dégénéré jeudi à Banja Luka, la capitale de la Republika Srpska : 14 policiers ont été blessés, 27 personnes arrêtées, et le consulat américain a décidé de fermer ses portes jusqu’à nouvel ordre, en écho aux violences de Belgrade. « Si la fille de mon frère meurt, c’est normal que je manifeste ma solidarité », explique le diplomate Slobodan Soja, ancien directeur de cabinet du Premier ministre de Bosnie-Herzégovine, le Serbe Nikola Spiric. Selon lui, il ne s’agit que d’une réaction « émotive » des Serbes de Bosnie, qui devrait vite se calmer.
Le tout puissant Premier ministre de la Republika Srpska, Milorad Dodik, s’est exprimé jeudi soir au grand meeting de Belgrade contre l’indépendance du Kosovo. Quelques heures plus tard, il était de retour à Banja Luka pour une séance spéciale et nocturne du Parlement de l’entité, qui a adopté une résolution musclée. Sans surprise, la Republika Srpska ne reconnaîtra « jamais » l’indépendance du Kosovo, et elle somme les autorités centrales de Bosnie d’agir de même. Cette résolution reparle également d’un possible référendum d’autodétermination de la RS, qui entraînerait l’éclatement de la Bosnie.
Depuis 18 mois, le débat politique en Bosnie-Herzégovine ne cesse de se durcir. Milorad Dodik, dont le Parti des sociaux-démocrates indépendants (SNSD) contrôle tous les leviers du pouvoir en Republika Srpska et qui est même devenu la principale force politique à l’échelle du pays, agite régulièrement la menace d’un référendum.
Pour les Serbes de Bosnie, l’indépendance du Kosovo représente un précédent juridique justifiant leurs propres aspirations à la sécession. Ils rappellent que ni le Kosovo ni la Republika n’avaient le statut de Républiques fédérées de l’ancienne Yougoslavie. L’indépendance du Kosovo rompt donc les principes définis à l’automne 1991 par la commission présidée par Robert Badinter, principes qui ne reconnaissaient le droit à la sécession qu’aux Républiques de la Fédération. Pour eux, les Serbes de Bosnie, cette indépendance remet en cause le principe de l’intangibilité des frontières, longtemps défendu par la communauté internationale. Cependant, les dirigeants de la Republika Srpska proposent une sorte de marché : si la Bosnie ne reconnaît pas le Kosovo, ils ne réclameront pas immédiatement leur sécession.
Les Serbes de Sarajevo ont tout à gagner
Ce marché peut convenir aux dirigeants bosniaques et croates, au moins dans l’immédiat. Il a déjà été admis que la question d’une éventuelle reconnaissance de l’indépendance du Kosovo ne serait pas évoquée devant la présidence collégiale du pays. Le membre croate de la présidence, le social-démocrate Zeljko Komsic, a déjà écarté formellement l’idée d’une reconnaissance du Kosovo par la Bosnie.
Cependant, les Serbes ont tout à gagner, comme le souligne Srdjan Dizdarevic, le dirigeant du Comité Helsinki de Sarajevo : ils pourront toujours utiliser la menace de sécession pour défendre leurs positions sur les dossiers sensibles du moment, notamment la réforme controversée de la police.
A Sarajevo, l’indépendance du Kosovo suscite des réactions très mitigées, même si les milieux nationalistes bosniaques et les cercles musulmans rappellent les « longues souffrances » endurées par les « frères albanais ». Jeudi, l’un des intellectuels bosniaques les plus respectés du pays, Muhamed Filipovic, a publié une tribune dans les Nezavisne Novine, un quotidien serbe de Banja Luka, condamnant en termes vifs la proclamation d’indépendance du Kosovo. À l’image de Haris, étudiant en sciences politiques à Sarajevo, la plupart des Bosniaques craignent aujourd’hui « le risque d’une nouvelle crise régionale qui pourrait emporter le pays ».
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