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Etats-Unis

L'amiral Fallon, une démission qui fait des vagues

par Stefanie Schüler

Article publié le 12/03/2008 Dernière mise à jour le 12/03/2008 à 17:34 TU

L’annonce, mardi, de la démission de l’un des hommes les plus puissants de l’armée américaine a déclenché des réactions en chaîne dans le monde politique à Washington. Notamment une mise au point de la Maison Blanche concernant sa politique vis-à-vis de l’Iran. Beaucoup de question se posent aussi quant aux raisons de la démission de William Fallon : est-il parti de son plein gré, comme l’affirme le ministre américain de la Défense, Robert Gates ? Ou a-t-on montré la porte à l’amiral après la parution d’articles dans la presse faisant état de ses profondes divergences avec l’administration Bush ?

William Fallon (à gauche) et George Bush, le 1er mai 2007.(Photo : AFP)

William Fallon (à gauche) et George Bush, le 1er mai 2007.
(Photo : AFP)

Le communiqué, par lequel l’amiral William Fallon annonce sa démission, est sobre : « De récents articles de presse donnant à penser qu’il existe un hiatus entre mes opinions et les objectifs de la politique du président ont eu un effet de distraction à un moment critique et ont gêné les efforts dans la région placée sous la juridiction du Centcom. Et bien que je ne crois pas qu’il y ait jamais eu une quelconque divergence sur les objectifs de notre politique au sein du Centcom, la simple perception de semblables divergences fait qu’il est difficile pour moi de continuer à servir efficacement les intérêts de l’Amérique à ce poste ».

« Un homme entre guerre et paix »

La revue Esquire a publié il y a quelques jours un long article intitulé « Un homme entre guerre et paix ». Dans cette enquête, le journaliste Thomas Barnett dresse le portrait de l’amiral William Fallon qu’il avait rencontré à maintes reprises pendant ces recherches. Et il apparaît très clairement au lecteur que le commandant du Centcom n’est pas en accord avec la politique menée par le président Bush au Proche et Moyen-Orient, notamment vis-à-vis de l’Iran : « Les roulements de tambour constants n’aident pas et sont inutiles », dit par exemple l’amiral Fallon dans l’article d’Esquire, estimant « qu’il n’y aura pas de guerre » avec l’Iran et c’est « à cela que je travaille ».

Depuis la publication de cet article, rien ne va plus dans les hautes sphères de l’armée américaine. « Les militaires ont de nombreuses possibilités de débattre la politique de l’administration derrière des portes fermées. Mais divulguer de tels arguments sur la place publique en passant par les médias est une violation des règles fixées entre le gouvernement et l’armée », explique Peter D. Feaver, un ancien membre du Conseil de sécurité nationale de George W. Bush. « Selon différents officiers, on a donc fait comprendre à Fallon que personne ne s’opposerait à sa démission », rapporte ce mercredi le Washington Post.   

Le commandant du Centcom quitte son poste

L’amiral William Fallon est l’un des derniers vétérans de la guerre du Vietnam dans l’armée américaine. Avec sa démission, il prend donc sa retraite, après 42 ans de service. Depuis mars 2007, il occupait l’un des postes les plus importants de l’armée américaine : il commandait le Centcom (Commandement central américain), qui supervise les opérations militaires des Etats-Unis dans tout le Proche et Moyen-Orient et en Asie centrale. Dans ce cadre il est aussi responsable des opérations militaires des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan.   

La démission de William Fallon a provoqué de nombreuses réactions dans les rangs politiques à Washington. D’une part, il est très rare qu’un haut commandant quitte son poste en temps de guerre. D’autre part, le départ de l’amiral au discours modéré qui privilégie la diplomatie au conflit armé a suscité des inquiétudes. Aux Etats-Unis certains se demandent déjà si cette démission laisse le champ libre aux adhérents d’une ligne militaire dure, notamment vis-à-vis de Téhéran.

Dans une conférence de presse surprise, mardi à Washington, le secrétaire d’Etat à la Défense, Robert Gates, avait beau qualifier cette hypothèse de « ridicule », les rumeurs allaient tout de même bon train. Par la voix de sa porte-parole, Dana Perino, la Maison Blanche s’est vue obligée de procéder à une mise au point sur le sujet : « Il n'y a personne dans cette administration qui suggère autre chose qu'une approche diplomatique sur l'Iran ».

Côté démocrate, on n’a pas hésité à sauter sur cette occasion en pleine campagne électorale, pour fustiger une fois de plus les méthodes de l’équipe Bush. « Voilà un nouvel exemple du fait que l’indépendance et la franchise ne sont pas bienvenues dans cette administration », a déclaré Harry Reid, chef de la majorité démocrate au Sénat. « L’amiral Fallon représentait la voix de la raison au sein d’une administration qui a utilisé une rhétorique provocatrice vis-à-vis de l’Iran », a estimé de son côté Hillary Clinton. La candidate à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle a par ailleurs exigé que la commission des forces armées du Sénat organise une audition sur les circonstances du départ de William Fallon.

« Retour à la primauté de l’armée de terre »

Pourtant, d’après certains stratèges militaires, les divergences concernant la politique vis-à-vis de l’Iran ne seraient pas la véritable raison de la démission de l’amiral. « Depuis un an, depuis le temps donc qu’il (William Fallon, ndlr) est à la tête du Centcom, la situation s’est considérablement aggravée en Afghanistan et au Pakistan. Une impasse militaire en Afghanistan et une impasse politique au Pakistan », estime le colonel Jean-Louis Dufour, analyste militaire français. « Donc il a pu paraître à l’administration Bush que cet amiral n’a pas donné satisfaction ».  

Cette dégradation au Pakistan et en Afghanistan coïncide probablement avec un autre facteur : les experts militaires s’accordent pour constater qu’il existe actuellement au niveau mondial une tendance à un retour à la primauté de l’armée de terre. Or, William Fallon est un amiral, donc membre de la marine. « William Fallon a des gens qui poussent derrière lui pour le remplacer et qui sont des ‘terriens’ », analyse le colonel Dufour.

Les médias américains font état ce mercredi d’un probable successeur à la tête du Centcom : le général David Petraeus, plus haut gradé américain en Irak. Ces derniers mois, Petraeus et son supérieur Fallon n’ont que rarement été d’accord sur la stratégie des Etats-Unis en Irak. L’amiral Fallon s’est engagé contre l’envoi d’environ 30 000 soldats supplémentaires en 2007, des troupes qui selon lui seraient nécessaires pour faire face à d’autres menaces dans la région.

Mais la stratégie de David Petraeus de renforcer la présence américaine en Irak a tout le soutien de la Maison Blanche et le général a depuis forgé une relation de très grande proximité avec le président Bush. Un avis partagé par le colonel Dufour : « Le général Petraeus, qui s’est illustré en Irak, est à la fin de son séjour dans ce pays. On doit lui donner un nouveau poste et il conviendrait certainement très bien au poste de Fallon ».