Article publié le 01/04/2008 Dernière mise à jour le 01/04/2008 à 20:11 TU
De notre correspondant à Kiev, Camille Magnard
En venant à Kiev au moment où la candidature de l'Ukraine au MAP (le plan d'action pour l'accession, la dernière étape en vue d'une adhésion à l'Otan) crée un vif débat parmi les pays membres, George Bush voulait donner du poids au soutien que les Etats-Unis apportent à l'Ukraine. Un message clair envoyé aux pays d'Europe de l'Ouest qui, dans le sillage de la Russie, s'inquiètent d'un nouvel élargissement de l'Otan avec une ex-République soviétique toujours considérée par Moscou comme faisant partie de son pré-carré. Mais c'est aussi un signal fort adressé aux leaders de l'Ukraine orange, Viktor Iouchenko et Ioulia Timochenko en tête, qui sont à la manœuvre, depuis janvier, pour le grand virage euro-atlantiste accéléré de leur pays.
L'Ukraine, en décembre 2004, au cours de la Révolution orange, a réaffirmé sa volonté de prendre ses distances avec son tuteur historique, la Russie. En s'éloignant de Moscou, Kiev s'est également privé d'un système de défense qui la protégeait, elle qui a choisi de ne pas conserver l'arme nucléaire présente sur son territoire à la chute de l'URSS. Pour les nouveaux dirigeants ukrainiens, il est donc urgent de trouver un nouveau « parapluie militaire ». Mais l'Europe tarde à accueillir Kiev au sein de l'Union et de la politique européenne de défense. C'est donc vers l'Otan et les Etats-Unis que se tourne Viktor Iouchenko.
Car Moscou l'a bien fait comprendre, il n'y a pas de salut pour les ex-Républiques soviétiques hors de son giron. Après avoir vu lui échapper déjà 10 pays de l'ancien bloc de l'Est, qui ont rejoint l'Otan, la Russie entend défendre bec et ongle ce qui lui reste d'ascendant sur l'Ukraine et la Géorgie. « Cela me serait douloureux d'être obligé de pointer mes missiles nucléaires sur l'Ukraine si une base militaire de l'Otan devait s'y installer », déclarait Vladimir Poutine devant son homologue ukrainien, en février dernier. Le message était clair: une adhésion à l'Otan signifierait que l'Ukraine est passée dans l'autre camp, et qu'elle devient donc un ennemi. La rhétorique de la guerre froide n'est pas loin...
Dans l'opinion publique ukrainienne également, la question d'une éventuelle adhésion à l'Otan fait resurgir des antagonismes profonds. Les sondages publiés sur la question donnent une opinion publique majoritairement opposée à l'Otan, mais chez les indécis, c'est l'indifférence mâtinée d'une méfiance vis-à-vis des Etats-Unis qui semble dominer.
Les partis politiques les plus virulents contre les aspirations atlantistes de leurs dirigeants sont les courants pro-russes, et la géographie de la contestation anti-Otan recoupe le partage de la population entre régions russophones, à l'est et au sud du pays, et ukrainophones, à l'ouest. « Notre pays est historiquement allié à la Russie, s'emportait Olexandr Bondarchuk, l'un des leaders communistes présents au cœur d'une manifestation anti-Otan mardi à Kiev. Nous ne voulons pas que l'Ukraine devienne un terrain de rivalité entre deux blocs ».
Un penchant pour la Russie, ou pour l'Ouest
Car étonnamment, les courants pro-russes se font les garants d'une certaine « neutralité » ukrainienne. « Quand elle a voté l'Indépendance, l'Ukraine a aussi voté pour garantir sa souveraineté en dehors de tout bloc », professe Vladimir Morchienko, ancien député du Parti social progressiste, près des tentes installées sur la place de l'Indépendance. Très virulents contre la menace d'un alignement atlantiste, les militants anti-Otan préfèrent s'en remettre au soutien du grand frère russe. Un peu plus loin dans le cortège, Igor, une casquette aux couleurs du Dombass, la région russophone de l'Est de l'Ukraine, vissée sur la tête, voit même l'avenir de son pays dans une confédération regroupant la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine.
Derrière la question de l'entrée dans l'Otan, ce sont donc bien deux visions de l'avenir politique ukrainien qui sont renvoyées dos à dos. Certains y voient la menace d'une scission interne de la société ukrainienne, symbolisé par le fameux clivage entre russophones et ukrainophones et la question épineuse de la Crimée, région autonome d'Ukraine qui reste très profondément attachée à la Russie. Autant de braises sur lesquelles Moscou pourrait bien souffler en cas de vraie discorde avec Kiev, pour prouver qu'il en va bien, comme elle le répète à ses partenaires et alliés européens, de la stabilité de toute une région.
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