Article publié le 11/04/2008 Dernière mise à jour le 11/04/2008 à 06:10 TU
Dans la province de Pattani, en Thaïlande, la plupart des pêcheurs sont des immigrés birmans.
(Photo : AFP)
De notre correspondante à Bangkok, Marie Normand
54 Birmans sont morts asphyxiés, jeudi 10 avril, alors qu’ils tentaient de rejoindre clandestinement l’île touristique de Phuket, dans le sud du royaume, pour y trouver un emploi saisonnier. Ce n’est que le dernier en date d’une longue série de faits divers, dont la presse thaïlandaise se fait régulièrement l’écho. En décembre déjà, les corps de 22 Birmans candidats à l’immigration clandestine avaient été retrouvés en mer d’Andaman, au large des côtes thaïlandaises. Nombreux sont ceux qui risquent ainsi leur vie pour quitter la Birmanie - où un foyer sur quatre vit sous le seuil de pauvreté - pour gagner la Malaisie, la Chine ou la Thaïlande et y trouver un emploi mieux rémunéré. Min Zin, un journaliste birman du magazine Irrawaddy, basé en Thaïlande, a même déclaré que les travailleurs migrants étaient « sûrement la plus grande exportation birmane derrière le trafic de drogue. »
D’après les organisations des droits de l’homme, ils seraient ainsi plus d’un million et demi de « réfugiés économiques » en Thaïlande et seul le quart d’entre eux officierait légalement. On est bien loin des 540 000 travailleurs immigrés concédés par le ministère du Travail thaïlandais. Ces migrants, avec ou sans papiers, occupent en général des emplois sous-payés dans des usines, des fermes, des chantiers de construction ou des chantiers navals. Ils officient aussi dans le textile: une grande partie des vêtements étiquetés « Made in Thaïlande » qui atterrissent dans les placards occidentaux sont en réalité conçus par des ouvriers birmans. « Ces migrants contribuent pleinement à la richesse nationale. Ils occupent les postes que les Thaïlandais rechignent à accepter, des emplois qui supposent de longues journées de travail et souvent des heures supplémentaires forcées », explique Moe Swe, le secrétaire général de Yaung Chi Oo Workers Association, une association birmane qui aide à leur intégration dans le nord du royaume.
Pour des papiers, passez à la caisse
Même si la Thaïlande profite de cette force de travail abondante et bon marché, il n’est pas facile pour ces migrants de travailler légalement. Ils doivent débourser quelque 4 450 bahts (l’équivalent de 95 euros) par an pour s’enregistrer. La moitié est à la charge du patron, l’autre revient à l’employé, du moins en théorie.
La plupart des employeurs ne passent en effet jamais à la caisse. Pour l’immigré birman, assumer seul une telle somme nécessite de travailler pendant plusieurs mois avant de pouvoir s’offrir le précieux sésame. Alors beaucoup préfèrent vivre dans l’illégalité, quitte à payer une amende de temps en temps. Bien que depuis 2004, le gouvernement thaïlandais gère la pénurie de main-d’œuvre en établissant une série de processus d’enregistrement pour les travailleurs migrants, la plupart d’entre eux vivent toujours dans la clandestinité.
Opprimés des deux côtés de la frontière
Sans papiers signifie également sans droits. « Les clandestins sont vulnérables et exposés à l’exploitation de leur employeur et au harcèlement de la police », note Boonthan Verawongse, directeur d’Amnesty International Thaïlande. Au-delà des risques quotidiens d’arrestation et de reconduction à la frontière, différentes ONG rapportent les brimades, les rackets voire les viols, dont sont régulièrement victimes les travailleurs clandestins. « Le problème, c’est que la Thaïlande n’a pas ratifié la convention de l'ONU sur les droits des travailleurs migrants et les droits de leur famille, rentrée en vigueur en 2003, regrette Boonthan Verawongse. Ce n’est pas digne d’un pays qui accueille tant de main d’œuvre immigrée. »
Pour le secrétaire général de Yaung Chi Oo Workers Association, les torts sont partagés, des deux côtés de la frontière : « D’un côté nous avons la Birmanie qui ferme les yeux. De tels drames, comme celui des 54 morts de Ranong, auraient pu être évités si le gouvernement birman aidait ses ressortissants à venir travailler légalement en Thaïlande. De l’autre côté de la frontière, avec la corruption des autorités locales et l’implication de la police dans le trafic d’êtres humains, on voit mal comment la situation de ces travailleurs birmans pourrait s’arranger. »A lire