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Kosovo / TPIY

Les mémoires de Carla Del Ponte font scandale

Article publié le 14/04/2008 Dernière mise à jour le 14/04/2008 à 23:06 TU

Les mémoires de Carla Del Ponte, récemment publiées en Italie, font scandale. L’ancien procureur général du TPIY révèle notamment l’existence d’un trafic d’organes de Serbes du Kosovo kidnappés par l’UCK. Le gouvernement suisse a interdit à Carla Del Ponte, désormais ambassadeur en Argentine, de faire la promotion de son ouvrage.

De notre correspondant à Belgrade, Jean-Arnault Dérens

Dans le livre de Carla Del Ponte, La Caccia. Io e i criminali di guerra, paru fin mars aux éditions Feltrinelli de Milan, le Kosovo n’occupe guère qu’un chapitre. C’est un exemple parmi d’autres des multiples blocages politiques auxquels l'ex-procureur générale du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a dû faire face pour mener à bien sa tâche. Mais ce que révèle Carla Del Ponte a de quoi glacer le sang.

Des organes prévelés à des prisonniers avant d'être assassinés

Plus de 300 Serbes kidnappés par la guérilla albanaise de l’UCK auraient été détenus dans des villages du Nord de l’Albanie, dans les régions de Kukës, Tropoja et Bajram Curri. Là, leurs organes auraient été prélevés, pour être revendus à des trafiquants, notamment dans le monde arabe. Selon les témoignages de journalistes que cite Carla Del Ponte, certains « patients » auraient subi plusieurs amputations (reins, cœur), avant d’être finalement assassinés. Les organes étaient exportés par l’aéroport de Tirana-Rinas.

Les révélations de Carla Del Ponte confirment des données au moins partiellement établies. On sait que plusieurs centaines de civils serbes ou membres d’autres communautés slaves du Kosovo (notamment des Bosniaques) ont « disparu » durant les combats au Kosovo (mars 1998-juin 1999) et dans les premières semaines qui ont suivi la fin de la guerre. Les sources serbes évoquent le chiffre, difficile à vérifier, de 1 300 personnes. Très peu de corps ont été retrouvés au Kosovo et très vite les parents des victimes ont affirmé que leurs proches avaient été conduits en Albanie, une donnée confirmée par des organisations indépendantes de défense des droits de la personne. Certains journalistes ont affirmé que des jeunes filles serbes auraient été livrées aux réseaux de trafic des êtres humains et contraintes à la prostitution forcée. L’hypothèse d’un trafic d’organes a été évoquée dès 2000 par le Comité Helsinki du Sandjak de Novi Pazar. Le dirigeant de cette organisation, fort bien informé, est aujourd’hui décédé.

Ni la MINUK ni la KFOR n'ont voulu aider le TPIY

Dans son livre, Carla Del Ponte rend compte des missions de ses enquêteurs sur le terrain. Ils ont retrouvé trace des maisons qui auraient servi de « cliniques ». Elles avaient, naturellement, été « nettoyées », mais les enquêteurs ont retrouvé des traces de sang, des seringues, ainsi que des flacons vides de médicaments utilisés pour des anesthésies opératoires. Carla Del Ponte reconnaît cependant que ces indices sont « trop faibles » pour servir, seuls, de preuves définitives.

Elle rapporte également ses contacts répétés avec l’administration internationale présente au Kosovo : malgré les bonnes paroles, en 2001-2002, ni la Mission des Nations unies au Kosovo (MINUK), alors dirigée par Bernard Kouchner, puis par l’Allemand Michael Steiner, ni les troupes de la KFOR (elle évoque notamment ses contacts avec le général français Marcel Valentin), n’ont voulu aider le TPIY dans ses investigations. À l’époque, tout le monde redoutait les possibles conséquences politiques d’inculpations du TPIY qui auraient visé les principaux chefs de l’UCK, notamment Hashim Thaçi, devenu depuis Premier ministre du Kosovo.

De nombreuses questions restent posées

Le livre de Carla Del Ponte constitue sans aucun doute une « bombe », qui met à nu les innombrables compromissions politico-diplomatiques qui ont empêché le TPIY de mener son travail dans de bonnes conditions, qu’il s’agisse des enquêtes sur les crimes commis par l’UCK, de celles sur les éventuels crimes de guerre de l’OTAN, ou de la longue fuite de Radovan Karadzic et Ratko Mladic.

Carla Del Ponte précise que « les enquêtes sur l’UCK ont été les plus frustrantes de toutes celles entreprises par le TPIY » (p.292). Cependant, le livre de l’ancien procureur général ne suffit pas, par lui-même, à confirmer la réalité du trafic d’organes.

De nombreuses questions restent posées. Sur un plan purement « technique », installer des petites cliniques de campagne dans des maisons privées n’a rien de bien difficile. Il suffit de trouver un médecin consentant. Il est beaucoup plus difficile d’imaginer la manière dont les organes prélevés étaient « exportés ». Entre les zones montagneuses du nord de l’Albanie et l’aéroport de Rinas, il fallait bien compter, à l’époque, 7 à 8 heures de conduite sur de très mauvaises routes, à moins que les trafiquants n’aient disposé d’hélicoptères.

Autre grande question, malgré toutes les pressions dont elle était victime, pourquoi Carla Del Ponte n’a-t-elle pas choisi de rendre son enquête publique, notamment en alertant la presse, avec qui elle a toujours entretenu de bonnes relations ? Si le trafic d’organes est avéré, il s’agirait en effet d’un des principaux crimes de toutes les guerres yougoslaves.

Quelles suites seront données à ces révélations ?

Les parents des Serbes kidnappés du Kosovo ont d’ailleurs déjà intenté, devant les tribunaux serbes, une action en justice contre Carla Del Ponte, pour « dissimulation de crime ». Convaincus que leurs proches avaient été déportés en Albanie, ils ont voulu croire des années que ceux-ci étaient malgré tout restés en vie. On peut aussi s’étonner de la relative discrétion toujours observée par les autorités de Belgrade sur ce dossier.

L’essentiel est bien sûr de savoir quelles suites seront données aux révélations de Carla Del Ponte. Les dirigeants albanais du Kosovo ont balayé ces accusations. Le Comité de défense des droits de l’homme de Pristina, qui fut en son temps très lié à l’UCK, parle aussi de « mensonges ». Le 4 avril, quelques jours après la publication du livre en Italie, le réseau Human Rights Watch a adressé une lettre aux dirigeants du Kosovo, ainsi qu’à ceux de la MINUK, demandant l’ouverture d’une nouvelle enquête. À ce jour, la lettre n’a toujours pas reçu de réponse.

A lire

Kosovo / TPIY

Carla Del Ponte accuse

13/04/2008 à 23:10 TU

A écouter

Ruth-Gaby Vermot-Mangold

Auteur en 2003 pour le Conseil de l'Europe d'un rapport sur les trafics d'organes en Europe.

« Je fais confiance à Carla del Ponte (...) mais il faudrait plus d'informations puisqu'elle a du arrêter sa recherche. Pourquoi a t-elle du arrêter ? Pourquoi n'a t-elle pas pu avoir plus d'informations ? »

14/04/2008 par Béatrice Leveillé

Ramadane Gachi

Secrétaire du Centre d'information du Kosovo à Bruxelles

« Je ne pense pas que cela mérite de répondre à ces allégations, elles sont tellement mensongères, même les enfants ne pourraient y croire. »

14/04/2008 par Piotr Moszynski