Article publié le 15/04/2008 Dernière mise à jour le 17/04/2008 à 00:25 TU
De notre correspondante à Bangkok, Marie Normand
Vendeur de riz du marché de Khlong Toei, à Bangkok. Ici, comme dans le reste du pays, le prix du riz au détail a augmenté de 50% en un mois.
(Photo : E. Michel/RFI)
En quelques semaines, en Thaïlande, le riz est devenu une denrée convoitée. Les consommateurs se ruent dans les magasins – la direction des supermarchés Tesco Lotus a par exemple indiqué que la vente de sacs de riz avait triplé ces deux dernières semaines. De leur côté, les paysans se plaignent de devoir faire garder leurs récoltes jour et nuit de peur des vols, devenus monnaie courante. Certains fournisseurs menacent de rompre leurs contrats avec les écoles, les orphelinats ou les prisons, à qui ils vendaient auparavant leur riz à moindre coût. La peur d’un manque est intimement liée à l’ampleur des exportations. Alors que les autres pays de la région – Inde, Chine, Vietnam et Cambodge – ont fait le choix de limiter ou d’interdire leurs ventes de riz à l’étranger, le gouvernement thaïlandais a décidé, lors d’une réunion d’urgence samedi 5 avril, de maintenir les mêmes volumes d’exportation. « Nous ne voulons pas risquer de déstabiliser davantage le marché international », a déclaré le ministre du Commerce Mingkwan Saengsuwan.
La nouvelle a rassuré une bonne partie de la planète. Avec 9,5 millions de tonnes exportées en 2007, la Thaïlande est le premier exportateur de riz au monde. Plus d’un tiers de ses ventes (3,9 millions de tonnes en 2007) alimente le continent africain et certains importateurs, comme Hong Kong, reposent à 90 % sur le riz thaïlandais. « La Thaïlande connaît une pression beaucoup plus importante de la part des pays importateurs car c’est un des derniers pays à exporter », explique Sumither Broca, un expert de la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture. Résultat, les exportateurs peinent à répondre à la demande et la population se demande s’il restera suffisamment de riz pour le marché interne.
Des spéculateurs aux consommateurs, tout le monde stocke
Pourtant, explique Sumither Broca, même si le pays maintient ses exportations, il y a peu de chance que le riz finisse par manquer. Les stocks nationaux n’ont pour l’instant que peu diminué et avec une production de 20 millions de tonnes prévue cette année, la Thaïlande a, selon lui, largement de quoi s’autosuffire. D’après les autorités locales, les stocks propres de l’Etat, estimés à 2,1 millions de tonnes, permettraient même, en cas de coup dur, de nourrir la population pendant trois mois. Le Premier ministre, Samak Sundaravej, s’est même fendu de deux interventions dans la presse pour l’annoncer, dans l’idée de calmer les esprits. Même si certains experts sont sceptiques sur l’état réel de ces stocks, tous s’accordent pour dire que l’augmentation spectaculaire des ventes de sacs de riz est davantage due à un facteur psychologique qu’à une réelle possibilité de manque. « Beaucoup de Thaïlandais ne sont pas convenablement éduqués, regrette Vongthip Chumpani, une conseillère de la Bangkok Bank. Alors ils ont tendance à croire facilement les rumeurs et à être influencés par les spéculateurs ». Ces spéculateurs – paysans, détaillants et fournisseurs – commencent eux aussi à stocker, malgré les menaces de sanction du gouvernement, pour vendre plus tard au meilleur prix.
Des prix au plus haut depuis les années 1970
Ceci attise les inquiétudes des consommateurs et encourage l’inflation. En un mois, le prix du riz blanc a déjà augmenté de 50%. Un élément qui pèse sur le budget de l’ensemble des Thaïlandais, en particulier de la classe moyenne, déjà pénalisée par la hausse des prix du porc et de l’essence. « Si les gens font des stocks, commente un vendeur du marché populaire de Khlong Toei, à Bangkok, c’est surtout parce qu’ils s’attendent à voir les prix monter dans les jours qui viennent ». Sumither Broca note que de tels prix n’avaient pas été observés depuis la crise des années 1970. « Une famille type de quatre personnes, vivant en zone urbaine, comme à Bangkok, peut s’attendre à débourser chaque mois entre 500 et 700 bahts (entre 10 et 14€) de plus que l’année dernière, soit 20% de plus, rien que pour le riz, s’inquiète-t-il. La question n’est donc pas de savoir si l’on va bientôt manquer de riz mais plutôt qui pourra se permettre d’en acheter si les prix continuent à grimper ». L’expert de la FAO s’attend à ce que la panique prenne fin et que les prix se stabilisent avec l’arrivée de la récolte de printemps. Mais d’après lui, les Thaïlandais devront attendre au moins un an et demi avant de voir les prix de vente au détail baisser.