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Crise alimentaire mondiale

La déferlante qui pénalise les plus pauvres

par Marie Joannidis (MFI)

Article publié le 15/04/2008 Dernière mise à jour le 15/04/2008 à 17:47 TU

La hausse des denrées alimentaires pénalise tous les pays, qu’ils soient développés ou en développement, mais risque d’affamer en premier lieu les plus pauvres, que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Cette déferlante mondiale – que le Commissaire européen au développement et à l’action humanitaire Louis Michel n’a pas hésité à qualifier de « tsunami » potentiel pour les Africains – a déjà donné lieu à de nombreuses émeutes de la faim et suscité une mobilisation internationale pour éviter un véritable désastre.

Des Kenyans de Kibera transportent des sacs de riz, distribués le 15 janvier 2008, par le Programme alimentaire mondial.(Photo : AFP)

Des Kenyans de Kibera transportent des sacs de riz, distribués le 15 janvier 2008, par le Programme alimentaire mondial.
(Photo : AFP)

Le tableau brossé par les témoignages de terrain et les informations d’experts de l’ONU est déjà préoccupant. Manifestations violentes en Egypte contre le prix élevé du pain, insécurité alimentaire au Sri Lanka, émeutes en Mauritanie, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso ou au Sénégal. Affrontements violents à Haïti et même, selon la presse locale, meurtres d’enfants qu’on ne pouvait plus nourrir au Pakistan.

Les causes de cette nouvelle crise alimentaire sont multiples selon les experts. Tout d’abord, la demande croissante de puissances émergentes, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, et de pays comme le Vietnam, qui n’exporte plus son riz mais le consomme. Les mauvaises conditions climatiques, sécheresses ou inondations, aggravent le phénomène y compris chez de grands producteurs comme l’Australie, alors que l’Union européenne a fortement réduit depuis quelques années ses stocks agricoles. Tout comme pour le pétrole, la spéculation financière favorise la hausse des prix alors que la demande accrue de biocarburants pénalise les cultures vivrières.

Augmenter l’investissement agricole dans les infrastructures et la maîtrise de l’eau

La Banque mondiale estime que plus d’une trentaine de pays en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud risquent de connaître de graves instabilités politiques et sociales, d’autant plus que l’alimentation représente un charge moyenne pouvant aller jusqu’à 70 % des salaires dans les pays en développement, contre 15 % dans les pays développés. Plusieurs Etats tentent des mesures palliatives : subventions des prix des produits alimentaires, diminution ou suppression des droits de douane à l’importation. Parmi les denrées visées figure le riz, dont le prix a presque doublé en quelques jours et qui constitue l’aliment de base dans plusieurs pays de la planète fortement peuplés.

Le premier véritable cri d’alarme a été lancé par le Programme alimentaire mondial (PAM) qui a réclamé, dès le mois de mars 2008, une enveloppe supplémentaire de 500 millions de dollars pour pouvoir continuer à nourrir ses bénéficiaires.

Pour Jacques Diouf, directeur général de la FAO, première organisation du système onusien à avoir mis en garde, conjointement avec l’OCDE, contre la « mode » des biocarburants qui risquait de se faire au détriment des cultures destinées à l’alimentation – c’était en juillet 2007 –, des mesures urgentes sont nécessaires pour s’assurer que les conséquences négatives à court terme de cette hausse n’affectent pas de façon encore plus alarmante les plus pauvres. « Les prix des denrées alimentaires au niveau mondial ont bondi de 45 % sur les neuf derniers mois et il y a de sérieuses pénuries de riz, de blé et de maïs », a-t-il affirmé en avril.

Le directeur général de la FAO a cité une combinaison de facteurs ayant conduit à une forte hausse des prix : production réduite due aux changements climatiques, niveaux historiquement bas des stocks, consommation plus grande de viande et de produits laitiers dans les économies émergentes, demande accrue pour la production de biocarburants et coût plus élevé de l’énergie et du transport. Sans oublier l’urbanisation sauvage dans les grandes villes du tiers-monde et les problèmes d’infrastructures que cela pose. « Il est essentiel d’augmenter l’investissement agricole dans les infrastructures et la maîtrise de l’eau, et de faciliter l’accès des petits paysans aux intrants afin qu’ils puissent augmenter leur productivité », a souligné Jacques Diouf, opinion partagée par les ministres africains de l’Economie et des Finances réunis à Addis-Abeba. Il a également mis l’accent sur l’importance de systèmes efficaces de commercialisation et de traitement des produits agricoles, tout en admettant que cela prendra du temps.

La FAO a précisé que la flambée mondiale des prix des céréales provoque dans 37 pays pauvres une situation d’urgence, allant jusqu’à des émeutes de la faim ; son directeur général a invité les 191 pays membres de cette organisation à participer, en juin à Rome, à une conférence des pays donateurs destinée à recueillir entre 1,2 et 1,7 milliard de dollars

Ces préoccupations sont partagées aussi bien par le secrétaire général des Nations unies, Ban ki Moon, que par les responsables du HCR ou d’autres organisations des Nations unies, par la Banque mondiale, le FMI et même l’OMC, mais aussi par l’Union européenne et les autres bailleurs de fonds des pays pauvres notamment la Grande-Bretagne, et la France.

Le président de la Banque mondiale, l’Américain Robert Zoellick a évoqué la nécessité d’un « New deal » (une nouvelle donne) alimentaire à l’échelle mondiale, portant à la fois sur l’urgence et le développement de l’agriculture à long terme. Le sujet a d’ailleurs été au centre des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale à Washington, au même titre que la crise financière internationale venue des Etats-Unis.

Traiter la crise financière pour faire baisser la pression sur les prix alimentaires

Le comité de Développement de la Banque mondiale a appelé les gouvernements des pays membres à intervenir d’urgence pour éviter que la crise alimentaire n’appauvrisse encore davantage quelque 100 millions de personnes dans le monde ; Robert Zoellick a précisé que son organisation prévoit de doubler ses prêts agricoles en Afrique, les portant à 800 millions de dollars. De son côté, le directeur général du FMI, le Français Dominique Strauss-Kahn, a affirmé que les « conséquences seront terribles si les prix de l’alimentation continuent comme ils le font maintenant ». « Comme nous l’avons appris dans le passé, ce genre de situations se finit parfois en guerre », a-t-il dit. La ministre française de l’Economie, Christine Lagarde, elle aussi présente à Washington, a estimé que c’est la crise financière qui encourage en grande partie les investisseurs à se tourner vers les marchés de matières premières, entraînant la flambée des prix de l’alimentation. « Traitons la crise financière et on fera disparaître une partie de la pression qui s’exerce » sur les prix alimentaires, a-t-elle ajouté.

Les principaux bailleurs de fonds bilatéraux se sont aussi mobilisés : l’Agence des États-Unis pour le développement international et le ministère américain de l’Agriculture ont décidé d’organiser à Kansas City, mi-avril, une conférence internationale sur l’aide alimentaire. D’ores et déjà, George W. Bush a débloqué 200 millions de dollars d’un fonds alimentaire américain pour répondre à l’urgence.

Le Premier ministre britannique Gordon Brown a écrit à son homologue japonais, qui préside cette année le G8, pour qu’il se saisisse de la question. Côté français, les bailleurs de fonds ont été invités à répondre à l’appel du PAM qui serait déjà couvert pour moitié, selon la Banque mondiale. De plus, le chef de la diplomatie, Bernard Kouchner, et ses secrétaires d’Etat ont appelé à la tenue d’une conférence internationale.

Seule voix officiellement discordante, celle du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva dont le pays est le second producteur mondial d’éthanol et le premier producteur d’alcool à base de canne à sucre. Pour lui il n’y a pas de lien entre la hausse des prix des produits alimentaires et la production de biocarburants. « Aujourd’hui, il y a plus de gens qui mangent. Les Chinois mangent, les Indiens mangent, les Brésiliens mangent (...) et les gens vivent plus longtemps », a-t-il expliqué, estimant que c’est le nombre croissant de bouches à nourrir qui provoque la hausse des prix. « Je demande au monde entier de produire plus pour combler les besoins alimentaires sans provoquer l’inflation », a-t-il déclaré.
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