Article publié le 17/04/2008 Dernière mise à jour le 17/04/2008 à 07:40 TU
Les galettes de pain, subventionnées, sont vendues à un peu plus d'un demi-centime d'euro.
(Photo : Claude Vittiglio/TV5)
De notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti
« El Aych », la vie. Ce n’est pas un hasard si, contrairement à tous les autres arabes, les Egyptiens ont choisi ce nom pour le pain. Un nom qui n’a jamais été aussi bien mérité qu’aujourd’hui où il est devenu synonyme de « survie ». Sans pain point de salut pour 40% des Egyptiens qui vivent sous le seuil de la pauvreté (1,5 € par jour). En effet, pour remplir son panier, la ménagère égyptienne doit dépenser 50% de plus que l’année dernière. Le prix des pâtes a plus que doublé et l’on achète moitié moins de riz pour la même somme. Pire, le « foul » (fèves), cette protéine du pauvre commence à se prendre vraiment pour de la viande. Une viande qui a atteint 7 euros le kilo et dont la moitié de la population ne peut que rêver tandis que le poulet congelé s’envole à 1,5 € le kilo. Dans ces conditions il ne reste plus qu’à se rabattre sur le « aych baladi », ces galettes de pains subventionnées vendues à un peu plus qu’un demi-centime d’euro. De quoi augmenter encore plus la dépendance de l’Egyptien à l’égard du pain.
L’Egyptien, inventeur du pain il y a plus de cinq mille ans, était jusque-là un des champions du monde de dévoreurs de pain avec 400 grammes par jour. Un pain dont il obtient 27% de ses besoins quotidiens en calories. Dans les milieux défavorisés du Caire ce taux frise les 40% et est totalement obtenu du « aych baladi ». Résultat, la demande de « aych baladi » a explosé. La farine subventionnée fournie aux boulangeries et qui devrait permettre de fabriquer deux cent millions de galettes par jour ne suffit plus. A l’augmentation de la consommation vient se rajouter le marché noir de farine. Beaucoup de fours vendent une partie de leur quota (1/3 selon certaines estimations) sur le marché noir. Un bénéfice d’au moins 500% vu la différence de prix entre le prix de la farine subventionnée et celle sur le marché libre. Un bénéfice qui s’accroit chaque jour avec la hausse constante des prix du blé sur le marché international. Car l’Egypte importe plus de 65% des 13 millions de tonnes que ses 76 millions d’habitants (2003) consomment annuellement. 40% de cette consommation est subventionnée et un quart de ce blé va à ceux qui n’en ont pas besoin puisque n’importe qui peut acheter du « aych baladi ». Un « aych » que certains éleveurs peu scrupuleux utilisent parfois pour faire des économies sur la nourriture du bétail.
Les martyrs du pain
La pénurie de pain due à ces causes conjuguées s’est traduite par des queues de plus en plus longues devant les boulangeries vendant du pain subventionné. Des queues où il fallait être présent avant l’aube si l’on voulait être sûr de pouvoir acheter les 20 galettes allouées par personne. Les retardataires étaient réduits à acheter un pain cinq fois plus cher. De quoi provoquer une nervosité croissante et des bagarres de plus en plus violentes et parfois même mortelles. Selon l’opposition l’Egypte a eu « douze martyrs du pain » au cours des six derniers mois. Une situation qui menaçait de provoquer des désordres sociaux comparables aux sanglantes « émeutes du pain » qui avaient suivi la hausse des prix du pain en janvier 1977. Pour compliquer encore les choses il y avait les élections municipales, la grève de plus en plus suivie des ouvriers du textile de Méhalla dans le Delta et l’appel à la grève générale pour protester contre la hausse des prix lancé via internet par une nébuleuse de mouvements d’opposition, d’ONG et de blogueurs. Même si l’appel à la grève générale pour le 6 avril a été relativement peu suivi il a servi de coup de semonce au gouvernement.
Toute une série de mesures ont été adoptées dans l’urgence. Les quotas de farine subventionnée ont été augmentés de 30%. Les boulangeries des ministères de la Défense et de l’Intérieur qui se contentaient de nourrir soldats et policiers ont été appelées à accroître leur production pour vendre le surplus aux « citoyens ». Des kiosques de distribution de pain ont été créés notamment dans les grandes villes. Parallèlement le gouvernement a interdit l’exportation du riz et levé les barrières douanières taxant les importations de produits de première nécessité. Autant de mesures qui ont freiné la hausse des prix et qui parfois même, dans le cas du riz, provoqué des baisses substantielles (- 33%). Reste que toutes ces mesures augmenteront nettement le déficit d’un budget où les subventions représentent près du tiers des dépenses. De quoi augmenter encore plus une inflation en nette hausse depuis deux ans.