Article publié le 19/04/2008 Dernière mise à jour le 19/04/2008 à 14:07 TU
Grande exportatrice de produits agricoles, l’Argentine est un des pays les plus favorisés par la flambée des denrées alimentaires. Mais elle en subit un effet pervers, les prix internes ayant tendance à suivre les cours internationaux. Malgré les efforts du gouvernement, le panier de la ménagère argentine ne cesse d’augmenter.
De notre correspondant à Buenos Aires, Jean-Louis Buchet
L’Argentine est un des plus importants exportateurs mondiaux de produits agricoles. À ce titre, c’est aussi l’un des pays les plus favorisés par la flambée des denrées alimentaires. De fait, si son excédent commercial, ses réserves monétaires et ses rentrées fiscales enregistrent des records, c’est pour une bonne part grâce à des exportations agricoles (soja et dérivés, maïs, blé, viande, etc.) qui représentent la moitié de ses ventes à l’étranger (plus de 50 milliards de dollars en 2007). Mais, paradoxalement, ce pays de 40 millions d’habitants qui produit de quoi nourrir 350 millions de personnes, peut aussi être victime de la hausse des cours mondiaux. Et, s’il ne connaît pas d’ « émeutes de la faim », il n’est pas à l’abri de pénuries ou d’augmentations de prix pouvant pénaliser les secteurs les plus défavorisés de la population.
En effet, dans la mesure où ce qui se trouve dans l’assiette des Argentins peut, directement ou indirectement, s’exporter (cher), en dollars ou en euros, les prix intérieurs ont tendance à s’aligner sur ceux qu’obtiennent les producteurs sur les marchés internationaux. D’ailleurs, une des principales explications avancées par la présidente Cristina Fernández de Kirchner pour justifier l’existence des « retenciones », cet impôt sur les exportations qui frappe notamment les produits agricoles, est, précisément, le souci de maintenir les prix internes à des niveaux raisonnables. En principe, le mécanisme est le suivant : en imposant une taxe de l’ordre de 35 % de la valeur brute du produit exporté (jusqu’à 45 % pour le soja), les autorités fixent en quelque sorte un prix d’orientation interne inférieur de 45 % à 60 %, selon l’incidence du coût du transport, à celui qui peut-être obtenu à l’export. Le système est également appliqué afin de garantir l’approvisionnement en hydrocarbures, et il est arrivé que, pour ce faire, s’appliquent des « retenciones » de 100 % de la valeur, donc à exporter à perte !
Difficile à suivre pour les plus défavorisés
Dans la pratique, pour les produits alimentaires, l’effet des « retenciones » n’a pas toujours été celui qui était attendu. Très critiqué par les producteurs, qui l’estiment « confiscatoire », cet impôt en hausse constante (la dernière augmentation, en avril, a entraîné une grève massive des agriculteurs) provoque parfois des pénuries, logiquement suivies d’un envol des prix. Ce fut notamment le cas pour la viande bovine, un produit pour lequel l’Argentine est l’un des principaux exportateurs mondiaux mais aussi, et de loin, le premier en termes de consommation par habitant (68 kg par tête et par an). A plusieurs reprises, afin de rétablir un approvisionnement normal, le gouvernement a interdit par décret toute exportation. Ainsi, au bout de quelques semaines, l’offre augmentant sur le marché interne, les prix s’orientaient à la baisse.
Cependant, ces pratiques ont également des conséquences négatives : par manque de visibilité, ayant en outre à faire face à des demandes d’indemnités de la part des importateurs étrangers, nombre de producteurs abandonnent l’élevage pour se concentrer sur les cultures, démarche d’autant plus compréhensible que l’investissement y est moindre et le cycle plus court (il faut de trois à cinq ans pour un bovin alors que l’on obtient deux récoltes de maïs ou de soja par an). Résultat : le cheptel argentin (50 millions de têtes) demeure stable, alors que la population augmente, ce qui oriente forcément les prix à la hausse. C’est sans doute ce qui pousse parfois les autorités à délaisser la manière forte pour rechercher des accords, comme celui signé avec les professionnels du secteur le 17 avril, par lequel les exportations sont à nouveau libérées, avec des quotas pour certains morceaux et un encadrement des prix internes pour ceux dits de consommation « populaire ».
Malgré tous ces efforts, le gouvernement ne parvient pas à contenir la hausse des denrées, tout juste à la ralentir. Et encore : tiré par les cours internationaux et sous l’effet de tendances inflationnistes locales, en partie dues à la forte croissance de l’économie (9 % par an depuis 2003), le panier de la ménagère argentine ne cesse d’augmenter. Officiellement, l’inflation est inférieure à 10 % et l’évolution des prix de l’alimentation serait dans la moyenne. Mais tout le monde sait que l’indice officiel prend largement en compte des références introuvables et des prix réglementés rarement respectés. La réalité est que le pain, les légumes ou la viande augmentent à un rythme compris entre 20 % et 25 %. Difficile à suivre pour les plus défavorisés. À moins de s’orienter vers des hausses de salaires au moins aussi importantes, au risque d’enclencher une spirale difficilement maîtrisable.