Article publié le 22/04/2008 Dernière mise à jour le 22/04/2008 à 13:00 TU
Le marché de Calamba, près de Manille. Les prix au détail du riz ont augmenté de 30% en deux mois. Le gouvernement a réussi à éviter les émeutes de la faim en subventionnant un riz à moitié prix vendu aux plus pauvres.
(Photo : S. Farcis/RFI)
Par notre correspondant à Manille, Sébastien Farcis
« Good morning madam, welcome to Jolibee ». Il est midi, la salle est bondée dans cette enseigne de Jolibee, la première chaîne de restauration rapide des Philippines. Comme dans tous les fast food du pays on sert souvent du riz avec le traditionnel hamburger. Le ministre de l’Agriculture a donc directement fait appel à ces restaurants, qui se trouvent à chaque coin de rue de l’Archipel, pour réduire la consommation du pays en riz. Et leur a demandé de proposer des demi-portions de riz à leurs clients. « Depuis le 1er avril, nos clients ont le choix entre deux quantités de riz, et les petites portions représentent 20% de nos ventes en riz », confirme Chris, responsable de ce Jolibee à Calamba, en banlieue de Manille. La mesure est symbolique pour les Philippins ; elle leur a montré que la situation devenait grave.
Les Philippines sont fortement touchées par la crise de production en riz, surtout pour une raison : l’Archipel est le premier importateur de riz et 15% de sa consommation vient de ses voisins, le Vietnam et la Thaïlande principalement, les deux plus importants exportateurs au monde en riz. Or, ceux-ci ont fortement réduit leurs ventes à l’étranger afin d’assurer la consommation intérieure. De manière globale, la quantité de riz qui sort des frontières est très faible : seulement 6% de la production mondiale est exportée vers les pays qui n’en produisent pas assez pour leur consommation. Le stock disponible étant très petit, dès qu’un pays annonce qu’il réduit ses exportations, ou qu’il les stoppe carrément, comme l’a fait l’Inde dès octobre pour le riz non basmati, c’est l’explosion. Le prix du riz coté à Bangkok a doublé en six mois. Les Philippines, elles, attendent depuis une semaine de trouver un fournisseur pour 500 000 tonnes de riz, soit le quart de leur importation annuelle.
« L’Archipel ne devrait cependant pas souffrir d’une réelle pénurie », estime Duncan Macintosh, porte-parole de l’Institut international de recherches sur le riz (IRRI), basé près de Manille. « Les dirigeants philippins pourraient bénéficier d’une solidarité régionale de la part de leurs voisins exportateurs, notamment du Vietnam », explique-t-il.
« Une très mauvaise nouvelle pour l'Afrique »
Mais cette solidarité d’urgence ne jouera certainement pas pour d’autres grands importateurs de riz, comme en Afrique. « L’Asie, qui nourrit l’Afrique en riz depuis plusieurs années, ne devrait plus être capable de le faire, continue Duncan Macintosh. Et ceci est une très mauvaise nouvelle pour l’Afrique, car on peut craindre qu’à partir de novembre, certains pays d’Afrique devront faire appel à l’aide alimentaire mondiale pour se nourrir ».
Un chercheur chinois dans un des champs de l'Institut International du Riz. Cet institut situé près de Manille est financé par de nombreux gouvernements, dont la France, ainsi que les institutions internationales, dans le but de trouver de nouvelles variétés de riz et techniques de cultures.
(Photo : S. Farcis/RFI)
La solution passe donc par l’augmentation de la production en riz, à travers la croissance de la productivité. C’est toute la quête de cet Institut international de recherche, financé par les principaux pays occidentaux et institutions internationales. Sur 200 hectares de champs soigneusement étudiés, les chercheurs expérimentent des croisements de variétés, afin de rendre le riz plus résistant aux violents typhons et autres effets du changement climatique : « Nous développons en ce moment des méga-variétés de riz, explique Achim Dobermann, directeur des recherches à l’IRRI. Nous avons déjà fait d’importants progrès pour permettre au riz de résister aux inondations, qui touchent 1 million d’hectares de cultures chaque année en Asie du Sud. Par l’introduction d’un nouveau gène, la plante est capable de survivre pendant deux semaines sous l’eau. Et ceci double la productivité de cette terre ».
L’IRRI a trois autres projets de nouvelles variétés en développement, afin de faire résister le riz à la sécheresse, à la chaleur et à la salinité apportée par l’élévation du niveau des mers. La majorité de ces innovations se font par des croisements conventionnels de gènes et ne sont donc pas considérées comme des OGM. Ces nouvelles variétés pourraient être disponibles d’ici 3 à 10 ans. Et selon les prévisions de l’IRRI, elles pourraient augmenter la production de 50 à 100% sur les terres non irriguées, qui représentent un quart des terres cultivées en riz.
Manque de donateurs
Les gouvernements ont aussi un large rôle à jouer pour favoriser la croissance en productivité des champs de riz. D’abord, par le biais de l’éducation des fermiers. Cette étape étant la première et la plus facile techniquement pour améliorer les rendements, notamment en leur apprenant la manière d'utiliser les pesticides ou encore comment repérer à quel moment planter. Mais aussi, l'Etat sera contraint de revoir son rôle d'investisseur public pour la recherche agricole comme par exemple pour l’IRRI. Au cours de ces vingt dernières années, les subventions de certains établissements ont été, en moyenne, divisées par deux.
Les solutions existent donc, mais leur développement et leur application nécessitent un engagement à long terme, conclut Achim Dobermann : « Nous avons connu une crise alimentaire similaire dans les années 70 et les gouvernements ainsi que les donateurs internationaux ont alors rapidement réagi. La productivité est alors remontée. Mais depuis plusieurs mois que nous parlons de cette crise, je n’ai vu aucun important donateur se manifester ».