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Entretien

Jacques Diouf : « La part de l'aide à l'agriculture a diminué de 50% »

Article publié le 24/04/2008 Dernière mise à jour le 24/04/2008 à 13:20 TU

Le directeur général de la FAO, Jacques Diouf.(Photo : AFP)

Le directeur général de la FAO, Jacques Diouf.
(Photo : AFP)

Les émeutes de la faim, il les annonçait déjà il y a six mois sur notre antenne. Invité de RFI, le Sénégalais Jacques Diouf lançait un avertissement au sujet de l'envolée des prix des céréales et de ses conséquences pour les pays les plus pauvres. Le directeur général de la FAO (l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) est à nouveau notre invité aujourd'hui. Il a rencontré, ce mardi, le président français Nicolas Sarkozy à Paris et le Premier ministre britannique Gordon Brown à Londres. Il prépare un nouveau sommet de chefs d'Etat sur l'alimentation en juin et il appelle à augmenter l'aide à l'agriculture pour faire face à la crise alimentaire.

RFI : La France, les Etats-Unis, Londres, Bruxelles ont promis ces derniers jours des aides alimentaires d’urgence. Est-ce que c’est suffisant ?

Jacques Diouf : Ecoutez, ces aides, on ne les a pas. Ce sont pour le moment des promesses bienvenues. Il faut aider le PAM qui est chargé de l’aide alimentaire et aussi apporter quelques ressources financières aux pays pour amortir le choc de l’augmentation des prix. Mais, c'est de la gestion de crise. Il faut aussi et surtout régler les problèmes de fond, en commençant d’abord à apporter une assistance aux agriculteurs des pays pauvres. La vraie solution du problème, c’est d’augmenter la production dans les pays déficitaires, pour satisfaire la demande nationale, mais aussi avoir des revenus pour les agriculteurs.

RFI : Sur l’aide alimentaire, que répondez-vous au président sénégalais, Abdoulaye Wade qui disait la semaine dernière que cette aide était devenue le « business » de certaines ONG et qui mettait aussi en cause directement la FAO, en l’accusant de ponctionner 20 % de l’aide pour ses propres besoins de fonctionnement ?

(Photo : FAO)

(Photo : FAO)

Jacques Diouf : D’abord, la FAO ne s’occupe pas d’aide alimentaire, c’est le Programme alimentaire mondial. Ensuite, je ne sais pas qui lui a fourni ces chiffres, ils sont inexacts. Et en tout état de cause, la FAO a son propre budget pour son fonctionnement. Les montants, les conditions, les modalités sont déterminés par la conférence des 190 pays. Ce n’est pas le directeur général qui dit : « On prend tel montant, on prend tel pourcentage », etc...

Moi, je pense, qu'il faut aussi avoir le courage de le dire, ce ne sont pas ces attaques sur les ONG, ou ces attaques sur la FAO, sur le PAM et les autres qui vont régler les problèmes de l’alimentation au Sénégal. Les problèmes du Sénégal doivent être régler par le peuple sénégalais et son gouvernement. Il y a des budgets nationaux pour pouvoir mener la politique économique et sociale. Le Sénégal a des terres et de l’eau pour produire, des citoyens dont des paysans pour produire et sa souveraineté nationale pour négocier et obtenir des ressources. Moi, je ne crois pas qu’il faille rendre la FAO responsable des émeutes et des personnes qui descendent dans la rue.

RFI : Vous le disiez, il faut une aide de fond, une aide au développement agricole. L’Afrique en a réellement besoin. Et aujourd’hui, elle est importateur net de denrées alimentaires. Le problème, c’est que ces dix dernières années, on n’a pas du tout privilégié le développement agricole.

Jacques Diouf : Vous avez tout à fait raison. C’est que cela n’intéressait pas la communauté internationale. Entre 1990 et 2000, la part de l’aide à l’agriculture dans l’aide au développement a diminué de 50 %.

RFI : Alors, aujourd’hui concrètement, qu’est-ce qui est nécessaire pour aider au développement agricole ?

Jacques Diouf : Il faut tout de suite mettre en place une assistance pour que les paysans puissent avoir des semences, des engrais, des aliments du bétail pour la campagne agricole qui vient, de sorte que nous ne retrouvions pas à la fin de cette campagne, dans une situation où il faille venir de nouveau apporter de l’aide alimentaire.

RFI : Et d’autres mesures à prendre sur le plus long terme, j’imagine, en termes d’infrastructures, d’irrigation ?

Jacques Diouf : Il y a toutes les infrastructures de base à mettre en place pour la maîtrise de l’eau. Si l’on prend l’exemple de l’Afrique, au sud du Sahara, il n’y a que 4 % des terres arables qui sont irriguées, contre 38 % en Asie. Ce n’est pas en laissant l’eau douce aller à la mer que l’on va régler le problème de l’alimentation humaine et le problème de l’eau pour les animaux et les cultures.

RFI : Est-ce que cette flambée des prix des denrées alimentaires ne peut pas créer une opportunité pour les agricultures africaines de devenir plus compétitives finalement ?

Jacques Diouf : (Oui ndlr), dans la mesure où les conditions sont réunies pour avoir une élasticité de l’offre de produits agricoles. Or, quand votre agriculture dépend de la pluviométrie, puisque vous n’avez pas de maîtrise de l’eau, quand il n’y a pas les routes pour apporter les intrants et sortir les produits agricoles, quand il n’y a pas les moyens de stockage appropriés, à ce moment, naturellement, il ne sera pas possible d’espérer que ces agriculteurs vont profiter des conditions actuelles. Au contraire, ces conditions actuelles vont les pénaliser par l’augmentation du coût des intrants.

RFI : Donc, cela peut devenir une opportunité s’il y a des investissements massifs ?

Jacques Diouf : Tout à fait et c’est ce que nous nous évertuons à expliquer pour des décisions qui ont été prises. Si on les avait appliquées, on ne serait pas aujourd’hui là où on est.

RFI : Dans les Etats qui sont touchés en Afrique en ce moment par des manifestations contre la vie chère, les mesures prises consistent surtout à baisser les taxes. Est-ce que c’est la solution ?

Jacques Diouf : Ce sont des mesures de gestion de crise et les gouvernements n’ont pas le choix. Quand il y a le feu dans une maison, on apporte de l’eau et on essaie d’arrêter le feu. Mais c’est ce que font beaucoup de gouvernements. Mais, nous ce que nous regrettons, c’est qu’au moment où l’on a donné l’alerte, depuis les deux sommets mondiaux de l’alimentation, en 1996 et 2002, c’est que personne n’ait vu l’urgence de mener les actions nécessaires, alors que l’on a une population mondiale qui va passer de 6 milliards actuellement à 9 milliards.

                                                 Entretien réalisé par Sarah Tisseyre

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