Article publié le 18/05/2008 Dernière mise à jour le 18/05/2008 à 16:21 TU
Selon un rapport du Programme alimentaire mondial (PAM), une agence de l’ONU, 77 millions de Pakistanais devraient se trouver en situation d’insécurité alimentaire au cours des mois prochains, soit la moitié de la population totale du pays. L’augmentation des prix des matières premières en est l’une des principales raisons.
Dans le bazar de Peshawar, comme partout ailleurs dans le pays, le prix des denrées alimentaires a augmenté de 20% au mois d'avril 2008.
(Photo : Eric de Lavarène / RFI)
De notre envoyée spéciale à Peshawar, Nadia Blétry
Nessar Ahmed, 55 ans, vit avec sa famille dans l’un des quartiers ouvriers de Peshawar. Comme une grande partie de la population pakistanaise, il subit de plein fouet la crise alimentaire. « Il y a énormément de misère dans ce pays, explique-t-il. En ce moment on manque de tout, de farine bien sûr mais aussi d’huile et de sucre. De nourriture, en fait ». Depuis quelques mois, ses conditions de vie sont plus précaires. Dans la pièce centrale de la maison, sa femme promène un regard fatigué sur la vaisselle entassée dans laquelle des oisillons mal en point essaient de picorer des restes. Elle explique avec dépit « On n’a plus de farine et les prix n’arrêtent pas de monter, on ne s’en sort plus ».
En un an, le prix du blé a augmenté de 35% et ce sont les milieux populaires qui en subissent le plus durement les conséquences. Augmentation des prix et pénuries sont devenus des phénomènes quotidiens. Trois fois par semaine, Nessar va chercher des sacs de farine pour nourrir sa famille mais il redoute de revenir les mains vides. Aujourd’hui, devant le magasin, la file d’attente est longue et les esprits s’échauffent. Une charrette vient de déposer son chargement mais les clients sont plus nombreux que les dizaines de sacs de farine. Tout le monde ne sera pas servi. Le vendeur essaie vainement d’organiser une queue disciplinée. Seule la police, qui fait sa ronde dans le quartier, finit par obtenir un ordre relatif.
Les clients remettent leur carte d’identité au vendeur qui doit veiller à respecter les quotas imposés par le gouvernement. Ali, un client, est furieux. Il vient de se faire refouler. Le vendeur lui explique qu’il s’est trompé de magasin et que son quota lui sera distribué dans un autre quartier. Un quartier manifestement situé loin de sa résidence. Ali est excédé et prend la foule à partie. « Même dans les magasins du gouvernement où les prix sont moins chers, il n’y a pas de farine. Où voulez-vous qu’on aille ? ». Dans la queue où la colère monte un autre client répond en écho : « Moi, je me rends tous les jours au bazar pour nourrir ma famille et on ne trouve pas de farine. C’est pour ça qu’on est obligé de venir dans ces boutiques et de subir quotidiennement ces humiliations », dit-il sans décolérer. Le vendeur mal à l’aise fait profil bas, il tient à se dédouaner : « Ce n’est pas moi qui décide, l’usine me donne un quota défini par le gouvernement. Mais maintenant le gouvernement distribue de moins en moins de farine. Je fais comme je peux ».
« Celui qui a le ventre vide est prêt à aller se battre »
Pourtant, si l’on en croit Sardar Hussain Babak, ministre de la province frontalière du Nord-Ouest élu au mois de février dernier, les problèmes sont résolus : « La crise alimentaire est due à la mauvaise gestion du régime politique précédent qui a choisi d’exporter ses richesses et n’a pas pu assumer les besoins de sa population. Mais maintenant tout est réglé, il n’y a plus aucun problème ou alors vraiment des problèmes mineurs. Ce sont les médias qui amplifient les choses ».
Ce n’est pourtant pas l’avis de la rue de plus en plus excédée par les pénuries. Ni même celle des grands organismes internationaux. D’après un rapport du Programme alimentaire mondial (PAM), une agence de l’ONU, 77 millions de Pakistanais devraient se trouver en situation d’insécurité alimentaire au cours des mois prochains, soit la moitié de la population totale du pays. L’augmentation des prix des matières premières en est l’une des principales raisons.
Mais au Pakistan, une autre explication vient s’additionner à celle-ci. Le manque d’énergie et les coupures d’électricité de plus en plus nombreuses dans le pays paralysent parfois les industries. Dans l’une des usines de farine de Peshawar, à 11h du matin, personne ne travaille. Il n’y a pas d’électricité et avant que les machines ne recommencent à tourner il faudra attendre encore une heure. Cette usine est précisément celle qui fournit le magasin devant lequel attend Nessar. « C’est problématique pour nous cette situation. On est obligé de s’organiser pour venir ici. On fait la queue pendant des heures. Pendant ce temps là on ne peut pas aller travailler ; alors forcément quand on ne va pas travailler, on ne rapporte pas d’argent pour nourrir sa famille ».
Pourtant aujourd’hui, Nessar a obtenu deux jours de répit : il a obtenu son sac de farine. De quoi nourrir les huit membres de sa famille. Mais son enthousiasme reste modéré. Il rappelle avant de s’en aller, son sac de farine en équilibre sur le porte bagage de son vélo : « Chez nous, il y a un proverbe qui dit : celui qui a le ventre vide est prêt à aller se battre ».