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Culture

Taslima Nasreen reçoit le prix Simone de Beauvoir

par Tirthankar Chanda

Article publié le 21/05/2008 Dernière mise à jour le 21/05/2008 à 14:53 TU

Taslima Nasreen.(Photo : DR)

Taslima Nasreen.
(Photo : DR)

La romancière Taslima Nasreen est à Paris à l’occasion du lancement de son nouveau livre, De ma prison, (Ed. Philippe Rey, 2008). Ce 32e ouvrage, sous la plume d’une des écrivaines les plus connues de l’Asie du Sud, réunit des textes poignants que Nasreen a écrits de sa prison « dorée » en Inde. Elle recevra également ce mercredi, des mains de la secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et aux droits de l’homme, Rama Yade, le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes dont elle est la première récipiendaire. Nasreen avait envoyé un mot au jury du prix, déclarant combien elle était touchée par sa décision de lui attribuer cette récompense « d’autant plus précieuse que Simone de Beauvoir a toujours été une grande inspiration pour moi », a-t-elle écrit.

Poète, romancière, essayiste, Taslima Nasreen s’est illustrée par ses écrits dénonçant la condition féminine dans son pays, le Bangladesh. Issue d’une famille aisée et cultivée, elle a commencé à écrire très tôt, dès l’âge de quinze ans, tout en excellant parallèlement dans le domaine des sciences. Elle a fait des études de médecine spécialisées en gynécologie et a exercé pendant huit dans un hôpital public de son pays. Dans ses poèmes, comme dans ses romans, elle ne s’est pas contentée de dire les maux dont souffrent les femmes de son pays.

Elle s’est également fait porte-parole des aspirations les plus intimes des femmes à qui le système patriarcal ne reconnaît ni le droit au désir ni la liberté de disposer de leur corps. « J’ai écrit sur le besoin qu’ont les femmes de comprendre pourquoi elles sont opprimées et pourquoi elles devraient lutter contre cette oppression, déclare-t-elle. Pendant des siècles, les femmes ont appris qu’elles sont les esclaves des hommes, qu’elles ne sont pas censées protester contre le système patriarcal, qu’elles doivent garder le silence face à ceux qui abusent d’elles. De sorte qu’il a été difficile pour les femmes d’accepter l’idée qu’elles sont, de fait, des êtres humains, et qu’elles ont le droit de vivre comme des êtres humains indépendants et égaux ».

Elle soigne le corps et l’âme

En tant que médecin gynécologue, Nasreen a vu de près les souffrances des femmes de son pays, l’impossibilité dans laquelle celles-ci se trouvaient souvent pour prendre des décisions concernant leur corps et leur sexualité. La romancière en a fait la matière de son œuvre singulière et subversive, racontant le drame des épouses qui se font battre parce qu’elles se refusent à leur mari, la souffrance des femmes contaminées par des époux syphilitiques ou atteints d’autres maladies. Elle a dénoncé ces situations dramatiques surtout dans ses essais, des rubriques qu’elle tenait dans des journaux progressistes qui ont fait sa réputation en tant qu’écrivaine militante et engagée.

Dans les années 1990, enhardie par le succès populaire de ses articles et de ses ouvrages, Nasreen s’en est prise directement à l’obscurantisme religieux. Selon elle, « l’islam seul est responsable des maux dont souffrent les femmes du Bangladesh ». A cet égard, l’année 1993 est un tournant dans la vie et la carrière de la jeune femme. Elle publie alors Lajja qui signifie « La honte » en bengali. Ce roman raconte les atrocités commises contre les minorités hindoues au Bangladesh en décembre 1992 suite à la destruction d’une mosquée de l’autre côté de la frontière, c’est-à-dire en Inde. Nasreen parle de véritables pogroms, accuse les fondamentalistes d’avoir attisé la haine communautaire et montre du doigt le gouvernement qui n’a rien fait pour protéger les minorités menacées.

Le livre se vend à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, mais il va déclencher la colère des fondamentalistes musulmans qui lancent une fatwa de mort contre elle. Ils accusent l’écrivain d’avoir porté atteinte par ses écrits à la sensibilité religieuse des musulmans. Traquée par ses ennemis, Taslima Nasreen ne peut plus vivre au Bangladesh et doit s’exiler. En août 1994, elle part s’installer en Europe où Lajja avait été entre-temps traduit et avait réussi à mobiliser l’opinion publique et les gouvernements en sa faveur.

« Bengalie à l’intérieur comme à l’extérieur »

Depuis, Taslima Nasreen a partagé sa vie entre Stockholm, Berlin et les Etats-Unis où vit sa sœur, avant de s’établir en 2005 à Calcutta (capitale du Bengale indien) afin de se rapprocher de cette culture bengalie dont elle est issue. Elle a besoin de la proximité avec la terre natale pour continuer d’écrire, acte qui est pour elle synonyme de vivre. « Tant que je survivrai, je porterai en moi les paysages du Bengale, son soleil, sa terre humide, son essence même », aime-t-elle dire. Ou encore: « Je suis bengalie, à l’intérieur comme à l’extérieur; je vis, je respire, je rêve en bengali ».

Mais malheureusement pour elle, les musulmans qui constituent un tiers de la population du Bengale indien, voient d’un très mauvais œil sa présence en Inde et réclament son départ. La situation s’envenime en 2007, suite à la proclamation d’une nouvelle fatwa demandant son expulsion. Des manifestations organisées par des fondamentalistes musulmans poussent le gouvernement local à l’éloigner du Bengale. L’éloignement qui devait durer quelques jours, s’éternise. Ballottée d’une province à l’autre, puis tenue pendant plusieurs mois enfermée dans un total isolement à Delhi par le gouvernement fédéral, Nasreen doit se résoudre à reprendre le chemin de l’Europe, avec dans la poche, la promesse « incertaine » qu’elle pourra un jour retourner à Calcutta, retrouver « mon chat, mes livres, mon bureau », dit-elle. « En attendant, je me sens comme un poisson condamné à vivre hors de l’eau ...», explique-t-elle, les yeux remplis de larmes longtemps refoulées.

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Taslima Nasreen, le 9 août 2007.(Photo : AFP)

Culture vive

Invitée : Taslima Nasreen

21/05/2008