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Pakistan

L'éducation des filles menacée par les talibans

Article publié le 06/06/2008 Dernière mise à jour le 06/06/2008 à 16:28 TU

La vallée de Swat était jusque récemment l'une des destinations touristiques les plus prisées des Pakistanais. La région était également connue sous le nom de « Petite Suisse ». Mais depuis 2007, les talibans pakistanais se sont emparés de la vallée pour tenter d'y imposer leurs lois. A l’automne 2007, l'armée et les militants extrémistes se sont affrontés dans de violents combats et la zone a été fermée aux étrangers. Le 21 mai dernier, le nouveau gouvernement d'Islamabad a passé des accords de paix avec les talibans. L'armée devrait progressivement se retirer de la région et les militants renforcer la charia, la loi islamique. En échange de quoi les extrémistes se sont engagés à ne plus commettre d'attentats à la bombe. Dans ce contexte difficile, où en est l'éducation des filles ?

Des filles, élèves de l'école primaire préparatoire de Pitao Banda, dans la province frontalière du nord-ouest du Pakistan.( Photo : Unicef Pakistan/Zaidi )

Des filles, élèves de l'école primaire préparatoire de Pitao Banda, dans la province frontalière du nord-ouest du Pakistan.
( Photo : Unicef Pakistan/Zaidi )


De notre envoyée spéciale à
Mingora, Nadia Blétry

En 2007, les talibans pakistanais ont investi la vallée de Swat, une région située à 150 kilomètres d’Islamabad. Depuis, l’éducation des filles est devenue problématique. Une dizaine d’établissements scolaires pour filles ont été incendiés ou plastiqués. Un accord de paix vient d’être passé entre le gouvernement et les militants islamistes. Les attaques meurtrières ont cessé mais la population de la vallée, toujours sous le choc, se sent encore très menacée.

Aujourd’hui, Marala, écolière d’une dizaine d’années, redoute aussi bien les attentats des talibans que la présence de l’armée : « Quand je viens à l’école, j’ai toujours peur qu’une bombe explose. Quand il y a des hélicoptères de l’armée qui passent dans le ciel, j’ai peur aussi. Notre vallée était un endroit paisible mais maintenant c’est fini. » Mingora, ville principale de la vallée de Swat, porte toujours les traces des combats qui ont opposé l’armée aux talibans au cours de ces derniers mois. En plein cœur de la ville, plusieurs bâtiments ont été entièrement soufflés par des explosions.

C’est justement à deux pas de l’un de ces immeubles effondrés, que Muslim Khan, porte-parole des talibans de la vallée s’entretient avec ses hommes, dans une cave. Le taliban, à la barbe blanche et au turban noir, défend sa vision de l’éducation : « Nous n’attaquons pas les écoles de filles, nous ne sommes pas contre l’éducation des filles…mais nous sommes contre l’éducation mixte. Le Pakistan est un pays musulman qui devrait agir en conformité avec un système islamique. Dans la société, il doit y avoir une séparation entre les hommes et les femmes. Si la société pakistanaise est pervertie, c’est justement à cause de ce mauvais système éducatif au Pakistan ».

« Aujourd’hui, c’est un enfer »

Difficile de croire que les talibans ne sont pas réfractaires à l’éducation des filles quand on voit cette école brûlée à Ningolai, un petit village situé à une quinzaine de kilomètres au nord de Mingora. De l’école, il ne reste qu’un tas de ruine. L’école a été attaquée le jour même où les accords de paix ont été passés entre le gouvernement et les militants. Aujourd’hui, la classe se tient sous des tentes mais la plupart des petites filles ne viennent plus à l’école. Comme le souligne Inayat Ullah, le directeur : « Avant, on avait six classes de filles. Maintenant elles viennent de moins en moins. Aujourd’hui par exemple, il n’y aucune écolière de la classe 6, aucune de la classe 5 et je n’ai vu que deux petites filles qui font partie de la classe 4. »

( Photo : Unicef Pakistan/Zaidi )

( Photo : Unicef Pakistan/Zaidi )

La trêve négociée par le gouvernement ne parvient pas vraiment à rassurer. Les habitants de Ningolai expliquent que certains talibans sont des membres du village et que les accords de paix vont renforcer leur pouvoir, en leur conférant une impunité totale. « Il y a certains talibans que j’identifie parfaitement. Je les connais, ce sont des gens du village qui ont épousé la cause des militants. On connaît leur famille, on les connaît. Depuis des mois, ils nous terrorisent. Et maintenant avec l’accord de paix, ils vont pouvoir vivre tranquillement dans le village. Je connais leur nom mais je ne le dirai pas parce que de toute façon, le gouvernement leur a accordé le pardon. On n’a pas d’autre choix que d’accepter ça, même si ce n’est pas juste », explique, sous couvert d’anonymat, un habitant de Ningolai.

Quant aux onze enseignantes de l’établissement scolaire du village, elles ont été renvoyées pour ne pas attiser la colère des militants peu favorables au travail des femmes. Myriam est elle aussi institutrice mais elle travaille dans le centre de Mingora. Elle est soutenue par sa direction et refuse de céder aux menaces. « S’il n’y a plus d’enseignante, alors les parents n’autoriseront plus leurs filles à aller à l’école. Bien sûr,  il y a toujours des rumeurs qui disent que ce n’est pas bon pour les filles de recevoir de l’éducation… qu’elles devraient rester à la maison, porter une burka et ne pas sortir dans la rue si elles ne sont pas accompagnées par un homme… C’est difficile pour nous, vraiment, vraiment difficile. On n’est pas libre de vivre notre vie, pas du tout…on ne peut pas vivre librement. Swat était connue pour être un paradis mais aujourd’hui, c’est un enfer ». En un an, l’ancienne vallée touristique a profondément changé.

Ecouter le reportage

Pakistan : l’éducation des filles reste très précaire

Avant, il y avait six classes de filles, maintenant elles viennent de moins en moins (…).Quant aux 11 enseignantes de l’établissement scolaire, elles ont été renvoyées pour ne pas attiser la colère des militants peu favorables au travail des femmes.

06/06/2008 par Nadia Blétry