par Stéphanie Maupas
Article publié le 10/06/2008 Dernière mise à jour le 10/06/2008 à 14:58 TU
Le Rwanda a annoncé son intention de conduire un procès pour crimes de guerre à l’encontre de quatre rwandais membres de l’armée régulière. Une décision soutenue par le procureur du tribunal pénal international pour le Rwanda. Elle constitue une nouvelle étape dans le bras de fer politico-judiciaire qui envenime depuis huit ans les relations du tribunal international avec Kigali.
Depuis cinq ans, le procureur du tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), Hassan Bubacar Jallow, avait repoussé l’échéance. Mais le 4 juin, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, il annonçait ouvertement son intention de laisser à Kigali le soin de juger ses propres officiers. « En 1994, déclarait M. Jallow, des soldats du FPR [Front patriotique rwandais, au pouvoir] ont tué près de 13 hommes d’Eglise, y compris cinq évêques, et deux autres civils à la paroisse de Kabgayi », au centre du Rwanda. « Certains des auteurs de ces crimes seraient morts, expliquait-il à New York, alors que d’autres servent actuellement dans l’armée régulière ». Pour autant, le procureur du TPIR ne compte pas conduire de tels procès. « J’espère que ces poursuites seront menées par le Rwanda, déclarait-il, de manière à contribuer efficacement à la réconciliation dans le pays ». S’exprimant à son tour, le procureur général du Rwanda, Martin Ngoga, assurait que le pays est disposé « à mener le procès dans le strict respect des normes et des principes d’un procès équitable ».
Un long feuilleton politico-judiciaire
La poursuite des crimes commis par des officiers de l’armée patriotique rwandaise pendant le génocide de 1994 est l’objet d’un long feuilleton politico-judiciaire qui envenime depuis huit ans les relations entre Kigali et le tribunal international basé à Arusha, en Tanzanie. Le génocide des tutsis du Rwanda, qui aurait fait près de 800 000 morts, s’était déroulé sur fond de guerre civile, déclenchée le 1er octobre 1990 par les troupes du Front patriotique rwandais (FPR). A la faveur du chaos, les rebelles s’étaient emparés du pouvoir le 4 juillet 1994, en repoussant les extrémistes. En novembre 1994, le Conseil de sécurité des Nations unies mettait en place un tribunal international qui depuis sa création a poursuivi les principaux responsables du génocide. Mais les anciens rebelles, aux commandes à Kigali, pourtant suspectés de crimes de guerre, sont restés intouchables.
Des « héros » au banc des accusés
Pour comprendre l’issue de cette affaire, il faut remonter à l’été 2000. Fraîchement désignée procureur général du TPIR, Carla del Ponte décidait d’ouvrir une enquête sur les crimes commis par l’Armée patriotique rwandaise et n’en faisait pas mystère. Les hommes du département des enquêtes spéciales du TPIR avançaient alors sur trois dossiers différents, dont celui concernant les crimes commis contre des religieux à Kabgayi. Rapidement, Kigali marquait son opposition en posant de nouvelles conditions à la venue des témoins, appelés à comparaître dans les procès pour génocide à Arusha, paralysant ainsi le tribunal. Pour les autorités rwandaises, l’inculpation de ses propres officiers, considérés dans la terminologie officielle comme des « héros », était inconcevable. Elle pouvait en outre conduire à celle de son chef, en qualité de supérieur hiérarchique, le président Paul Kagame.
Une justice de « vainqueurs »
En mai 2003, l’ambassadeur américain pour les crimes de guerre, Pierre-Richard Prosper organisait une rencontre à Washington entre le procureur général du Rwanda, Gérald Gahima et Carla del Ponte. Il proposait que la suissesse remette ses dossiers à la justice rwandaise. Mais Carla del Ponte était finalement évincée. Et c’est donc son successeur, Hassan Bubacar Jallow, qui, cinq ans plus tard, met en œuvre l’accord de Washington. Sa nomination par New York avait été assortie d’une résolution qui le contraignait à poursuivre ses enquêtes sur les soldats du FPR, mais pas à en poursuivre les auteurs. Hassan Bubacar Jallow a néanmoins assuré au Conseil de sécurité que le dossier resterait ouvert à Arusha. Le parquet suivra de près la procédure enclenchée à Kigali, et le cas échéant, s’en saisira, a-t-il affirmé. Mais cette décision du procureur constitue un revers pour les juges du TPIR. Fin mai, ils avaient refusé de remettre des dossiers concernant des auteurs présumés de génocide au Rwanda, estimant que le système judiciaire rwandais était l’objet de pressions politiques. Or cette fois, les juges n’auront pas à se prononcer car aucun acte d’accusation n’a été délivré par le procureur contre les responsables présumés de ces crimes.
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