par Piotr Moszynski
Article publié le 13/06/2008 Dernière mise à jour le 13/06/2008 à 23:30 TU
A Bruxelles, des partisans du « non » applaudissent de joie, à l'annonce des résultats du référendum irlandais rejetant le Traité de Lisbonne, le 13 juin 2008.
(Photo : Reuters)
« L'officier chargé d'annoncer les résultats a eu bien du mal à finir son discours ».
Décidément, le vendredi 13 a porté malheur à l’Europe en général et au Traité de Lisbonne en particulier. Le seul pays de l’Union européenne obligé, de par sa Constitution, d’organiser un référendum sur la ratification du texte, a voté « non ». Cela porte un très mauvais coup surtout aux réformes des institutions européennes, prévues dans le traité et indispensables depuis que l’UE fonctionne à 27 avec les institutions établies pour 12-15 pays.
Ces réformes risquent d’être de nouveau retardées, car le Traité de Lisbonne ne peut pas entrer en vigueur tant que tous les Etats membres de l’Union sans exception ne l’auront pas ratifié. Or, ces réformes ont déjà subi plusieurs retards, alors que l’Europe les attend depuis longtemps, en particulier depuis les derniers élargissements en 2004 et 2007.
Crises, menaces, coups de frein
Jusqu’à maintenant, le plus sérieux coup de frein a été donné en 2005 par les « non » français et néerlandais à la Constitution européenne. Le « non » irlandais risque de replonger l’Europe non seulement dans une crise institutionnelle, mais également dans une crise d’identité. Or l’Europe ne peut se permettre, ni de continuer à fonctionner avec des institutions inadaptées à sa forme actuelle, ce qui crée un risque de paralysie décisionnelle, ni de contempler son propre nombril afin de le rendre encore plus beau. Cette crise institutionnelle et identitaire tombe au plus mauvais moment. En effet, le monde, de plus en plus globalisé et changeant à une vitesse cosmique, n’a aucune intention d’attendre que l’Europe règle ses problèmes connus depuis des années et qu’elle se ressaisisse.
Les responsables européens se rendent évidemment compte des menaces qui pèsent sur toute la construction européenne si rien n’est fait pour sauver le Traité de Lisbonne malgré le « non » irlandais. Ils commencent désormais à se concerter et les décisions devraient être prises assez rapidement, très probablement lors du prochain sommet de l’UE, prévu de toutes façons le 19 et le 20 juin.
Il est vrai que certains pays ont de réelles raisons de se réjouir du blocage du Traité de Lisbonne car le traité actuellement en vigueur – celui de Nice – les privilégie sur le plan du nombre des voix au Conseil des ministres de l’UE. Il s’agit notamment de l’Espagne et de la Pologne. Mais, même elles, appellent à rechercher une solution qui permette de sauver l’essentiel du document rejeté par les Irlandais. Le ministre polonais de la Défense, Bogdan Klich, a dit respecter la « souveraine » décision irlandaise, tout en la jugeant de manière « critique ». Il a en même temps appelé l’UE à proposer rapidement des « fusibles » qui pourraient convaincre les Irlandais d’accepter le traité dans un « nouveau référendum », organisé dès que possible. Selon le Premier ministre polonais Donald Tusk : « Le référendum en Irlande ne disqualifie pas le Traité (de Lisbonne). De manière efficace, nous allons chercher un chemin pour le mettre en œuvre malgré tout. Indépendamment des résultats du référendum en Irlande, je pense que nous sommes aujourd’hui en mesure de délivrer un communiqué modérément optimiste – l’Europe trouvera plutôt un moyen pour que ce traité entre en vigueur ».
A la recherche d’un moyen magique
Quel pourrait être ce « moyen » magique ? On ne peut que rappeler des solutions envisagées théoriquement dans les milieux politiques européens depuis déjà un certain temps.
D’abord, on pourrait proposer aux Irlandais quelques aménagements du traité pour qu’ils puissent estimer qu’il réponde mieux à leurs attentes. Si l’Irlande l’accepte, il serait possible d’organiser un nouveau référendum assez rapidement pour que le Traité de Lisbonne puisse entrer en vigueur au plus tard après les élections au Parlement européen de juin 2009.
Les récentes déclarations de plusieurs hommes politiques de premier rang – notamment celles de Bernard Kouchner et de Donald Tusk – semblent confirmer une nette préférence des responsables européens pour cette solution. L’ennui, c’est que l’on ne sait manifestement pas encore quelle offre concrète pourrait être présentée aux Irlandais pour les convaincre de voter « oui ». Et puis, soyons francs, cela fait un peu moche et cela n’honore pas trop la démocratie européenne de faire revoter, dans un laps de temps très court, le même texte légèrement modifié, juste pour forcer la main d’un peuple afin qu’il accepte enfin un document initialement rejeté.
De l’autre côté, on peut aussi souligner que les Irlandais ne constituent qu’à peine 1% de la population de l’Union et qu’il y a quand même quelque chose d’anormal de les laisser bloquer tout le monde. C’est d’autant plus vrai que 18 autres Etats ont déjà ratifié le traité.
Continuer ? Renégocier ?
L’UE pourrait également continuer avec le Traité de Nice. Les inconvénients de cette issue sont nombreux et l’Union cherche désespérément à sortir de ce traité pratiquement depuis sa signature, le considérant comme une de ses plus grosses erreurs. Parmi beaucoup d’autres, citons juste deux absurdités assez évidentes. Le Traité de Nice limite l'influence du Parlement européen, alors qu'il est considéré comme l'organe le plus démocratique de l'UE. Le traité rend particulièrement compliquée l'entrée de nouveaux pays dans l'UE. En effet, il oblige à recalculer le poids de vote de chaque pays à chaque nouvel élargissement. En maintenant en vie le Traité de Nice, il faudrait entamer de difficiles négociations en ce sens déjà vers 2010, date prévue de l’adhésion de la Croatie à l’Union. Mais qui sait ? – il faudra peut-être faire avec.
Ensuite, on pourrait proposer une renégociation générale du Traité de Lisbonne. Officiellement rejetée par tous les responsables européens, cette solution serait un véritable cauchemar diplomatique, le Traité de Lisbonne étant déjà lui-même le fruit d’une très difficile renégociation. Mais qui sait ? – l’UE sera peut-être contrainte de se prêter à cet exercice dur et rocambolesque à la fois.
Enfin, l’Irlande pourrait négocier son retrait des politiques européennes autres que le marché commun et l’euro. Autrement dit, elle pourrait vivre à la marge de l’UE, un peu dedans, un peu dehors – sans toutefois pouvoir la quitter car les traités actuels ne contiennent pas une telle possibilité (ce n’est que le Traité de Lisbonne qui le permet, mais il vient d’être rejeté par l’Irlande elle-même…).
Les résultats du vote irlandais compliquent singulièrement la vie à l’Union européenne, et en particulier à la présidence française qui commence le 1er juillet prochain. Elle pourra peut-être toujours se consacrer – comme c’était prévu – à la préparation de la mise en œuvre du Traité de Lisbonne. Mais la condition sine qua non en est de trouver très rapidement une solution originale et efficace au problème créé par le référendum irlandais.
« Cette victoire du 'non' s'explique surtout par l'incompréhension des Irlandais, ils n'ont pas compris la question qu'on leur posait ».
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