par Piotr Moszynski
Article publié le 11/06/2008 Dernière mise à jour le 12/06/2008 à 23:55 TU
Trois millions d'électeurs irlandais doivent se prononcer, jeudi par référendum, sur le traité de Lisbonne. L'issue du vote est incertaine. En cas de rejet du texte, des solutions de secours existent, mais elles seraient compliquées à appliquer.
Un poster en faveur du oui irlandais au référendum pour la ratification du Traité de Lisbonne, devant des immeubles abandonnés du quartier de Ballymun, au nord de Dublin, le 11 juin 2008.
(Photo : Reuters)
Il y a des signes qui ne trompent pas. Le Parlement français devait débattre ce mercredi de la présidence française de l’UE, qui commence dans moins de trois semaines. Or le débat vient d’être reporté au 17 juin au Sénat et au 18 juin à l’Assemblée nationale. Raison invoquée : il serait mal venu de discuter de la présidence française, qui se fixe entre autres priorités la mise en œuvre du Traité de Lisbonne, alors que la ratification du Traité risque d’être bloquée par les Irlandais le lendemain du débat. Il vaut mieux attendre leur vote et discuter après, en toute connaissance de cause.
La crainte est donc réelle. L’Europe – surtout l’Europe institutionnelle et politique – est vraiment inquiète. Et pour cause. Un « non » irlandais risquerait de retarder les réformes institutionnelles dont l’Union européenne a besoin, en particulier depuis qu’elle fonctionne à 27 avec les institutions conçues pour 12-15 pays membres. Elles ont déjà été retardées par les « non » français et néerlandais de 2005. Or sans ces réformes, il sera difficile à l’Europe d’avancer et de s’occuper enfin à plein temps de défis qui l’attendent. Ou, plus exactement, qui ne l’attendent plus. Car, aussi curieux et scandaleux que cela puisse paraître, la mondialisation et l’émergence de nouveaux pôles de concurrence dans le monde ne s’arrêtent pas pour attendre patiemment jusqu’à ce que l’Europe veuille bien rendre enfin ses institutions plus efficaces et mieux adaptées à la nouvelle situation.
Appels des politiques
Ainsi, il n’est pas surprenant de voir certains hommes politiques européens perdre un peu leur sang-froid à l’approche de la date fatidique du référendum irlandais. C’était promis et juré : tout le monde devait rester discret et éviter à tout prix les sujets qui fâchent, afin de ne pas créer une réaction de rejet chez les Irlandais. Cependant, en lisant, vendredi dernier, les résultats d’un sondage qui donnait le « non » à 35% et le « oui » 30%, avec 20% d’indécis, certains responsables européens ont dû se dire que la méthode employée n’était peut-être pas la bonne. Ils se sont donc mis à parler.
Le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, a ouvertement appelé les Irlandais à voter « oui », tout en reconnaissant que les dirigeants européens parlaient un jargon incompréhensible à leurs citoyens. Selon Juncker, ils devraient donc « s’appliquer à parler la langue de ceux qu’ils gouvernent ». La ministre autrichienne des Affaires étrangères, Ursula Plassnik, a préféré au mea culpa un cocktail de compliments et d’incitations aux remords. Elle a rappelé le surnom de « tigre celtique » que l’Irlande a bien mérité, tout en soulignant discrètement que le boom économique que le pays a connu était dû en grande partie aux « chances qu’offre une Europe unie ». Le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner est allé encore un peu plus loin. Non seulement il a utilisé un argument basé sur la peur en avertissant les Irlandais qu’ils seraient eux-mêmes « les premières victimes » d’un « non », mais il s’est carrément distancé de la ligne officielle de Bruxelles, selon laquelle il n’y aurait aucun « plan B » à proposer si le référendum irlandais apportait une réponse négative. Selon le ministre, dans ce cas de figure, la France, en tant que prochaine présidente de l’UE, devrait « s’acharner, aller très vite et tenter de convaincre les Irlandais qui ont déjà revoté une fois à propos du Traité de Nice ».
Paris opterait donc, si le pire arrivait, pour une organisation rapide d’un nouveau référendum en Irlande, en espérant, cette fois, un « oui ». C’est une de solutions possibles. En effet, il est théoriquement envisageable de proposer des légers aménagements du traité allant dans le sens des souhaits des Irlandais – et d’eux seuls, pour éviter une renégociation générale. L’ennui, c’est qu’il serait très difficile de définir les modifications à apporter au traité, le camp du « non » en Irlande exprimant des peurs les plus disparates et allant dans tous les sens possibles et imaginables. Il y a celle d’une légalisation de l’avortement, celle d’une modification du système fiscal, celle de la suppression des subventions agricoles et même celle de l’autorisation de détenir les enfants dès l’âge de quatre ans… Néanmoins, si l’on réussissait à faire revoter le texte positivement dans un délai assez court, le Traité de Lisbonne pourrait entrer en vigueur presque au moment prévu - sinon au 1er janvier, du moins après les élections européennes de juin 2009.
Voies de secours
Quelles sont d’autres voies de sortie possibles si celle-ci se referme ?
D’abord, l’UE pourrait choisir l’option du statu quo et continuer avec le Traité de Nice. Les inconvénients de cette issue sont nombreux, mais l’on peut toujours se dire : « Tant pis, il faut faire avec ». Avec Nice, la plupart des décisions doivent être prises à l'unanimité, ce qui est beaucoup plus difficile à 27 pays qu'à 15. Les votes à la majorité qualifiée se font selon un système de poids attribué à chaque pays. Il avantage l'Espagne et la Pologne. A la limite, on peut donc se consoler, car dans ce cas de figure il y aurait quand même au moins deux pays contents. Ce qui est moins réjouissant pour tout le monde, c’est que le Traité de Nice limite l'influence du Parlement européen, alors qu'il est considéré comme l'organe le plus « démocratique » de l'UE. Nice rend surtout particulièrement compliquée l'entrée de nouveaux pays dans l'UE. En effet, le traité oblige à recalculer le poids de vote de chaque pays à chaque fois. Or la Croatie doit rejoindre l’Union déjà vers 2010.
Ensuite, on pourrait proposer une renégociation générale du Traité de Lisbonne. Cette hypothèse est officiellement rejetée par tous les responsables européens. On peut toujours dire qu’ils excluaient aussi de renégocier la Constitution européenne rejetée par la France et les Pays-Bas en 2005 – et pourtant, ils l’ont fait. Mais il est vrai que cette solution serait un cauchemar diplomatique, le Traité de Lisbonne étant déjà lui-même justement le fruit d’une très difficile renégociation.
Enfin, l’Irlande pourrait négocier son retrait des politiques européennes autres que le marché commun et l’euro. Son retrait pur et simple de l’Union européenne n’est en revanche pas envisageable, car les traités actuels ne donnent pas cette possibilité aux pays membres. Paradoxalement, c’est le Traité de Lisbonne qui prévoit une clause de sortie – mais l’Irlande, ayant éventuellement bloqué sa mise en œuvre, ne pourrait pas en bénéficier…
La solution la plus simple et la plus bénéfique pour tout le monde serait donc de voir les Irlandais voter « oui ». Mais – et c’est le principal charme de la démocratie – personne ne peut le garantir.
Sur le même sujet
A écouter
« La campagne électorale très animée entre partisans du oui et du non encouragera peut-être les électeurs à participer au scrutin ».
12/06/2008 par Béatrice Leveillé
Je ne suis pas sûr à cent pour cent, je voterai probablement «oui» mais nous ne savons pas pourquoi nous votons.
12/06/2008 par Béatrice Leveillé
« Dans le centre de Dublin, les partisans du non haranguaient les passants pour leur expliquer que le traité de Lisbonne menace les intérêts des travailleurs. »
12/06/2008 par Béatrice Leveillé
A lire