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Colombie/Otages

Après les libérations, des questions

par Jean-Pierre Boris

Article publié le 04/07/2008 Dernière mise à jour le 04/07/2008 à 15:30 TU

La libération d’Ingrid Betancourt et des 14 autres otages a-t-elle été négociée avec les FARC ? C’est l’hypothèse avancée par la radio publique helvétique. Elle affirme que la direction des FARC a touché une rançon pour libérer ces otages. Ces libérations représentent néanmoins une victoire politique pour le président Uribe qui a renforcé, d’année en année, sa stratégie de lutte contre les guérillas installées dans la jungle colombienne.
Les FARC ont enlevé Ingrid Betancourt en février 2002.(Photo : Wikipedia)

Les FARC ont enlevé Ingrid Betancourt en février 2002.
(Photo : Wikipedia)

Chaque étape du retour à la liberté d’Ingrid Betancourt est pour elle et les siens un moment d’émotion. Pour le président Alvaro Uribe, chacun de ces moments est un triomphe. La libération des quinze otages, pris à la guérilla, vaut en effet validation de la stratégie du président colombien.

Depuis sa première campagne présidentielle, fin 2001 et surtout son élection en avril 2002, Alvaro Uribe prône la manière forte contre les Forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC. Pas question pour lui, comme son prédécesseur Andrés Pastrana l’avait fait, de leur concéder le moindre kilomètre carré du territoire colombien pour entamer une négociation humanitaire, loin de la présence de l’armée nationale. Au contraire, à rebours de ce qui avait été fait par tous ses prédécesseurs, Alvaro Uribe a réellement déclaré la guerre à la guérilla colombienne.

Jusqu’à son accession au pouvoir, les différents présidents installés au palais Nariño, à Bogotá avaient, quoi qu’on en dise, accepté de coexister avec ce puissant mouvement armé. Les pouvoirs publics colombiens et les FARC se partageaient le territoire. Territoire immense, vaste comme deux fois la France, traversé par trois chaînes de montagnes, trois Cordillères des Andes,  et sur lequel de vastes zones sont occupées par des forêts difficilement pénétrables.

Le pouvoir civil gérait donc l’essentiel du pays, surtout le pays urbain et avait abandonné d’importants secteurs du pays à la guérilla. Un partage du pouvoir qui avait été quelque peu compliqué par l’émergence des cartels de la drogue puis des groupes paramilitaires venus contester la domination territoriale des FARC.

La stratégie de force d’Alvaro Uribe

Avec l’arrivée au pouvoir d’Alvaro Uribe, le paysage politique change radicalement. Le chef de l’Etat colombien renforce systématiquement les forces armées. Avec l’aide des Etats-Unis, qui consacrent sept milliards de dollars à la lutte contre les différents mouvements insurrectionnels colombiens, Uribe multiplie par trois les effectifs militaires.

L’armée colombienne est aujourd’hui forte de 390 000 hommes. Ceux-ci sont mieux formés, mieux armés. Les services de renseignement voient leur poids accru. Ils reçoivent le concours des spécialistes américains et surtout israéliens.

Il semble que l’opération de récupération d’Ingrid Betancourt ait, en particulier, bénéficié de l’appui de spécialistes israéliens. Selon le porte-parole de l’armée israélienne, cité par la radio militaire, deux officiers supérieurs depuis peu à la retraite et leur société spécialisée dans le conseil en sécurité, CST, ont ainsi bénéficié d’un contrat de dix millions de dollars pour épauler les forces spéciales colombiennes dans leur lutte contre les FARC. Cela dit, les spécialistes israéliens gardent un profil bas. « Nous ne voulons pas être crédités d’une action que nous n’avons pas faite », ont-ils expliqué.         

Ne pas enterrer trop vite les FARC

Tout le crédit de l’exfiltration d’Ingrid Betancourt est donc à porter au bénéfice d’Alvaro Uribe. Celui-ci va poursuivre au cours des mois à venir sa politique de dislocation et d’infiltration de la guérilla. Celle-ci n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. La puissante organisation, à la structure verticale, à la discipline de fer, où les candidats à la désertion étaient menacés de mort s’ils étaient repris, est en train de perdre pied.

Selon les chiffres officiels, depuis trois mois, les désertions se font au rythme de neuf par jour. Ingrid Betancourt elle-même a confirmé qu’un nombre croissant de ses ex-geôliers se posaient des questions quant à leur présence dans le maquis. Les communications entre les 73 fronts de la guérilla sont devenues impossibles. Les moyens technologiques de l’armée ainsi que les satellites américains permettent de détecter les communications entre les différents responsables de la guérilla. C’est ce qui a permis de bombarder, le 1er mars dernier, le camp dans lequel se trouvait Raul Reyes, n°2 des FARC et de tuer ce dernier.

Dans ces conditions, le combat engagé par Alvaro Uribe ne peut que redoubler d’intensité. Pourtant, si la libération des quinze otages dont Ingrid Betancourt, est un coup très dur pour la guérilla, si elle subit là une terrible défaite politique et militaire, on ne peut quand même pas l’enterrer trop vite. Même désorganisés, démoralisés, même isolés, les combattants de la guérilla sont encore assez nombreux pour troubler la paix civile colombienne, surtout s’ils renforcent leur alliance avec les cartels de la drogue.

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