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Géorgie

Mikheïl Saakachvili : l’impulsif ?

par Julie Lerat

Article publié le 13/08/2008 Dernière mise à jour le 13/08/2008 à 19:14 TU

Le héros de la « révolution des roses » est aujourd’hui dans une situation délicate. Après l’échec de son coup de force militaire pour reprendre le contrôle de l’Ossétie du sud, Mikheïl Saakachvili a perdu une partie de ses alliés occidentaux. Son pouvoir risque également d’être contesté par l’opposition géorgienne. 

Le président géorgien, Mikheïl Saakachvili.(Photo : AFP)

Le président géorgien, Mikheïl Saakachvili.
(Photo : AFP)

Il y a 5 ans, il entrait dans le Parlement une rose à la main. Mikheïl Saakachvili s’apprêtait alors à devenir le plus jeune chef d’Etat européen. A 36 ans, soutenu par une foule de milliers de manifestants, il renversait le président Edouard Chevardnadze, un apparatchik de l’ère soviétique, au pouvoir depuis 11 ans. L’homme de la « révolution des roses » tournait une page de l’histoire de la Géorgie. Avec lui, le pays se rapprocherait de l’Occident, et en finirait avec la corruption. En janvier 2004, Mikheïl Saakachvili était élu président de la Géorgie avec 96% des voix.

La mèche brune soigneusement plaquée sur le front, le costume ajusté, Mikheïl Saakachvili incarne alors les rêves de démocratie des Géorgiens. « Micha », comme le surnomment ses amis, a tout du dirigeant moderne. Il a l’énergie, la fougue et la jeunesse. Il a l’éducation, aussi. Mikheïl Saakachvili a suivi des études de droit, d’abord en Ukraine, puis en France et aux Etats-Unis, où il a travaillé dans un cabinet d’avocats. Polyglotte, il maîtrise le russe, l’ukrainien, le français et l’anglais, en plus de sa langue natale.

Du révolutionnaire, il a aussi les idéaux. A peine arrivé au pouvoir, il se lance dans une croisade contre la corruption, quitte à heurter les hommes de pouvoir. Il promet une amélioration des salaires et des retraites. Favorable à une politique économique libérale, il veut un pays tourné vers l’Occident, et un marché ouvert. Au-delà des frontières géorgiennes, il devient un symbole. « Sa » révolution des roses sera suivie par la révolution orange en Ukraine en 2004, et par la révolution des tulipes au Kirghizstan en 2005.

Le temps des désillusions

Il faudra pourtant peu de temps, pour que la rose se fane. Les réformes sont en route, certes. Mais rapidement, des défenseurs des droits de l’homme critiquent son style autoritaire. Ses amis et alliés le quittent, pour rejoindre l’opposition. Il est trop impatient, trop impulsif, arrogant. Dans le cadre d’une réforme de la Constitution, il renforce ses pouvoirs.

En novembre 2007, l’opposition géorgienne descend dans la rue avec un seul objectif : se débarrasser de Mikheïl Saakachvili. Le parti du président vient de remporter des élections législatives marquées par de nombreuses irrégularités. La foule de manifestants est dispersée par les forces spéciales, qui prennent d’assaut les bâtiments de la télévision d’opposition. Mikheïl Saakachvili instaure l’état d’urgence pendant neuf jours.

« Qu’est-il arrivé à Saakachvili ? », se demande alors David Ushupahvili, un membre de la coalition d’opposition, interrogé par le Figaro. « Il était tellement populaire. Peu de gens peuvent résister à ça. Il a concentré entre ses mains tellement de pouvoir qu’il a renversé toutes les barrières et toutes les garanties institutionnelles ». Sûr de lui, Mikheïl Saakachvili tente alors le tout pour le tout. Il veut trancher, aller vite, et convoque l’élection présidentielle anticipée, qu’il remporte en janvier 2008 avec un peu plus de 53% des suffrages.

Un dirigeant impatient et impulsif

Son deuxième mandat, il l’a obtenu en basant sa campagne sur l’intégrité territoriale et la fin des séparatismes ossètes et abkhazes. Il fait de l’adhésion de la Géorgie à l’Otan et à l’Union européenne une priorité. Mikheïl Saakachvili, est aussi le « chouchou » de l’Occident. Celui qui a réussi à nouer des liens très étroits avec l’administration Bush – l’envoi de 2 000 soldats géorgiens en Irak aidant. Il a d’ailleurs baptisé « autoroute George W. Bush » la route reliant l’aéroport au centre ville de Tbilissi, et fait hisser le drapeau européen en plein cœur de la capitale géorgienne. Depuis le début de la guerre contre la Russie, Mikheïl Saakachvili s’exprime en priorité et pendant de longues minutes sur la chaîne américaine CNN. Dès ses débuts en politique, il a su manier la communication à merveille.

Mais depuis qu’il a donné l’ordre à ses troupes d’envahir l’Ossétie du Sud, son image a changé. On le dit encore plus impulsif et imprévisible. Cet apprenti-sorcier aimerait les « coups de poker ». Mais son impatience lui aurait joué des tours. Mikheïl Saakachvili aurait fait un mauvais calcul, pensant qu’en ce 8 août 2008, tous les regards seraient tournés vers Pékin et les Jeux Olympiques. Il aurait sous-estimé la réaction russe. « Pour lui, c’était l’occasion de tester les Russes. Et il est servi. Il a effectivement joué avec le feu, a commenté Hélène Carrère d’Encausse, spécialiste de la Russie. Quand les pays baltes s’étaient émancipés, j’avais dit au président lituanien que les Russes n’allaient pas bouger. Si Saakachvili m’avait posé la même question la semaine dernière, il n’aurait pas eu la même réponse ».

Un avenir compromis

Mikheïl Saakachvili aurait également surestimé le soutien de ses alliés occidentaux. Le secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer, assure encore que « la Géorgie rejoindra un jour l’Otan ». Mais il semble clair qu’en s’aventurant dans une tentative de reconquête de l’Ossétie du Sud, Mikheïl Saakachvili a perdu une partie de ses alliés européens.

« L’homme des américains » agace également Moscou. Les dirigeants russes voudraient voir son régime s’effondrer, et le disent à demi-mots. « Monsieur Saakachvili ne peut plus être notre partenaire et ce serait mieux s’il partait », a déclaré le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov.

Déjà contesté avant le conflit par une opposition de plus en plus nombreuse, il pourrait également subir au plan national les conséquences de la défaite géorgienne. Tant que l’armée russe n’a pas définitivement quitté le territoire géorgien, Mikheïl Saakachvili peut encore bénéficier d’un sentiment d’unité nationale face à la menace russe. Mais son avenir à la tête de la Géorgie risque par la suite d’être remis en question.

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