par Valérie Lainé
Article publié le 29/08/2008 Dernière mise à jour le 30/08/2008 à 00:51 TU
Des soldats russes font une pause près du village géorgien d'Igoïeti, le 16 août 2008.
(Photo : Reuters)
Condamner et après ?
A travers toute l’Union, la condamnation de l’attitude russe est unanime. Qu’il s’agisse d’attaquer des populations civiles, de provoquer le déplacement de réfugiés ou de modifier des frontières par la force, la politique de Moscou contrarie profondément tous les principes et les valeurs dont l’Europe se réclame. Mais après avoir communié dans cette unanime réprobation, les 27 sont confrontés à leurs propres contradictions pour obtenir sur le terrain une évolution conforme à leurs attentes.
Les plus sévères à l’égard de la Russie pour avoir souffert de sa domination, qu’il s’agisse des pays de l’Est ou des trois pays baltes, anciens membres à part entière de l’ex-URSS, estiment qu’il convient d’assumer une véritable confrontation. Pas question pour eux de prendre en compte les problèmes d’intérêt national russe mis en avant pour expliquer, sinon justifier, l’attitude de Moscou. Ils en appellent à l’histoire récente du XXe siècle pour démontrer le bien fondé de leur position. Le président lituanien évoque le précédent münichois qui fit reculer la France et la Grande-Bretagne face à Hitler en espérant gagner du temps. Et la coïncidence du calendrier remet en mémoire les images de l’invasion de Prague par les chars soviétiques venus, il y a 40 ans, réprimer dans le sang une tentative de socialisme à visage humain.
Epaulés par la Suède ou le Royaume-Uni, dont la relation bilatérale avec la Russie s’exaspère de nombreux contentieux, ces pays trouvent face à eux la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou la Belgique, convaincues que seul un dialogue permettra d’avancer avec les Russes pour stabiliser le Caucase. Une position qui prend en compte la dépendance européenne à l’égard de la Russie en matière énergétique mais qui intègre aussi la nécessité d’un partenariat avec ce grand voisin dans le monde multipolaire qui s’est imposé depuis la chute du communisme. Malheureusement, jusqu’ici, cette volonté de ne pas irriter Moscou s’est traduite à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de la guerre en Tchétchénie, par une série d’indulgences jugées fort coupables.
Si cette coexistence de postures n’est donc pas nouvelle, c’est la première fois qu’elle place une véritable charge explosive au sein de la relativement récente Union à 27. Car celle-ci, après avoir réuni la famille européenne et sinon réparé, tout au moins dépassé les accidents de l’histoire du siècle dernier, faillirait à sa mission si elle ne parvenait pas à inventer une nouvelle politique qui tienne tout simplement compte de la recomposition géopolitique du continent européen.
La construction communautaire a été, durant de longues années, une très efficace machine à fabriquer du consensus et à éviter les conflits entre ses membres, tout en se définissant face à la zone d’influence soviétique. Elle doit aujourd’hui prouver qu’elle reste un sujet politique adapté au siècle actuel et qu’elle ne se réduit pas à une inefficace Société des Nations affublée de quelques politiques communes. A Bruxelles, lundi, les 27 sont donc condamnés à façonner une position partagée faisant disparaître les actuelles fractures, tout en ne se réduisant pas au plus petit dénominateur commun. Faute de quoi les pays membres de l’Union perdraient pour longtemps l’occasion d’être pris au sérieux par une Russie qui a pris l’habitude d’accentuer les divisions au sein des 27 en privilégiant une approche bilatérale avec les grands pays.
La présidence française à la manœuvre
Dans cet exercice d’équilibre, la présidence française a un certain handicap à remonter. Quand Nicolas Sarkozy s’envole, en pleine crise, pour Tbilissi et Moscou afin d’arracher un accord de cessez-le-feu, le président français bouscule les habitudes diplomatiques en cours au sein de l’Union. L’urgence est d’obtenir la fin des hostilités. Réunir les 27 afin d’obtenir un mandat précis aurait non seulement fait perdre du temps mais sans doute accouché d’un texte suffisamment alambiqué pour qu’il soit peu opérationnel.
Toujours est-il qu’en agissant sans mandat officiel de la part de ses partenaires et en faisant avaliser son texte du 12 août a posteriori par les ministres des Affaires étrangères, le président de l’Union a pris un risque dont les retombées n’ont pas tardé. L’absence, dans la rédaction de l’accord en six points négocié par Nicolas Sarkozy, de la reconnaissance de l’intégrité territoriale de la Géorgie couplée à la possibilité laissée aux forces de paix russes de mettre en œuvre des mesures additionnelles de sécurité, sans en fixer le périmètre, auront été utilisées par Moscou dans les heures et les jours qui suivirent pour s’installer bien au-delà des quelques kilomètres admis et pour concrétiser en termes diplomatiques les conquêtes militaires. La Russie, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies n’eut plus qu’à arrêter les résolutions qui n’étaient pas conformes au texte du 12 août à New York pour bloquer l’ensemble de la machine.
(De gauche à droite) Les chefs d’Etat estonien, polonais, ukrainien, lituanien et le Premier ministre letton se sont rendus ensemble le 12 août à Tbilissi, signe de leur solidarité avec la Géorgie.
(Photo : Reuters)
Mais là n’est pas le seul reproche adressé à la présidence française. Certains Etats membres ont fort peu apprécié le fait que Nicolas Sarkozy, s’adressant à Vladimir Poutine, trouve « parfaitement normal que la Russie veuille défendre ses intérêts ainsi que ceux des Russes en Russie et des russophones à l’extérieur de la Russie ». Un discours qui ne peut qu’inquiéter la Lettonie et l’Estonie dont les populations comportent près d’un tiers de russophones, certains ayant même la citoyenneté russe. Les présidents letton, polonais et estonien se sont d’ailleurs réunis ce jeudi soir pour arrêter une position commune avant la réunion de lundi à Bruxelles. Le président de l’Union aura également fort à faire avec la délégation polonaise, le président de la République ayant décidé d’accompagner le chef du gouvernement qu’il soupçonne d’être trop laxiste à l’encontre de Moscou.
Des sanctions ?
Poussé par certains pays de l’Union à évoquer la possibilité de sanctions à l’encontre de la Russie, le ministre français des Affaires étrangères qui avait également estimé que la Russie pouvait avoir, après la Géorgie, d’autres objectifs comme la Crimée, l’Ukraine ou la Moldavie, s’est attiré les railleries de son homologue russe. Sergueï Lavrov a dénoncé l’imagination maladive de Bernard Kouchner, preuve, si l’on en avait besoin, que Moscou a peu de respect pour ceux qui cherchent le compromis. Dans la foulée, l’Elysée affirmait ce vendredi que le Conseil européen de lundi n’adopterait pas de sanctions contre la Russie, anticipant ainsi sur les décisions que l’Union devra prendre après en avoir débattu à 27.
En dehors de ces éventuelles sanctions, le succès de la réunion de Bruxelles se mesurera à l’accord européen sur des mesures très concrètes, comme l’envoi d’observateurs de l’OSCE, que les Russes ont jusqu’ici contesté, ou l’ouverture de discussions sur les modalités de sécurité et de stabilité en Abkhazie comme en Ossétie du Sud. L’unanimité sera évidemment plus facile à trouver sur l’aide à la Géorgie, qui pourrait passer par la tenue d’une conférence de donateurs, l’assouplissement de l’octroi de visas, ou la libéralisation des échanges commerciaux.