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Bolivie

Radicalisation entre La Paz et Washington

par Jean-Pierre Boris

Article publié le 11/09/2008 Dernière mise à jour le 13/09/2008 à 17:23 TU

Voilà plusieurs jours que le ton monte entre la Bolivie et les Etats-Unis. Accusant Washington de soutenir ses adversaires, le président bolivien Evo Morales a décidé d’expulser l’ambassadeur américain à La Paz. Les Etats-Unis lui ont rendu la pareille, et désormais, c’est au tour du Venezuela de faire son entrée dans cette crise diplomatique : en signe de solidarité avec le président bolivien, Hugo Chavez a décidé lui aussi de déclarer persona non grata le représentant des Etats Unis à Caracas. « Allez en enfer, yankees de merde » a lancé le président du Venezuela.

Le président bolivien, Evo Morales (g) et Philip Golberg, ambassadeur des Etats-Unis en Bolivie (d).(Photo : Reuters/AFP)

Le président bolivien, Evo Morales (g) et Philip Golberg, ambassadeur des Etats-Unis en Bolivie (d).
(Photo : Reuters/AFP)


L’ambassadeur américain à La Paz, Philip Goldberg était dans le bureau du ministre bolivien des Affaires étrangères, mercredi 10 septembre, quand le téléphone de David Choquehuanca sonna. Son interlocuteur lui apprit que le président Evo Morales venait d’annoncer l’expulsion du diplomate qui lui faisait face. Les deux hommes avaient pris rendez vous pour évoquer une autre décision des autorités boliviennes : l’expulsion des équipes de la Drug Enforcement Administration (DEA), la police anti-narcotique américaine, de la région du Chaparé, importante zone de production de feuilles de coca, qui sert de base à la cocaïne.

La conversation fut bien sûr abrégée et Philip Goldberg repartit vers son ambassade, pour informer ses supérieurs à Washington. Au secrétariat d’Etat, dans la capitale américaine, un communiqué fut bientôt rédigé. On déclarait les accusations boliviennes contre Goldberg « infondées ». Le président Morales avait en effet décidé de l’expulser en raison de son rôle dans les problèmes politiques intérieurs de la Bolivie. Pour Evo Morales, « celui qui cherche la division de la Bolivie, c’est l’ambassadeur des Etats-Unis ».

Jeudi 11 septembre au matin, Philip Goldberg attendait toujours la note diplomatique, exigée par la convention internationale de Vienne, qui lui signifiait formellement l’ordre de quitter le pays. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le diplomate a des soucis directs à La Paz. Au mois de juin dernier, il avait été rappelé en consultation à Washington après que des manifestants aient caillassé son ambassade, sans que le gouvernement bolivien s’en émeuve outre- mesure. Il faut dire que Boliviens et Américains n’en sont pas à leur première escarmouche. Ainsi, le mois dernier, le président bolivien avait fait convoquer l’ambassadeur américain pour lui reprocher d’avoir rencontrer le gouverneur autonomiste de la région de Santa Cruz, chef de file de ses adversaires. 

C’est qu’Evo Morales et son équipe ont des opposants très remuants et de plus en plus violents. Au cours de la journée du mardi 9 septembre 2008, Santa Cruz, la ville la plus riche du pays, au sud-ouest, a été le théâtre d’émeutes provoquées par des groupes de jeunes. Les locaux de la télévision et de la radio publique, ceux de la radio catholique Erbol ont été mis à sac. Les équipements ont été détruits par le feu. Les Jeunesses de Santa-Cruz (Union Juvenil Crucenista), groupes de choc de l’opposition régionale au président Morales se sont également emparés des bureaux de l’administration fiscale et de ceux du ministère de l’Agriculture.

Livraisons de gaz interrompues

Non contents de s’en prendre à ces équipements, les opposants ont également entrepris de saboter l’une des principales ressources économiques du pays : ses livraisons de gaz aux grands voisins brésiliens et argentins. Une explosion a endommagé les installations qui permettaient de livrer le gaz à l’Argentine. Celles-ci sont totalement interrompues. Côté brésilien, la compagnie Petrobras qui est le principal opérateur gazier en Bolivie, a annoncé que l’intervention des manifestants l’avait contrainte à réduire ses livraisons de 10%. En clair, au lieu des 31 millions de mètres cube livrés quotidiennement à la région de Sao Paulo, ce sont seulement 28 millions de mètres cube qui sortent de Bolivie. Les Brésiliens ont bien sûr pris les mesures pour pallier à ce manque. Mais pour les boliviens, c’est une perte sèche quotidienne de huit millions de dollars.

Les quatre régions de l’est bolivien, Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando, ont voté leur autonomie par référendum. (Carte : RFI)

Les quatre régions de l’est bolivien, Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando, ont voté leur autonomie par référendum.
(Carte : RFI)

 

Cependant, la région de Santa Cruz n’a pas eu le monopole de la violence. A Tarija,  Beni, et Pando, autres villes dont les autorités défient le pouvoir central, les manifestants se sont emparés par la force des aéroports. Partout, le gouvernement a cherché à éviter une réaction policière trop brutale. « Nous ne tomberons pas dans les provocations fascistes….nous agirons avec sérénité mais aussi en nous maintenant fermement dans les limites de la constitution, de la légalité et de la démocratie » a signalé le ministre de l’intérieur Alfredo Rada. Signe de cette recherche apparente de l’apaisement, le gouvernement bolivien n’a pas décrété l’état de siège qui suspendrait les garanties constitutionnelles et permettrait d’interdire les réunions publiques.

Les partisans de Morales réagissent

C’est que le président Morales est loin d’être isolé. Non seulement le référendum du 10 aout dernier, au cours duquel il a remis son mandat en jeu, a ratifié à une très large majorité son maintien au pouvoir, mais en plus, ses partisans se mobilisent. Ainsi, plusieurs centaines d’entre eux ont-ils pris l’initiative de bloquer les routes qui relient l’intérieur du pays à la région de Santa Cruz, afin d’empêcher la sortie des marchandises agricoles et autres provenant de cette riche région. Cette mesure est une réponse aux récentes menaces des dirigeants de Santa Cruz. Ceux-ci avaient averti que sans évolution de la position du président Morales, ils cesseraient d’approvisionner la région de La Paz en produits alimentaires.

Les dirigeants de Santa Cruz et des quatre autres régions acquises à l’opposition, cinq régions au total sur neuf dans le pays, reprochent au gouvernement d’avoir capté un impôt sur les exportations gazières et pétrolières, au détriment des économies locales. Les adversaires d’Evo Morales réclament la restitution de 166 millions de dollars utilisés par le gouvernement pour attribuer une pension de 334 dollars aux retraités les plus misérables, dans cette Bolivie, pays le plus pauvre d’Amérique latine. Les gouverneurs hostiles au chef de l’état ne veulent pas non plus entendre parler de la validation par la voie des urnes du projet de constitution, jugée socialisante et très indigéniste, que prévoit Evo Morales. Ils veulent au contraire une autonomie quasi-totale de leurs régions et villes. Malgré tous les efforts de l’Eglise catholique et des puissants de la Bolivie, Brésil en tête, la situation semble devenir incontrôlable.  

A écouter

Olivier Dabène

Président de l'Opalc (Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes), à Sciences Po

« Oui, c’est effectivement une crise qui est complexe, parce qu’elle contient plusieurs dimensions qui ne se recoupent pas forcément. »

11/09/2008 par Philippe Lecaplain