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Afghanistan

L'OTAN et la France mises au défi en Afghanistan

par Sophie Malibeaux

Article publié le 22/09/2008 Dernière mise à jour le 30/09/2008 à 09:57 TU

Des soldats afghans à l'entraînement à Kaboul, sous la supervision des instructeurs de la coalition. (Photo : S. Malibeaux/RFI).

Des soldats afghans à l'entraînement à Kaboul, sous la supervision des instructeurs de la coalition.
(Photo : S. Malibeaux/RFI).

Les derniers renforts français envoyés durant l’été se sont d’emblée heurtés à un contexte des plus difficiles, avec une recrudescence des activités insurrectionnelles, occasionnant des pertes élevées dans les rangs des armées occidentales mais aussi des dommages collatéraux de plus en plus graves.

Résultat : d’une part, les opinions occidentales s’interrogent sur leur implication dans ce conflit, d’autre part, une partie de la population afghane elle-même commence à percevoir les soldats étrangers présents sur leur sol, non pas comme des libérateurs, mais comme des occupants, ce qui complique singulièrement la tâche de ces armées. 

Le conflit s’est intensifié en Afghanistan ces dernières années et les armées de l’OTAN ont vu leur rôle affecté par cette évolution. Deux événements ont contribué durant l’été à alerter l’opinion publique tout particulièrement en France : l’embuscade qui a coûté la vie à dix soldats faisant partie des renforts tout récemment déployés par la France au nord-est de Kaboul, mais aussi le bombardement américain–vraisemblablement déclenché sur la base de renseignements erronés- qui a fait quelque 90 victimes civiles dans la province de Herat (district de Shindand), à l’ouest du pays.

Un engagement de plus en plus poussé

Qu’il s’agisse de la France ou d’autres pays, ces événements ont renforcé la vigilance des opinions publiques, qui s’interrogent désormais, non seulement sur la raison d’être de l’implication de leur pays en Afghanistan, mais aussi sur la stratégie adoptée et sur les moyens mis à disposition.

Dans les faits, l’implication des armées de l’OTAN a considérablement évolué au cours des sept dernières années écoulées. Ce changement s’est fait subrepticement, alors que la question afghane était passée au second plan de l’actualité derrière le déchaînement de violence observé en Irak, et l’on assiste à une prise de conscience brutale de son impact.

Dans cette guerre non déclarée que se livrent les insurgés talibans et l’armée afghane avec l’appui des forces internationales, on distingue en effet plusieurs phases : la première est marquée par le déclenchement de la « guerre contre le terrorisme » lancée par l’administration Bush au lendemain de l’attentat contre le World Trade Center à New York le 11 septembre 2001. Le gouvernement américain met alors en place –de façon unilatérale- l’opération Liberté Immuable (OEF, Operation Enduring Freedom), afin de traquer les principaux leaders du mouvement taliban et les chefs d’al-Qaïda, notamment le mollah Omar et Oussama Ben Laden. La France y joue déjà un rôle en fournissant quelque 200 soldats destinés à intervenir dans le cadre des opérations commandos des forces spéciales (retirés en janvier 2007), en contribuant à la formation des officiers afghans en déployant également un dispositif d’appui aérien au Kirghizstan et au Tadjikistan et à Kandahar (sud de l’Afghanistan). 

Puis en 2003 –c’est la deuxième phase- une coalition de l’OTAN élargie à d’autres pays entre en scène sous mandat de l’ONU : la Force Internationale d’Assistance à la Stabilisation (FIAS). Au début, celle-ci reste cantonnée à la région relativement calme de Kaboul, puis au printemps 2006, elle commence à s’étendre dans tout le pays, y compris sur dans les zones les plus critiques du sud et de l’est, à la frontière avec le Pakistan. Les soldats de la FIAS mettent alors les pieds dans les traces des Américains.

Aujourd’hui, la FIAS est présente dans cinq régions de commandement, le commandement Sud avec son quartier général de Kandahar, de loin le plus problématique, l’Ouest, l’Est, le Nord et la région de Kaboul. Pour effectuer ce redéploiement, alors que les forces sous commandement américain ont entamé une réduction de leurs effectifs d’environ 50%, les pays de l’OTAN se voient appelés à accroître leurs effectifs d’autant (quelque 20 000 hommes, en moins d’un côté, en plus de l’autre).

L’engrenage de la violence

Mais le changement ne porte pas seulement sur le nombre de personnel militaire engagé sur le terrain et sa répartition géographique. C’est la nature même de l’engagement qui se modifie. Les troupes de l’OTAN se voient de plus en plus fréquemment obligées de répondre aux actions menées à leur encontre dans l’ensemble du pays –y compris la capitale, Kaboul- par des insurgés toujours plus agressifs.

L’incident survenu le 18 août 2008 à Sarobi (province de Kapisa) est révélateur. Les Français nouvellement installés ont effectué cette patrouille dans des limites que ne franchissaient pas jusqu’alors les soldats italiens et américains présents dans le secteur. « Excès de confiance » comme l’a déclaré le chef d’état-major des armées au lendemain de l’incident, ou manque d’équipement et de préparation, comme le suggère le document interne de l’OTAN dévoilé ce dimanche 21 septembre 2008 par un grand journal canadien. 

François Fillon

Premier ministre

« Les Français doivent savoir que nous ne sommes nullement en guerre avec le peuple afghan. »

22/09/2008

L’équipement des Français en Afghanistan

La décision de doter l’armée française d’équipements supplémentaires en Afghanistan a été présentée par le Premier ministre François Fillon comme une des leçons tirées de l’incident du 18 juillet 2008, date à laquelle dix soldats récemment déployés dans ce pays ont perdu la vie dans une embuscade.

 

Manifestement, les autorités françaises ont jugé utile de renforcer la capacité de renseignement des militaires sur place, grâce à l’envoi d’hélicoptères Caracal et Gazelle, de drones (avions sans pilote) et de moyens d’écoute. Cela alors que dans le même temps, Paris dénonce les « erreurs » contenues dans un document de l’OTAN, dévoilé par le journal canadien Globe and Mail.

L’article mentionnant un compte-rendu fait à chaud, évoque l’insuffisante préparation des militaires français et leur manque de munitions. En s’engageant à accroître les moyens d’obtenir des informations mais aussi la quantité de mortiers à disposition des soldats français, le gouvernement tend malgré tout à accréditer la thèse de l’incident lié à une insuffisance de moyens. D’autant que sur place, les militaires n’hésitent pas à évoquer le décalage entre les équipements employés par les armées étrangères et les besoins suscités par des actions de type « guerilla », telles que les insurgés les pratiquent.

 

Comme l’explique un officier de liaison français, le commandant Millet sur la base de Tarin Kowt en Oruzgan à RFI, les armées de l’OTAN et de la coalition sous commandement américain, sont toutes confrontées à ce même problème : arrivées en Afghanistan avec des blindés et un armement typique de type conventionnel, elles ont du mal à réagir au harcèlement des combattants talibans.

C’est un point de vue que partagent nombre de responsables sur place, comme par exemple le capitaine Guy, commandant hollandais en charge de la compagnie chargée de contrôler le district de Chora, un verrou important de la province de l’Oruzgan. Il stigmatise lui aussi la difficulté de s’adapter aux tactiques de l’ennemi, le « hit and run » qui consiste à frapper par surprise les forces afghanes et leurs alliés, sans leur laisser le temps de riposter.

 

A tous les échelons de la hiérarchie militaire, on assure que les insurgés en Afghanistan n’ont aucune chance de l’emporter face à la puissance de feu des troupes étrangères. En revanche, on concède que les erreurs occasionnées par un défaut de renseignement et le recours aux frappes aériennes dans de telles conditions sont responsables d’un nombre de morts inacceptables parmi les populations civiles. Tirant parti de cet état de fait, les insurgés tentent de gagner une autre guerre, celle de la communication. Ils comptent d’une part sur les réticences des opinions publiques à prolonger l’engagement de troupes loin de leur théâtre habituel, d’autre part à retourner les populations afghanes contre ceux qui étaient censés les libérer du joug des talibans.

Le fait est que les insurgés ont surpris ce jour-là, par leur capacité à se regrouper –plus de 150 hommes ont livré bataille contre la patrouille française- et par leur puissance de feu. Un mois plus tôt, dans l’est du pays, les Américains subissaient eux aussi ce même effet de surprise, alors qu’une de leurs bases opérationnelles avancées à proximité de la frontière pakistanaise se voyait prise d’assaut par une force comparable. Des heures de combats se soldaient par la mort de neuf soldats américains et forçaient les troupes à abandonner leur position.

Une image qui se dégrade dans la population afghane

L’armée française –malgré les pertes humaines dans ses rangs- a refusé de parler d’échec, en raison de la défaite infligée ce jour-là aux talibans obligés de fuir. Les talibans ont néanmoins réussi à multiplier les coups de boutoir contre les  forces étrangères et contre l’effort mené globalement par la communauté internationale. Ils ont pu ainsi réaliser une démonstration de force contre les alliés du gouvernement Karzai, et accroître par là-même leurs moyens d’intimidation à l’encontre des Afghans tentés de collaborer avec ce gouvernement et les forces étrangères qui le soutiennent.

Cela, alors que la population se désespère de voir arriver l’aide promise à coup de milliards de dollars par les pays donateurs (20 milliards de dollars promis lors de la Conférence de Paris le 12 juin 2008). Autant de faiblesses exploitées par les différentes composantes de l’insurrection.

Le retard pris dans le programme d’aide au développement de l’agriculture par exemple n’a fait que favoriser la culture de l’opium, moyen de financement des insurgés et de toute une frange de la population mouillée dans le trafic de drogue.

Difficile dans ces conditions pour les forces étrangères de préserver un rapport de confiance avec des populations économiquement dépendantes de l’ennemi. Or, la qualité du renseignement repose sur ce lien de confiance. Dans l’incident de Shindand, qui a fait 90 morts parmi les civils, les frappes aériennes ont ainsi été déclenchées sur la base de renseignements erronés. Les forces internationales se sont trouvées instrumentalisées dans ce qui était apparemment un règlement de compte entre tribus.

La conséquence de ce type d’erreur est extrêmement grave et porte les populations civiles à s’interroger sur le rôle des forces étrangères stationnées sur leur territoire, même si le nombre de victimes occasionnées par les insurgés est encore plus élevé. Les talibans parviennent ainsi à brouiller le contact entre les forces dites « de libération » et la population afghane.

A quand le passage de relais à l’armée nationale afghane ?

Pour sortir de ce cercle vicieux –de mauvais renseignements qui débouchent sur de mauvaises opérations, qui à leur tour rendent le renseignement plus difficile encore en émoussant la confiance- l’armée afghane devrait jouer, à terme, un rôle essentiel.

En donnant un visage afghan aux opérations de stabilisation, les forces étrangères éviteraient d’apparaître comme une force d’occupation, obnubilée par sa propre sécurité, au détriment des civils afghans.

C’est l’un des axes stratégiques mis en avant à la fois par le commandement américain de l’opération Liberté immuable et par le commandement de la FIAS.

L’effectif de l’armée afghane atteint désormais quelque 70 000 hommes, mais il est encore trop faible et le personnel, sous-équipé, est encore trop vulnérable pour participer de façon significative aux opérations de combat.

Des évaluations citées par un responsable militaire américain à Kaboul (difficiles à confirmer) portent à 50 milliards de dollars l’effort fourni annuellement par les armées étrangères en Afghanistan, alors qu’à peine quatre milliards de dollars seraient consacrés à l’armée afghane.

A tous les niveaux de la hiérarchie militaire, l’on s’accorde néanmoins pour dire qu’il faudra du temps pour que cette armée soit réellement en mesure d’assurer la défense de son pays, et personne ne se risque à fixer une date.

A titre indicatif, le commandement américain en charge de la reconstruction de la force aérienne évoque le terme de 2016, pour aboutir à une aviation réellement capable de voler de ses propres ailes.

Les différents acteurs civils et militaires martèlent que la solution en Afghanistan ne peut être que politique, mais aucun scénario crédible ne se dégage pour le moment.

En attendant l’émergence d’une telle solution, les armées étrangères vont devoir clarifier leur message à l’attention non seulement de leurs opinions publiques respectives, mais aussi de la population afghane, malmenée au quotidien par les différentes parties en conflit.

Une échéance vient accélérer la donne : les élections présidentielles qui doivent se tenir dans un an. Le processus d’enregistrement des électeurs, en train de démarrer, est un fardeau supplémentaire pour la coalition et les forces afghanes en première ligne.

A écouter

Hervé Morin

Ministre français de la Défense

Si on considère que la France a encore une responsabilité internationale, si on considère que la France a une voix à porter, l'idée même du retrait [des troupes françaises d'Afghanistan] serait le signe du risque de débandade généralisée

23/09/2008

Jean-Marc Ayrault

Président du groupe socialiste à l'Assemblée

« Accueillies comme des libérateurs il y a sept ans, les forces alliées sont de plus en plus souvent perçues comme des occupants indésirables. »

22/09/2008

François Fillon

Premier ministre français

« Un seul de nos soldats a été tué à l'arme blanche et aucun d'entre eux n'a été capturé. La réalité est suffisamment cruelle pour qu'on n'y ajoute pas le mensonge et la désinformation. »

22/09/2008

Richard Blanchette

Porte-parole de l'ISAF (OTAN)

Le problème majeur est très certainement le fait que les ennemis de l'Afghanistan font en sorte de s'immiscer dans la population.

23/09/2008

Dossier Asie

Afghanistan : la police en formation

30/09/2008 à 02:30 TU

Diaporama

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Soldat afghan à l'entraînement de tir à Kaboul.(Photo : S. Malibeaux/RFI).

Les forces de la coalition en Afghanistan

30/09/2008 à 09:57 TU

Sur notre antenne

Des militaires français de l'Isaf ( la Force internationale d'assistance à la sécurité de l'Otan ) à Kaboul, le 5 août 2008.(Photo : AFP)

Grand reportage

Les forces de l’OTAN en Afghanistan

Reportage de Sophie Malibeaux sur les enjeux de la guerre, et les dilemmes auxquels les armées de l’OTAN sont confrontées en Afghanistan

22/09/2008