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Japon

Taro Aso : sauver le PLD

par Georges Abou

Article publié le 24/09/2008 Dernière mise à jour le 24/09/2008 à 16:56 TU

Le nouveau Premier ministre japonais Taro Aso, désigné mercredi, entame une mission qui pourrait rapidement mener son pays à des élections législatives anticipées. Taro Aso est un nationaliste qui, au sein du Parti libéral démocrate (PLD), s’affiche comme un antilibéral, populiste et amateur de mangas. Il est néanmoins l’héritier d’une dynastie de notables politiques et industriels.

Le nouveau Premier ministre japonais,Taro Aso, lors de sa première conférence de presse à Tokyo, le 24 septembre 2008.(Photo : Reuters)

Le nouveau Premier ministre japonais,Taro Aso, lors de sa première conférence de presse à Tokyo, le 24 septembre 2008.
(Photo : Reuters)


Les commentateurs disent de lui qu’il est un « faucon », un « nationaliste ». Ancien ministre des Affaires étrangères, le 15 août, comme tous ceux qui respectent la tradition patriotique japonaise et veulent le faire savoir, il se recueille au sanctuaire de Yasukuni érigé à la mémoire des soldats de l’Empire, parmi lesquels des criminels de la Seconde Guerre mondiale. Taro Aso est catholique. Il est né avec une cuillère en argent dans la bouche, disent ses biographes. Dans sa famille, on trouve de nombreux responsables politiques et notamment deux Premiers ministres, son grand-père et son beau-père. Sa femme est la fille d’un ex-Premier ministre et sa sœur a épousé un membre de la famille impériale.

Le nouveau Premier ministre japonais a étudié aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. A 30 ans, il s’expatrie en Sierra Leone et travaille dans le commerce du diamant. Champion de tir, il représente son pays aux Jeux Olympiques de Montréal, en 1976.

Pourtant, la « maison Aso » dissimule (mal) ses propres cadavres dans le placard. Lors de la Seconde Guerre mondiale, sa famille, propriétaire d’une mine de charbon, a épuisé à la tâche des centaines de prisonniers de guerre et refuse toujours de le reconnaître. Le camp de travail 26 a vu passer quelque 10 000 Coréens, 197 Australiens, 101 Britanniques, et 2 Néerlandais. L’affaire est indicible. Les médias japonais respectent le tabou et Taro Aso a su préserver cette part d’ombre en éludant systématiquement la question.

Ordre de bataille électorale

Populiste, Taro Aso préfère donner de lui une image aux antipodes de ses origines sociales. Il s’est construit une réputation de « otaku », ces fans de bandes dessinées appelées « mangas » dans l’Archipel. Il se plaît à entretenir un langage relâché, quitte à verser dans la blague de mauvais goût et à s’en excuser un peu plus tard. Entre habileté et démagogie, la frontière est mince. Taro Aso est un héritier pour qui, à 68 ans, l’heure est venue de se hisser au sommet de l’Etat pour y poursuivre l’œuvre nationaliste de ses prédécesseurs.

Désormais, la maison PLD (Parti libéral démocrate) est en ordre, et la tradition est respectée. Comme convenu, c’est le président du parti qui reprend l’affaire et conduira la formation à la bataille électorale. La guerre de succession a été de pure forme et les prétendants illégitimes ont été remis à leur place. Le Parti libéral démocrate du Japon est une formation disciplinée et qui respecte la préséance. L’ancien Premier ministre Yasuo Fukuda s’est incliné, il est parti sans éclat le 1er septembre, après avoir atteint des abîmes d’impopularité. Son maintien aurait menacé d’enfoncer un peu plus le parti avec lui. Et il a donc naturellement cédé sa place pour préserver les intérêts supérieurs du PLD, de sa clientèle et de ses élus.

Un pays en récession

Théoriquement, le calendrier électoral laisse un an au nouveau gouvernement japonais avant de convoquer les citoyens au renouvellement de la chambre basse du Parlement. Mais, en un an, les Japonais disposent de plus de temps qu’il n’en faut pour se rappeler que la situation n’est pas fameuse. D’un point de vue strictement institutionnel, c’est un pays marqué par l’instabilité. Trois premiers ministres se sont succédé à la tête du gouvernement en un peu plus de deux ans. Et la chambre haute étant dominée par l’opposition, pour chaque projet de loi déposé c’est un véritable parcours du combattant que doit effectuer le PLD.

Sur le plan économique, le Japon est un pays en récession. Les réformes conduites au cours de ces dernières années ont fragilisé la société japonaise. Le travail s’est précarisé. L’Etat providence ne remplit plus sa fonction protectrice. La dette publique, à 180% du PIB, frise les records mondiaux. Dans ces conditions, la popularité du nouveau-venu pourrait bien s’effriter rapidement et, en cas de respect du calendrier initial et d’élections législatives tardives (dans un an), Taro Aso pourrait être celui qui ne conduirait pas son parti à la victoire.

Creuser les déficits

En conséquence, l’éventualité sur laquelle s’accorde à peu près tout le monde, c’est que le Japon est sur la voie d’élections générales anticipées. L’Asahi Shimbun en a d’ores et déjà établi l’agenda. Selon le quotidien, la dissolution de la chambre basse aura lieu le 3 octobre ; la campagne électorale démarrera le 14 octobre et le scrutin se tiendra le 23 octobre. Tenir un mois, avec pour objectif d’entretenir aussi haut que possible le moral des électeurs dans la perspective d’un vote favorable, c’est jouable. Tenir un an, c’est un risque que le PLD pourrait donc ne pas prendre. Les députés du parti pardonneraient difficilement à leur direction un sacrifice politiquement inutile. En toute hypothèse, d’ores et déjà, tout le monde s’accorde sur le fait que le PLD perdra des sièges. Plus personne à Tokyo, en effet, ne parie qu’il sera en mesure de fédérer autour de lui une coalition apte à réunir une majorité de deux-tiers d’élus qui lui permettraient (comme c’est actuellement le cas) de surmonter l’obstacle du Sénat.

Dans cette perspective, ce serait donc un gouvernement de transition qui vient d’être désigné mercredi. Une équipe dont les jours seraient comptés, avant même d’avoir commencé à se mettre au travail. Mais une équipe de combat, chargée de mener le parti en ordre de bataille pour lui donner les meilleures chances de gagner. A cet égard, la personnalité politique du nouveau chef du gouvernement n’est pas neutre. Indépendamment de son profil nationaliste clairement affiché, avec Taro Aso le PLD n’a pas choisi un libéral rigide, partisan de la rigueur et de la poursuite de réformes douloureuses. Le nouveau Premier ministre a, au contraire, la réputation d’appartenir à la fraction des « redistributeurs » au sein de son parti. Il est prêt en effet à creuser les déficits publics sans complexe, à tenter de relancer l’économie en favorisant le crédit et la consommation pour mener sa formation à la victoire, y compris en revenant sur les réformes douloureuses de son prédécesseur Junichiro Koïzumi.

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