par Jean-Pierre Boris
Article publié le 08/10/2008 Dernière mise à jour le 08/10/2008 à 14:32 TU
Le commandant en chef des forces armées, le général Freddy Padilla a estimé que « tout tendait à conclure qu’une bande de criminels recrutait et enlevait ces jeunes vers des endroits où, malheureusement, ils ont trouvé la mort ».
(Photo : AFP)
Vingt-trois cadavres de jeunes gens ont été découverts fin septembre dans des fosses communes, près de la frontière vénézuélienne au nord de la Colombie. Selon l’armée qui rend publique cette découverte, il s’agit de combattants des FARC, la guérilla colombienne d’extrême gauche qui a détenu Ingrid Bétancourt pendant sept ans. Ces jeunes gens auraient trouvé la mort lors de combats contre l’armée régulière. L’armée le dit et le président Alvaro Uribe le confirme. Mais il y a un problème. Le procureur général de la République colombienne s’inscrit en faux contre les déclarations du chef de l’Etat. Selon ce haut magistrat, il est trop tôt pour être aussi catégorique. « Les investigations en cours détermineront les raisons exactes de leur mort », affirme-t-il. Selon le procureur général Mario Iguaran, il est cependant probable, c’est son seul point d’accord avec le président Uribe, que les jeunes gens étaient engagés dans des activités délictueuses.
Scepticisme des familles
Cependant, leurs familles, comme les organisations colombiennes de défense des droits de l’homme, sont plus que sceptiques. Elles contestent absolument cette version des faits. Les vingt trois personnes dont les corps ont été retrouvés venaient des quartiers déshérités de la capitale colombienne Bogota. C’est dans l’un de ces quartiers, Soacha, qu’ils auraient été recrutés par des employeurs qui leur auraient fait miroiter du travail dans les exploitations agricoles proches de la zone frontalière avec le Venezuela. Mais une fois parti, début 2008, le petit groupe n’a plus jamais donné de signe de vie, suscitant l’inquiétude des entourages. Jusqu’à ce qu’on annonce qu’ils avaient été retrouvés, morts et revêtus de l’uniforme que portent habituellement les membres des FARC.
La raison pour laquelle les familles et les humanitaires doutent de la version officielle est que ce n’est pas le premier cas de ce genre. Les tribunaux colombiens examinent en ce moment près de 800 dossiers de ce type : des jeunes gens attirés hors de leur zone de résidence par des offres d’emplois alléchantes, qui disparaissent sans donner de leurs nouvelles et dont on retrouve ensuite le cadavre. A chaque fois, les autorités présentent ces morts comme étant celles de guérilleros tombés au combat. Et les militaires crient victoire. Chacun de ces guérilleros en moins, c’est un pas de plus vers la fin des FARC, vers le but que leur a assigné le président Alvaro Uribe, qui en est déjà à son second mandat et aimerait beaucoup en faire un troisième.
Pas le profil
Là ou le bât blesse, c’est que nombre de ces supposés guérilleros tombés au combat, n’ont vraiment pas le profil. Parfois, ce sont des handicapés, que rien ne prédisposait à entrer dans la lutte armée. Ou bien, des jeunes, toujours issus de milieux modestes, mais qui n’étaient pas politisés. Face à la multiplication des cas et à l’incongruité de nombre de ces morts au combat, l’évidence s’impose peu à peu. L’armée, et sinon l’armée du moins certains de ses officiers, éloigneraient des jeunes hommes en situation fragile de leur domicile, de leur quartier, leur faisant miroiter de juteuses affaires. Une fois arrivé à destination, ils seraient abattus, parfois enterrés, avant que l’armée n’annonce dans un communiqué victorieux de nouveaux faits d’armes de ses hommes. Parfois, ces exactions ont été commises par des hommes du rang auxquels il fallait un nombre minimum de « prises » pour avoir droit à des jours de congé.
Dans l’affaire qui émeut en ce moment la Colombie, le commandant en chef des forces armées, le général Freddy Padilla a estimé que « tout tendait à conclure qu’une bande de criminels recrutait et enlevait ces jeunes vers des endroits où, malheureusement, ils ont trouvé la mort ». Il y a quelques années, on aurait pu penser que ces « bandes de criminels » désignaient les groupes paramilitaires. Mais ces groupes ayant été démantelés, c’est vers l’armée que les regards se tournent. Une armée que le président Uribe cherche à protéger et à couvrir, fût-ce aux dépens de la vérité.
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