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Sommet de Québec

Au-delà des crises : quelle place pour le français dans le monde au XXIe siècle ?

par Ariane Poissonnier

Article publié le 15/10/2008 Dernière mise à jour le 16/10/2008 à 11:13 TU

Si le Sommet de Québec sera pour les pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) l’occasion de se concerter sur les crises actuelles – alimentaire et financière –, il devrait aussi marquer, pour les années à venir, le retour en force de l’enjeu « langue française » au sein de l’organisation, chaque membre étant appelé à faire plus et mieux pour le français et le multilinguisme.

 

C’est le contraire qui eût été étonnant : la crise financière sera bel et bien au menu du XIIe sommet de la Francophonie, du 17 au 19 octobre 2008 à Québec, a indiqué le Premier ministre québécois Jean Charest, co-hôte du sommet avec le Premier ministre canadien Stephen Harper : « Les circonstances font qu’on est le premier forum Nord-Sud à se réunir dans la foulée de cette crise et c’est l’occasion d’en discuter, de faire ensemble une lecture commune de la situation, d’essayer d’en mesurer les impacts sur les uns et les autres, incluant les pays du Sud. »

Il rejoignait ainsi Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie, qui avait quelques jours auparavant exprimé le souhait qu’à Québec, les pays francophones « se mobilisent pour en arriver à une nouvelle architecture financière, bancaire et monétaire internationale ». Abdou Diouf, qui avait été reçu le 7 octobre par le président de la République française, a d’ailleurs souligné que « M. Sarkozy aura certainement des choses à nous dire et à nous proposer ». Sur la crise financière certes, mais aussi, il faut l’espérer, sur la crise alimentaire, inscrite de longue date à l’ordre du jour et qui frappe particulièrement l’Afrique, alors que 30 des 53 pays de l’Union africaine sont membres de l’OIF.

L’économie est aussi « affaire de langage et de négociation »

Le secrétaire général de l’OIF restait, ce faisant, dans la logique du discours prononcé en mai 2008 lors de la Rencontre internationale de la Francophonie économique, dans lequel il exprimait « la conviction que la Francophonie est dans son rôle lorsqu’elle se préoccupe d’économie. Il y aurait, en effet, quelque chose d’indécent à vouloir, d’un côté, promouvoir la diversité linguistique et culturelle, (…) et à laisser, de l’autre, perdurer des inégalités intolérables entre pays riches et pays pauvres, (…) car il ne sert à rien de dire que tout être humain a le droit de vivre dans la dignité, dans la liberté, dans la paix, s’il n’a pas même les moyens de survivre. »

A l’époque, la crise financière n’avait pas encore pris l’ampleur qu’on lui connaît, mais Abdou Diouf affirmait déjà que les francophones ont « les moyens de contribuer à la régulation, à la moralisation, à l’humanisation de la mondialisation », notamment « parce que l’économie n’est pas simplement affaire de chiffres et de modèles : elle est aussi affaire de langage et de négociation. Et dans ce contexte, le partage d’une langue, non pas imposée, mais choisie, constitue un atout incontestable. » Autre atout : l’extrême diversité des membres de la Francophonie, qui autorise l’OIF à se voir comme un laboratoire international dont la voix et les positions adoptées en son sein sont d’autant plus légitimes qu’elle compte à la fois des pays du Nord et du Sud, d’Orient et d’Occident, deux membres du G8 et vingt-quatre pays parmi les moins avancés (classification de l’Onu)…

Visibilité et attractivité francophones sur la scène internationale

A Québec, en point d’orgue des célébrations du 400e anniversaire de la fondation de la ville par l’explorateur français Samuel de Champlain, le sommet devrait rassembler une quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernement, sachant que l’OIF compte 55 Etats ou gouvernements membres et 13 Etats observateurs – près du tiers des pays de la planète. Le président algérien Abdelaziz Bouteflika, dont le pays ne fait pas partie de l’OIF, a été formellement invité par Québec et Ottawa. Outre le nombre important de chefs d’Etat, la présence du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, confirme l’importance du forum francophone. Le diplomate sud-coréen devrait souligner le rôle de la langue française dans les affaires internationales. Le numéro un de l’Onu, a précisé son entourage au quotidien québécois Le Soleil, ira plus loin que la simple défense du français : « L’idée est qu’un monde monolingue ne nous permet pas d’apprécier la diversité de la culture. »

Sommet de la francophonie : les thèmes débattus

« Les ministres discutent depuis hier de paix et de démocratie, dans l'espace francophone. Ce thème prend un relief particulier depuis la reprise des combats dans le Kivu et après le coup d'état en Mauritanie. »

16/10/2008 par Jean-Karim FALL

De fait, la visibilité de la présence francophone sur la scène internationale et l’attractivité de l’OIF sont sorties renforcées du combat mené à l’Unesco pour l’adoption de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, entrée en vigueur le 18 mars 2007. Au 1er juillet 2008, 43 États membres ou observateurs de l’OIF avaient déposé leur instrument de ratification auprès de l’Unesco. Mais pour consolider les acquis sur la scène internationale et le magistère d’influence de la Francophonie, il semble que l’heure est venue, pour les membres de l’OIF, de se recentrer sur l’un des fondamentaux francophones, à la fois évident et pourtant quelque peu négligé ces dernières années : la langue française.

Les Etats membres face à leur responsabilité

A Québec, ce sera la première fois, rappelle-t-on au siège de l’OIF à Paris, que la langue française est ainsi placée sous les projecteurs puisqu’elle est l’un des quatre enjeux identifiés de la rencontre, à côté de « démocratie et état de droit », « gouvernance et solidarité économique », « environnement ». La déclaration finale, précise-t-on de même source, sera accompagnée de résolutions et celle concernant la langue française « devrait, une fois rappelée l’importance de la langue dans la construction des identités, souligner la responsabilité des Etats dans sa défense effective, que ce soit dans le système éducatif, la vie internationale ou la vie de la société (économie, sciences, sport…) »

Les chefs d’Etat et de gouvernement membres de l’OIF devraient ainsi se voir rappeler quelques obligations très concrètes, liées notamment à l’application du Vade-mecum relatif à l’usage du français dans les organisations internationales, adopté à l’unanimité à Bucarest, en 2006. Un premier bilan de son application leur sera présenté à Québec, avec des pistes pour les encourager à l’appliquer. Dans le même ordre d’idée, et dans un souci d’émulation, l’OIF présentera le compte-rendu, établi par 7 personnalités, de 7 initiatives-phares de promotion du français menées dans 7 pays membres. Ces exemples « édifiants » sont d’autant plus nécessaires que l’on sait désormais que l’érosion de l’usage du français dans les organisations internationales est liée au recul constaté dans les pays membres, y compris les pays développés.

Nicolas Sarkozy très attendu

En France par exemple, le Collectif intersyndical pour le droit de travailler en français en France pointe du doigt les dérapages constatés dans certaines entreprises, dont les plus criants ont été sanctionnés par la justice. Mais certaines élites françaises ne font pas mieux, comme l’a souligné, aux Septièmes entretiens de la Francophonie le 13 juin 2008, le représentant personnel du président de la République pour la Francophonie, Christian Philip.

Certes, depuis la réforme des institutions adoptée en juillet 2008, la Constitution française « consacre » la « part désormais prépondérante de la Francophonie dans la diplomatie française ». Dans ce contexte, et alors que la France reste l’un des principaux contributeurs au budget de l’OIF, les interventions de Nicolas Sarkozy à Québec sont particulièrement attendues. Le président français sera présent à l’ouverture et pour la première journée des travaux. Mais il est prévu qu’il quitte Québec le samedi 18 octobre au soir, sans participer notamment à la table-ronde sur la langue française, programmée le dimanche. Ce qui ne devrait pas l’empêcher, souhaitons-le, de mettre en route la Francophonie « offensive » qu’il avait appelée de ses vœux, le 20 mars 2008, à la Cité internationale universitaire de Paris.

Une langue-monde pour un espace culturel désormais multipolaire

Pour le français à l’échelle internationale, la question n’est plus réellement, rappelait Jean-Louis Roy lors des Septièmes entretiens de la Francophonie organisés par l’Iframond*, de s’affirmer face à l’anglais comme on pouvait l’imaginer dans les années quatre-vingt-dix. « Comme le monde de la puissance, soulignait l’ancien secrétaire général de l’ACCT, le monde culturel est en train de devenir multipolaire. La Chine, l’Inde ou le Brésil ont aujourd’hui les moyens d’exercer une influence mondiale à travers une poussée linguistique et culturelle. L’Inde est en train d’organiser sa diaspora. La Chine, en trois ans, a implanté près de 200 centres Confucius [à la fois centres culturels où l’on peut apprendre le chinois et lieux de rencontres entre entrepreneurs locaux et chinois, ndlr] hors de ses frontières et prévoit d’arriver à 1000 à l’horizon 2015. »

La question est donc désormais bien davantage de savoir si, demain, le français sera toujours une langue-monde, aux côtés de l’anglais mais aussi du mandarin, de l’hindi ou de l’espagnol… Pour cela, renchérissait le même jour Michel Guillou, directeur de l’Iframond, « il faut que les chefs d’Etat disent et reconnaissent clairement à Québec que la francophonie est une aire géoculturelle qui compte ». Le disent, et s’engagent à la construire.

« Nombre de pays membres, continuait Michel Guillou, n’ont pas fait l’effort qu’il convenait pour son emploi à l’international ni pour son enseignement. C’est suicidaire. (…) Il y a 200 millions de parlants français en Francophonie pour une population totale des pays membres de quelque 800 millions d’habitants. Fixons comme objectif de doubler ce nombre dans les dix ans à venir. » Le défi est posé. Sera-t-il relevé ?

* Septièmes entretiens de la Francophonie, 13 juin 2008, Université de Lyon-3, Institut pour l’étude de la Francophonie et de la mondialisation (Iframond ) : http://iframond.univ-lyon3.fr/

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