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Sommet de Québec

L’OIF, une organisation rénovée

par Antoinette Delafin

Article publié le 15/10/2008 Dernière mise à jour le 16/10/2008 à 13:19 TU

Entretien avec Clément Duhaime, administrateur de l’Organisation internationale de la francophonie. Entré en fonction dans un contexte budgétaire difficile, en janvier 2006, l’administrateur avait pour mission de faire évoluer l’OIF – en tandem avec son Secrétaire général Abdou Diouf – vers plus d’exigences dans sa gestion et plus de cohérence dans son action.
Clément Duhaime, administrateur de l’Organisation internationale de la francophonie. DR

RFI : La modernisation de l’OIF a-t-elle porté ses fruits ?

Clément Duhaime : Le Secrétaire général m’a confié un travail difficile, exigeant. Il m’a demandé « que chaque euro soit bien utilisé » et que les outils les plus modernes soient mis au service des actions qui ont eu « de vrais résultats mesurables ». Nous avons donc réduit nos dépenses – voyages, gel des recrutements, regroupement des personnels. De sorte qu’en deux ans, notre budget a retrouvé son équilibre. Nous avons reconstitué notre fonds de réserve et ramené nos frais de fonctionnement à moins de 35 % du budget total – une diminution de 5 % par an. Ce rythme sera maintenu en 2009 et les sommes dégagées réinvesties dans les actions de coopération
– qui bénéficient déjà de la moitié du budget annuel. Je rends hommage au personnel qui a fait confiance au capitaine par temps de brouillard. Le président Diouf, qui incarne à la fois la voix et le visage de la Francophonie dans ses volets politique mais aussi de coopération, a mené le navire à bon port : au Sommet de Québec, chacun va constater cette mini révolution que constitue la modernisation en douceur de notre Organisation.

RFI : Comment fonctionne désormais l’OIF rénovée ?

C.D. : Grâce à la nouvelle Charte adoptée à Tananarive en 2005, une première réforme a permis l’an dernier de modifier le barème de nos contributions. Entre celles des plus riches et celles des plus pauvres, nous avons introduit un niveau intermédiaire pour les pays émergents : Maroc, Tunisie, Egypte, Vietnam, etc. Malgré cela, le premier contributeur demeure la France, qui fournit à elle seule la moitié des ressources, ce qui est trop, suivie du Canada qui en apporte le quart... Au total, 5 ou 6 pays en fournissent 97 %. La confiance étant retrouvée, il s’agit maintenant de trouver de l’argent ailleurs.

RFI : Comment allez-vous vous y prendre ?

C.D. : Notre combat pour la diversité culturelle est tellement moderne qu’il doit pouvoir mobiliser des fonds plus larges. Notre force réside dans notre carnet d’adresses, nos réseaux d’expertises – 185 au total, un dans chaque discipline : médiateurs, avocats, écrivains… Si nous parvenons à mettre en valeur la pertinence de nos projets sur la durée, nous pourrons faire appel à des fonds publics et privés, y compris ceux de pays non francophones.

RFI : Qu’attendez-vous du sommet de Québec ?

C.D. : Le Secrétaire général voulait un sommet du renouveau au niveau de la méthode. Des déclarations brèves, fortes, des huis-clos entre chefs d’Etats, des tables rondes favorisant les échanges. Il les aura. Gouvernance démocratique et économique, mise en avant du français mais aussi d’éléments nouveaux comme la sécurité alimentaire ou la crise financière… MM Barroso et Ban Ki-moon seront avec nous. Au total, 55 chefs d’Etats, 13 pays observateurs. Un moment exceptionnel, le tout en français. L’occasion de démontrer que le français est une des grandes langues de formation. Nous ne pouvons pas décevoir les 20 à 30 pays d’Afrique francophone qui l’ont adopté comme langue officielle. Il faut répondre à leur appel.

RFI : Quels programmes soutenez-vous désormais ?

C.D. : En filigrane de notre méthode, il s’agit d’unir les forces passées dans les créneaux d’excellence, et les mettre au service de l’avenir. Les expériences inabouties seront résolument mises de côté. Ainsi, à Québec, nous allons donner une bouffée d’air importante à nos Centres de lecture – les 225 CLAC répartis dans 18 Etats. Ce programme très porteur, qui est un pôle de développement grâce à l’accès à la lecture et à la culture, devrait trouver l’appui d’autres partenaires. Autre projet initié à Bucarest, la conférence sur la modernisation de la justice (mars 2008) avec l’appui de l’Union européenne et du Canada. Ou encore, avec l’appui du Commonwealth et sur financement de Bruxelles, la formation de spécialistes en négociations commerciales, placés auprès des ministres du commerce des pays ACP ou des organisations régionales africaines, pour qu’ils soient mieux armés dans les négociations avec l’OMC. D’autres partenariats sont aussi en cours avec l’Unesco, l’Onudi, l’Unitar, etc.

RFI : Qu’en est-il des projets expérimentaux ?

C.D. : A Bucarest, trois projets pilotes susceptibles d’être reproduits à grande échelle ont été lancés. Celui des Jeunes volontaires – 40 jeunes, venant de 11 pays, pendant 1 an –, a atteint tous ses objectifs et pourrait être validé par les chefs d’Etat à Québec. Le deuxième est issu du constat
– confirmé par Ban Ki-moon à New York en septembre dernier – que les OMD en matière d’éducation ne seront pas atteints. L’Afrique subsaharienne a besoin de former 4,5 millions d’instituteurs d’ici 2015 dont 2 millions en zone francophone. Une formation-pilote est en place pour 2000 instituteurs issus de 4 pays – Burundi, Madagascar, Bénin et Haïti. Nous en tirerons bientôt les conséquences à grande échelle en mettant autour de la table des bailleurs comme l’AFD, la Banque mondiale, etc. Troisièmement, les Maisons des savoirs qui répondent aux besoins des jeunes défavorisés des banlieues difficiles. Nous avons retenu quatre villes : Chisinau, Hue, Kinshasa et Ouagadougou – et sollicité les Maires francophones.

RFI : Quelle est la place de la Francophonie sur la scène internationale ?

C.D. : Le président Diouf, par sa personnalité, a hissé l’organisation à un rang nouveau. De Bruxelles à New York, l’Organisation est respectée par les autres institutions internationales. Nous avons une commission mixte avec l’Unesco. Nous sommes en rapport avec la Commission européenne, avec les autres grands ensembles linguistiques, les institutions financières internationales. L’institution après Boutros a reçu mandat de respirer et d’ouvrir grand les portes.

RFI : Comment combler le déficit d’image de la Francophonie, notamment par rapport au Commonwealth, mais pas seulement ?

C.D. : Malgré ses perspectives d’avenir, la question revient. L’Organisation porte encore les marques de préjugés tenaces qui consistent à dire qu’elle milite pour le français contre l’anglais. C’est oublier la modernité de ses pères fondateurs quant au dialogue des cultures. Et que l’Organisation est communément choisie par 95 % de ses membres.
Le Secrétaire général a mené un combat pour que la Francophonie mobilise les autres communautés linguistiques avec la convention pour la diversité culturelle, gagné à l’Unesco. Cette convention est devenue son cœur de métier, un de nos fondamentaux qui rayonne sur le politique, pour une diversité des systèmes politiques dans le respect des droits de l’homme et de la démocratie.

RFI : Jusqu’où doit s’étendre la Francophonie ?

C.D. : Pour le Québécois que je suis, la langue française est une identité. Je ne suis donc pas de ceux qui pensent que l’élargissement va nous faire disparaître. Mais je suis partisan d’un socle solide. Nous réunissons le quart des pays membres de l’Onu autour d’une table, qui se concertent et font bouger les choses. A New York, notre groupe des ambassadeurs a favorisé la création d’une commission du multilinguisme. Au niveau de la Commission européenne, José Manuel Barroso est un fidèle allié de la langue française. Mais notre première force, c’est qu’Abdou Diouf ait pu, pour la première fois dans un sommet, faire de la langue française l’enjeu d’un débat. Sans doute a-t-il profité du 400e anniversaire du Québec… Mais il mène une politique proactive pour valoriser le français dans le respect des autres langues… Le français a un bel avenir qu’il nous appartient de ne surtout pas mettre sous le boisseau.

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