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90 ans de l'Armistice 1918

La Grande Guerre, une leçon citoyenne

Article publié le 07/11/2008 Dernière mise à jour le 10/11/2008 à 09:45 TU

Serge Barcellini, historien, a été directeur de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, et directeur de cabinet au Secrétariat d'État des anciens combattants du gouvernement de Lionel Jospin. Il est aujourd'hui contrôleur général des armées et directeur de la mission Histoire au Conseil général de la Meuse.

RFI : La guerre de 1914-1918 est un formidable terrain de rencontres entre des hommes venus de tous les continents. Est-ce un aspect important ?

Serge Barcellini : Oui, car de 1914 à 1918, la France est le champ de bataille du monde, beaucoup plus que le front de l’Est par exemple. En France se retrouve le monde entier. Nous trouvons en France l’émergence des nations qui vont devenir les nations indépendantes du Commonwealth comme le Canada, l’Austalie, la Nouvelle-Zélande. C’est à travers la Grande Guerre que naît l’indépendance de ces pays. Et puis, il y a toute une partie de l’Asie avec l’Inde, l’Indochine et surtout l’Afrique. Ce champ de bataille du monde c’est aussi le champ de bataille des troupes africaines, venues de l’Afrique sub-saharienne et de l’Afrique du nord. Il y a là quelque chose de fondamentalement important : le brassage des peuples en 14-18 sur les terres françaises.

C’est en France que les noirs américains rencontrent d’autres types de réalités, d'autres populations et de vécu politique. Cela devient une étape très importante de leur émancipation. D’ailleurs, cela a posé pas mal de problèmes car à l’époque, les Noirs américains se rendent compte qu’ils sont beaucoup mieux reçus en France qu’aux États-Unis. Beaucoup de gens ignorent que l’armée américaine n’était pas adaptée aux Noirs. On ne voulait pas de ces soldats qui s’étaient engagés lors du passage à la conscription. L’État-major demande aux autorités françaises de prendre ces troupes noires dans leurs régiments. Cela signifie que les Américains séparent les Blancs des Noirs, pratiquant un apartheid. Quand on dit ça 90 ans après, au moment où un président noir est élu aux États-Unis, on constate la formidable évolution d’une société.

Toute l'histoire du monument, en cliquant &gt;<a href="http://www.crdp-reims.fr/memoire/LIEUX/1GM_CA/monuments/01armeenoire.htm" target="_blank">ici</a>Affiche au musée de la Pompelle, Reims.

Toute l'histoire du monument, en cliquant >ici
Affiche au musée de la Pompelle, Reims.

 

RFI : La Grande Guerre  est aussi une étape importante pour les colonies françaises...

SB : Au départ, c'est-à-dire en 1914, les troupes coloniales viennent du Maghreb. Il n’y a pas de troupes africaines noires bien que le général Mangin ait écrit avant guerre un livre prémonitoire sur la «force noire». Le tournant, c’est 1917 quand la France a un véritable problème à résoudre, suite à la révolution russe, c'est-à-dire avant que les forces allemandes du front Est rebascule sur le front Ouest. C’est un drame démographique parce que les troupes allemandes sont d'un seul coup, beaucoup plus nombreuses. D’où, l’arrivée des Américains, et le recrutement des troupes africaines. C’est surtout un point de frustration importante car quand on a engagé ces troupes, il y avait des promesses et parmi ses promesses, celle de l’émancipation à partir de 1918.

En 1918, les combattants qui reviennent chez eux jouent un rôle déterminant dans les anciennes colonies : ils formeront une partie de l’élite à partir de 1920. Mais les promesses ne sont pas tenues. On peut le voir symboliquement à travers les monuments érigés après guerre. En France, il n’y a que deux monuments sur lesquels on met un combattant noir en statue :  l'un est installé à Reims, l’autre à Nogent-sur-Marne, en un lieu que l’on appelle le jardin colonial, aujourd’hui jardin tropical. En Afrique en revanche, on construit des monuments avec un soldat noir. On voit bien là la «petitesse mémorielle» à partir de 1918. Cela pose un problème.

RFI : Le débat en cours sur ce que l’on appelle la cristallisation des pensions pose aussi un problème ?

SB : Je risque d’être politiquement incorrect sur ce sujet. La cristallisation ne se fait pas à l’origine contre l’Afrique, bien au contraire ! Elle se fait au départ sur le problème indochinois. 
À partir de 1956, le gouvernement français décide de cristalliser radicalement les retraites de nos combattants du Vietnam parce que chez eux, ils sont rackettés… Ils le sont tellement que l’on décide de leur acheter globalement leur pension pour solde de tout compte pour une durée donnée. 
Avec les indépendances africaines, on commence à changer et on propose soit un achat pour huit ans soit une cristallisation, c'est-à-dire un arrêt au moment de l’indépendance. On le fait pour le Maghreb puis, pour l’Afrique noire, le général de Gaulle dit : «on ne cristallise pas !». La cristallisation pour un pays comme le Sénégal ne se fait donc pas à l’indépendance, mais plus tard, dans les années 70. À l’époque, personne n’en parle parce qu’il n’y a pas d’inflation en France et qu’il n’y a pas de décrochage. Le décrochage intervient à partir de 1974, après le premier choc pétrolier. En France, la pension va suivre l’inflation mais elle ne va pas suivre en Afrique.

RFI : Vous voulez donc dire qu’il n’y a pas eu de volonté d’un traitement différent selon les origines des combattants ?

SB : Je pense que l'injustice n'est pas aussi importante. Nous voyons aujourd’hui que la retraite du combattant est si faible en France, (de l’ordre de 250 euros par an) que même en décristallisant, les pensions resteront également faibles en Afrique. La question est différente en ce qui concerne les pensions d’invalidité et c’est sur ce point qu’il y a la plus grande injustice : quand vous dites qu’une jambe d’Africain vaut moins cher qu’une jambe d’un Français, c’est inacceptable. C’est sur ce point que doit porter tout l’effort.

                                        Propos recueillis par Nicolas Balique

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