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Russie / Amérique du Sud

Un signal fort d’une Russie affaiblie

par Piotr Moszynski

Article publié le 27/11/2008 Dernière mise à jour le 28/11/2008 à 10:20 TU

Le président russe Dmitri Medvedev termine, jeudi, sa tournée en Amérique latine par une visite à Cuba, après celles au Pérou, au Brésil et au Venezuela. Au menu : une multitude de contrats et un défi symbolique aux Etats-Unis.
Le président russe Dmitri Medvedev (g) et son homologue vénézuélien Hugo Chavez au palais de Miraflores, à Caracas, le 26 novembre 2008.(Photo : Reuters)

Le président russe Dmitri Medvedev (g) et son homologue vénézuélien Hugo Chavez au palais de Miraflores, à Caracas, le 26 novembre 2008.
(Photo : Reuters)

Schématiquement, la situation est simple. Depuis la chute de l’URSS, beaucoup de ses anciens satellites sont passés dans le camp occidental, ce qui a rapproché sensiblement les frontières de l’Union européenne et de l’Otan de celles de la Russie. Pendant une quinzaine d’années, la Russie n’avait pas les moyens de réagir et souffrait en silence en espérant qu’un jour le moment viendrait où elle pourrait prendre sa revanche. Elle souffrait, car elle interprétait la tendance historique qui s’est dégagée après la dislocation de l’empire soviétique comme une tentative de l’Occident, et en particulier des Etats-Unis, de l’encercler et de l’humilier. Depuis quelques années, elle cherche à retrouver son statut perdu de superpuissance mondiale. L’actuelle tentative d’installer des têtes de pont en Amérique latine est une façon de dire « Voilà, ça y est, maintenant nous jouons de nouveau à armes égales avec les Américains. Ils nous encerclent en s’installant en Europe centrale, dans les pays baltes ou en Géorgie – alors nous allons faire de même en nous installant à leurs frontières à eux, au Venezuela, à Cuba et peut-être au Brésil.

Une vision dépassée

Certes, une telle vision de la politique mondiale peut paraître un peu dépassée et pas trop rationnelle. En effet, dans le monde actuel, de plus en plus globalisé et disposant de technologies très avancées, où l’on peut frapper un ennemi à grande distance et où le commerce se fait à l’échelle mondiale, s’attacher, comme au XIXe siècle, à des notions de « zones d’influence », « proximité des frontières » ou « étranger proche », ne semble pas vraiment efficace. Toutefois, une autre notion – celle de « rapport des forces » - compte toujours beaucoup dans les relations internationales, et de ce point de vue la tournée latino-américaine du président russe n’est pas dépourvue de sens. Avec une multitude de contrats, y compris dans le secteur militaire et nucléaire civil, ainsi qu’avec les manœuvres navales au large de Venezuela, Dmitri Medvedev montre les muscles là où les Américains ne l’attendaient pas trop.

Dans ce contexte, la question clé est : est-ce que la Russie a déjà les moyens de contrer l’influence américaine – et, plus largement, occidentale – dans le monde ? On a pu avoir cette impression juste après la crise géorgienne. Forts d’une belle croissance économique et d’une excellente situation financière due aux prix très élevés du pétrole et du gaz, les Russes ont jugé leur position suffisamment solide pour s’autoriser à changer par la force les frontières d’un Etat voisin, soutenu ouvertement par l’Occident et ambitionnant de rejoindre l’Otan. On a dû considérer au Kremlin que la fenêtre de quelques mois d’un relatif affaiblissement des Américains par la crise des subprimes et par la période transitoire au sommet du pouvoir à Washington, constituait le moment ou jamais de pousser ses pions aussi loin que possible. L’intrusion politique, économique et militaire en Amérique latine – donc, dans une zone considérée par les Etats-Unis presque comme leur arrière-cour – est sans doute une nouvelle étape d’un plan visant, à moyen terme, à reconquérir la position d’une puissance plus que régionale.

Le paysage change

L’ennui, c’est que la situation a radicalement changé entre la crise géorgienne et la visite de Dmitri Medvedev au Venezuela et à Cuba. En effet, au moment de la crise géorgienne, le prix du pétrole brut atteignait 150 dollars le baril, alors qu’actuellement il avoisine 50 dollars – chiffre considéré comme le seuil de rentabilité pour les exportations russes. Or, l’économie russe est tellement dépendante des matières premières que certains spécialistes n’hésitent pas à comparer sa structure à celle des économies du Tiers-Monde… Ainsi, même un journal russe, Kommiersant, exprime quelques doutes quant à la capacité des compagnies pétrolières russes d’honorer les contrats signés lors de la tournée du président en Amérique latine face au manque de liquidités et aux difficultés à réunir les fonds nécessaires pour investir massivement.

En même temps, les conséquences de la crise des subprimes ont atteint la Russie elle-même et les autorités sont devenues tellement nerveuses sur ce point qu’à la moindre apparition du mot « crise » dans les médias, elles les accusent formellement d’« extrémisme ». Tout cela dans un contexte démographique et social défavorable, avec une population qui décroît et qui reste rongée par la corruption et l’alcoolisme.

Vieilles habitudes

Ce qui arrange le Kremlin encore moins, c’est la victoire de Barack Obama. Elle a suscité dans le monde une vague de sympathie pour le président élu, et par extension une certaine indulgence par rapport à son pays. Pire, cette élection a coïncidé avec la décision du Parlement russe de prolonger le mandat présidentiel à six ans, ce qui est généralement interprété comme une mesure qui prépare un prochain come back de Vladimir Poutine, qui pourrait, dans ce cas, s’installer au Kremlin comme un véritable tsar. Cela risque de créer dans l’opinion mondiale la fâcheuse impression qu’au moment où l’Amérique fait sa révolution et règle efficacement ses comptes avec son passé de ségrégation raciale et avec son épisode « bushien », la Russie retombe inexorablement dans ses vieilles habitudes d’un passé autoritaire, clanique et expansionniste.

Ainsi, même si l’on peut comprendre les ambitions et les aspirations russes, le moment de les mettre en œuvre en montrant ses muscles en Amérique latine semble particulièrement mal choisi.

Le président russe, Dmitri Medvedev, en visite à Cuba

« Place à la realpolitik. Le président cubain, Raoul Castro, entend bien que la visite de son homologue russe marque le départ, avant tout, des échanges commerciaux. »

28/11/2008 par Guillaume Decamme