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Union européenne

Le passage de témoin entre Français et Tchèques sous le signe de la suspicion

par Christine Dupré

Article publié le 02/12/2008 Dernière mise à jour le 08/12/2008 à 02:31 TU

La République tchèque succède à la France à la présidence de l'Union européenne.(Photo: eu2009.cz)

La République tchèque succède à la France à la présidence de l'Union européenne.
(Photo: eu2009.cz)

Le 1er janvier prochain la République tchèque va succéder à la France à la présidence de l'Union européenne. Les Tchèques seront les premiers parmi les nouveaux membres de l'UE à se retrouver en position d'influencer durablement ses décisions. Sont-ils bien préparés à ces nouvelles responsabilités ? Comment évaluent-ils la présidence francaise ? Quelques éléments de réponse...

De notre correspondante à Prague, Christine Dupré

Caroline Vinot, diplomate francaise, travaille depuis plusieurs mois auprès du ministère tchèque des Affaires étrangères. Son objectif  : rapprocher les points de vue entre Français et Tchèques, avant le passage de témoin de la présidence européenne au 1er janvier prochain. Cette tchècophone a dit sur les antennes de Radio Prague avoir constaté « une recherche de consensus » entre les deux pays sur tous les sujets, y compris sur celui, très douloureux, de la guerre russo-géorgienne du mois d'août dernier.

En la circonstance, les Tchèques ont fini par approuver l'initiative européenne lancée par Nicolas Sarkozy, initiative menant au retrait des forces russes des zones géorgiennes occupées. En laissant ouverte la question du stationnement russe en Ossétie du Sud. « Entre la Russie et la position américaine, ferme sur le fond, mais sans aucun "accroc" diplomatique, l'Europe a réussi, grâce à la France, à faire entendre sa voix », juge Michal Uhl, fils des anciens dissidents Petr Uhl et Anna Sabatova, et lui-même militant chez les Verts, petit parti de la coalition gouvernementale de centre-droit.

Globalement, la présidence française dans les milieux dirigeants tchèques est pourtant perçue de manière bien plus négative. Plusieurs émissions de télé françaises, y compris les Guignols de l'Info, ont accrédité à Prague l'idée que la présidence tchèque n'était pas prise au sérieux. Que les Français allaient en sous-main chercher à prolonger leur présidence, en reléguant au rang de spectateurs des « gens de l'Est » mal préparés.

La médiation européenne dans le conflit russo-géorgien a souvent été perçue comme une capitulation des 27 devant Moscou, à une époque où les médias tchèques chauffaient leurs lecteurs à propos d'« une nouvelle intervention russe au mois d'août », en référence à l'écrasement du Printemps de Prague, 40 ans plus tôt.

Adhésion à l'euro toujours différée

Survint la crise financière. Là non plus, la volonté affirmée de Nicolas Sarkozy de « réguler les marchés et de moraliser le capitalisme », n'a pas convaincu les dirigeants conservateurs, eurosceptiques modérés, d'un gouvernement dirigé par Mirek Topolanek. Pas plus que le gouverneur de la Banque centrale Zdenek Tuma, aussi hostile à un surcroit de régulation qu'à l'adhésion, toujours différée, de son pays à la zone euro.

Quant aux propos de Nicolas Sarkozy, dirigés contre l'installation prévue d'une base radar américaine antimissiles sur le sol tchèque, ils ont soulevé un tollé dans la plupart des médias tchèques, généralement pro-américains. « Mieux faut trouver un accord avec la Russie, qui évite ce déploiement tout comme celui de missiles russes dirigés contre l'Europe centrale depuis Kaliningrad », avait declaré en substance le président français. Cela lui a valu une sèche réplique de l'ancien président Vaclav Havel : « Sarkozy parle plus vite qu'il ne pense ».

Vaclav Havel, ancien opposant au régime communiste, n'oublie jamais ce qu'il doit aux Américains. Ce qui ne l'empeêche pas d'être un partisan de la construction européenne. Ce n'est pas le cas de son ancien « fils spirituel », Alexandr Vondra. « Sacha », qui fut un temps ambassadeur à Washington, est aujourd'hui un ministre chargé des Affaires européennes à l'origine de la campagne controversée destinée à populariser, à la maison, la future présidence tchèque de l'UE.

« Nous allons sucrer l'Europe », autrement dit « nous allons en faire baver à nos partenaires », a-t-on pu lire, sur des affiches et des clips aujourd'hui remplacés par des slogans « plus positifs ». « Etonnez- vous après ça, qu'à Bruxelles, à Paris ou ailleurs, les Tchèques soient perçus comme eurosceptiques ,voire anti-européens », soupire le politologue Jiri Pehe, ancien conseiller de Havel. « La vérité est que la haute fonction publique tchèque n'est pas préparée à la présidence, et que le provincialisme de notre culture politique veut que, quand on ne sait pas faire quelque chose, on dit qu'on ne veut pas le faire »...

Un anti-européen forcené

Le président conservateur Vaclav Klaus.(Photo : AFP)

Le président conservateur Vaclav Klaus.
(Photo : AFP)

Le gros « boulet » des Tchèques porte un nom, celui de Vaclav Klaus, l'actuel président de la République. Un anti-européen forcené, toujours président d'honneur et homme d'influence dans le Parti civique démocrate - ODS-  qu'il a créé au debut des années 1990, le parti de l'actuel Premier ministre Mirek Topolanek.

M. Topolanek, conservateur modéré, souhaite voir ratifier le Traité européen de Lisbonne avant le début de la présidence tchèque, grâce aux voix d'une majorité des députés et sénateurs de son parti, des chrétiens démocrates et des Verts, et à celles de l'opposition sociale-démocrate et communiste. Vaclav Klaus a, lui, récemment rendu visite en Irlande au milliardaire Declan Ganley, leader du NON au référendum. Il l'a qualifié de « dissident », la dénomination appliquée à Prague aux anciens opposants au régime communiste, condamnés comme Vaclav Havel à de longues années de prison.

Klaus menace désormais de créer son propre parti anti-européen, si l'ODS devait participer à la ratification de Lisbonne. Quel jeu joue donc aujourd'hui cet ancien Premier ministre pseudo-thatchérien des années 1990, cet ancien cadre de la Banque Nationale à l'époque communiste, qui entretient aujourd'hui des relations très amicales avec Vladimir Poutine ?

« Un petit pays comme le nôtre doit jouer à fond le jeu de l'intégration européenne, faute de quoi il risque l'isolement et une dérive vers la Russie », estime Monika Pajerova, présidente d'ANO, l'association en faveur du OUI au référendum sur l'adhésion en 2003. La République tchèque va vraisemblablement prendre la présidence de l'UE sans avoir ratifié Lisbonne, Vaclav Klaus refusant de toute manière de signer le texte du traité avant que les Irlandais se soient à nouveau prononcés. A Prague, les six mois à venir seront turbulents et marqués par l'immobilisme.

Le dossier

(Photo : UE)