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Union européenne

« Danke Sarko » ?

Article publié le 05/12/2008 Dernière mise à jour le 08/12/2008 à 02:34 TU

Vue de Berlin, la présidence française de l’Union laisse un goût mi-figue, mi-raisin. On reconnaît à Nicolas Sarkozy une bonne gestion des crises de ces six derniers mois, mais l’attitude du président français agace aussi fortement et a fait tanguer le couple franco-allemand.

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy à Colombey-les-Deux-Eglises, le 11 octobre 2008.( Photo : Reuters )

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy à Colombey-les-Deux-Eglises, le 11 octobre 2008.
( Photo : Reuters )

De notre correspondante à Berlin, Nathalie Wendt

Angela Merkel a une fois de plus mis ses griefs dans sa poche. Passant outre une aversion croissante à l’encontre du président français, elle s’est livrée mercredi 3 décembre à l’un des rituels du franco-allemand et a « remercié » la présidence française de l’Union européenne pour son action durant un semestre « difficile » devant la tribune très officielle du Bundestag. « On peut le dire aujourd’hui, la France a bien dirigé la barque européenne dans des eaux difficiles » a insisté Angela Merkel à une semaine du sommet européen.

«Il faut reconnaître que la présidence française a été capable de changer totalement et au dernier moment le calendrier prévu pour gérer des dossiers totalement inattendus et trois crises majeures avec Lisbonne, la Géorgie et la crise financière », admet Urlicke Guérot, directrice du bureau de Berlin de l’European Council on Foreign Relations. La présidence française, qui s’était préparée aux difficiles dossiers de la défense, de l’immigration ou de l’agriculture, a dû improviser la gestion de trois dossiers inattendus. « Les Allemands sont très reconnaissants à Sarkozy d’avoir su faire preuve d’une telle réactivité, et surtout d’avoir su gérer la crise du Caucase, d’avoir réussi à fédérer l’ensemble des membres de l’Union, ce qui n’était pas évident vu les différences de position à l’égard de la Russie. »

Les Européens de l’Est, nouveaux membres du club UE toujours méfiants envers leur ancien occupant, reprochent d’ailleurs aujourd’hui à mi-mot au président français d’avoir été trop loin dans la recherche d’un compromis avec Moscou. Sur le dossier financier, les Allemands ont apprécié la rapidité avec laquelle Paris a mis sur pied une rencontre du G20. « Bien sûr, il y a eu des disputes, tout le monde n’était pas d’accord sur le fond, mais il faut bien admettre qu’il a réussi à faire asseoir tout le monde à la même table ! », insiste la chercheuse.

« Que la France exerce la présidence de l’UE à ce moment a été un heureux hasard, les Européens sont en général d’accord là-dessus, estime le journal Die Zeit en mentionnant la « spontanéité » et « l’énergie » du président français. Même dans les rangs du SPD, certains députés longtemps hostiles à Sarkozy se disent « heureusement surpris » par le bilan de la présidence française.

Point trop n'en faut

« La présidence française a été une bonne surprise, résume Martin Koopmann, chercheur à la Fondation Adenauer, proche de la CDU. D’autant que les débuts ont été très difficiles, avec l’Union méditerranéenne. Les attentes des Allemands étaient en fait très faibles. Le fait que la France ait cherché l’approbation de l’Allemagne sur des sujets tels que la Géorgie a beaucoup rassuré à Berlin. Cela a calmé un peu le jeu ».

Un peu seulement. Car rarement Berlin aura été autant exaspéré par Paris qu’en cette fin de présidence française. « Il est temps que cette présidence finisse », répète-t-on dans la capitale allemande. Au-delà d’une certaine admiration face à la gestion des crises, on sent la même exaspération tant dans l’entourage d’Angela Merkel à la chancellerie qu’au ministère des Affaires Etrangères, chez Franz-Walter Steinmeier, le challenger social-démocrate de Merkel aux prochaines élections. « On n’a jamais été autant énervé à Berlin par le style parisien », note l’hebdomadaire Die Zeit. Sont visées pêle-mêle la « prétention du président français » à rester à la tête de l’Union depuis un improbable poste de chef d’un gouvernement économique européen, ses tirades humiliantes selon lesquelles « les Tchèques seraient incapables de prendre le relais » pour cause de gouvernement en fin de parcours et de président anti-européen ou le « style impérial de Sarko » exigeant d’être reçu en premier par la nouvelle administration américaine…

« Au-delà de cet agacement sur le ton et le style Sarko, ce qui est grave, c’est l’incapacité qu’ont en ce moment la France et l’Allemagne à mettre de côté leurs nationalismes pour faire avancer l’Europe, s’inquiète Ulricke Guérot. Il est légitime de défendre ses intérêts, et il est normal que la France et l’Allemagne se disputent. On a déjà vu cela à la veille du lancement de l’Euro par exemple. Mais ce qui est nouveau, c’est que la France et l’Allemagne semblent ne plus avoir de but commun, semblent ne plus avoir la volonté de tirer le reste de l’Union vers un avenir commun. » La chercheuse s’attend à de rudes discussions au sujet de l’énergie et du climat, chacun défendant les intérêts, qui de Gazprom, qui de GdF-Suez ou de sa propre industrie automobile. Les Allemands, irrités par la volonté française de ne jamais céder lorsqu’il y va des intérêts économiques de l’Hexagone, ne veulent plus endosser le rôle d’éternel perdant sur la scène européenne…

Dans son discours devant le Bundestag, Angela Merkel s’est d’ailleurs bien gardée de remercier Sarkozy pour sa gestion de la crise financière et économique. La chancelière, qui n’a pas été invitée à la rencontre de Londres lundi entre Gordon Brown, Nicolas Sarkozy et Jose Manuel Barroso, refuse toute participation financière de l’Allemagne à un plan de relance européen. « Ce n’est pas parce que l’Allemagne est moins endettée que ses voisins qu’elle devrait payer plus que les autres » pour relancer la conjoncture, se défend le gouvernement allemand.

Le titre d’un éditorial de l’hebdomadaire Die Zeit de cette semaine « Danke, Sarko ! », résume bien les choses. Un « Danke » qui peut se comprendre à la fois comme un « merci », et un « au suivant ! ».

Le dossier

(Photo : UE)