par RFI
Article publié le 09/01/2009 Dernière mise à jour le 10/01/2009 à 04:46 TU
Yves Aubin de La Messuzière: D’abord, je dirais qu’il s’agit d’une chronique d’un conflit, d’une tragédie annoncée. Vous savez que la trêve était extrêmement fragile et c’est une trêve qui pendant cinq mois, négociée à travers l’Egypte entre Israël et le Hamas, avait plutôt bien fonctionné. Et que les échéances arrivant, il y a eu des multiplications d’incidents. Je crois que le point de départ du « processus de rupture », c’est le 4 novembre, lorsqu’il y a eu cette attaque israélienne contre une position du Hamas et ensuite une escalade avec des tirs de Kassam et probablement une erreur tactique et politique du Hamas, quand il a décidé que la trêve ne serait pas prolongée, ce qui a donné le prétexte à Israël d’intervenir. Et ce que je sais, puisque je reste bien entendu en contact avec Gaza, c’est que le Hamas ne s’attendait pas à l’ampleur d’une telle offensive.
RFI : Une des informations de la journée, c’est le rejet par Israël et par le Hamas de cette résolution 1860 votée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Pourquoi le Hamas rejette-t-il ce texte ?
Yves Aubin de La Messuzière : On est dans une position à la fois du côté israélien comme du côté du Hamas, où les deux initiatives – aussi bien s’agissant de la franco-égyptienne sur laquelle peut-être nous allons revenir et qui marque tout de même là une initiative importante, puis par la suite la résolution du Conseil de sécurité – ont été donc rejetées. Mais, j’ai l’impression à la fois en Israël et je pense aussi au Hamas à la suite de débats, on assiste dans un contexte actuel, puisque les affrontements continuent, à un durcissement des positions alors que cette résolution est une bonne résolution. Et en soi, c’est un évènement parce que c’est peut être la première fois depuis très longtemps que les Etats-Unis, dont on sait qu’ils ont toujours bloqué des résolutions sur le conflit du Proche-Orient, même des résolutions équilibrées, se sont abstenus. Là c’était déjà un signal. Et peut-être que les positions pourront évoluer. On peut l’espérer.
RFI : Comment expliquez-vous l'impuissance de la communauté internationale ?
Yves Aubin de La Messuzière : Ce que je regrette c’est que pendant cette période de trêve qui a bien marché – c’était reconnu d’ailleurs par les autorités israéliennes et aussi, bien entendu, du côté palestinien – il y avait une opportunité pour que la communauté internationale agisse et fasse de la diplomatie préventive en faisant des pressions sur Israël, et aussi sur les parties prenantes – je pense à l’Egypte et à l’Autorité palestinienne – pour les conduire à une réconciliation avec le Hamas. On sait les efforts louables de l’Egypte. Et puis aussi, peut-être, en entretenant des contacts au minimum avec ce mouvement qui représente une réalité.
RFI : Effectivement, vous vous êtes exprimé à plusieurs reprises ces derniers mois, notamment dans la presse française, pour dire qu'il faut parler avec le Hamas. Le refus d’un tel dialogue, cela a été une erreur et la crise actuelle illustre le fait que cela a été une erreur, d’après vous ?
Yves Aubin de La Messuzière : Moi, je pense que le Hamas, on le présente actuellement comme un mouvement terroriste. Effectivement, il y a cette dimension, il faut le reconnaître. Quand on envoie aussi des missiles sur des populations civiles, même certaines autorités palestiniennes le disent aussi, ce sont des actions à caractère terroriste. Mais le Hamas c’est tout à fait autre chose, c’est comme le Hezbollah, c'est-à-dire c’est un mouvement d’abord politique et qui a remporté de manière extrêmement démocratique les élections.
Là aussi, il y avait eu une opportunité en 2006, quand le Hamas a remporté les élections. Et puis il y a une dimension sociale : il y a une emprise de la société, quoi que l’on pense, du Hamas. Donc, il était important, d’abord lorsqu’il y a eu ces élections, quand un gouvernement a été formé, je pense que cela a été une erreur d’avoir boycotté le gouvernement du Hamas. Et par la suite, de s’être refusé de tout contact en s’enfermant dans ce que j’appelle un dogme, c'est-à-dire les trois conditions énoncées par l’Union européenne : l’arrêt de la violence, cela est tout à fait légitime ; mais la reconnaissance de l’Etat d’Israël, les trois-quarts des pays arabes ne reconnaissent pas l’Etat d’Israël ; et la reconnaissance des acquis des accords d’Oslo, dont on peut estimer qu’ils sont, au moins partiellement, un échec. Là, je crois qu’on s’est enfermé et cela a été, de mon point de vue, en tant qu’analyste, certainement une erreur.
RFI: Pourquoi refuse-t-on de discuter avec le Hamas tout en demandant à des pays tiers, tels que la Syrie et l'Egypte, de le faire?
Yves Aubin de La Messuzière : Non mais c’est très bien de faire appel effectivement à des médiateurs avec un rôle tout à fait central de l’Egypte. Et effectivement donc le président de la République française a eu raison de réactiver en quelque sorte le rôle de l’Egypte. On sentait qu’il y avait donc une mise à l’écart de l’Egypte. Le rôle de l'Egypte est donc essentiel, irremplaçable. Etant entendu qu’il faut rechercher des médiateurs, là il peut y avoir la Syrie bien entendu et peut-être aussi la Turquie. Je sais que le Hamas désigne ce pays souvent comme un médiateur possible. On a vu la tournée du Premier ministre turc récemment, oui, reçu comme un héros.
Il peut y avoir aussi le rôle émergent du Qatar qui est important. Donc, il y a plusieurs médiateurs possibles et c’est très bien de les mobiliser. Et donc on ne peut qu’apprécier cette initiative franco-égyptienne qui a été annoncée avec des éléments qui sont assez forts mais il faut l’arrêt des affrontements pour la mise en œuvre, bien entendu, de cette initiative.
RFI : N'y a-t-il pas en Israël derrière cette offensive un enjeu de politique intérieure dans la perspective des élections anticipées ?
Yves Aubin de La Messuzière: C’est évident, il n’y a pas de doute. Peut-être il n’y aurait pas eu cette offensive à ce moment-là si on n’était pas en campagne électorale et quand on voit une surenchère, une concurrence, entre les trois candidats : Benyamin Netanyahu, dont les sondages montrent qu’il pourrait être le futur Premier ministre, est là de côté un petit peu en « embuscade », si je puis dire, politiquement bien entendu ; Ehud Barak, dont l’objectif c’est effectivement de pouvoir se positionner de manière beaucoup plus forte dans la perspective des élections et aussi – c’est très important, là c’est un objectif je crois d’Israël – de restaurer la crédibilité et la capacité de dissuasion de Tsahal après donc l’échec ; enfin, il y a aussi Tzipi Livni qui, là aussi, tient parfois un langage dur, ce qui n’était pas dans son habitude, dans ce contexte-là en particulier.
RFI : Que peut-on attendre de la nouvelle administration américaine ?
Yves Aubin de La Messuzière: Effectivement c’est important. Je pense – c’est une analyse, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne –que l’abstention des Etats-Unis au Conseil de sécurité c’est peut-être un signal, la volonté de la future nouvelle administration. Et simplement ce que je voudrais dire c’est que le nouveau président des Etats-Unis serait bien inspiré, comme il l’a dit au début de la campagne électorale et ça c’est un peu oublié, de rappeler la centralité du conflit israélo-palestinien. Et à l’intérieur de cette centralité, il y a la question de Gaza et donc forcément du Hamas et du dialogue à venir avec cette organisation.
Propos recueillis par Kamel Djaïder et Nicolas Falez Ancien ambassadeur « Je pense que c'était une erreur d'avoir boycotté le gouvernement du Hamas après son élection en 2006 et de s'être refusé tout contact en s'enfermant dans un dogme. »Yves Aubin de La Messuzière
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