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Etats-Unis

La double infortune de Tom Daschle

par Anne Toulouse

Article publié le 04/02/2009 Dernière mise à jour le 04/02/2009 à 15:09 TU

Tom Daschle (d) et Barack Obama lors d'une conférence de presse à Chicago, le 11 décembre 2008.(Photo : Reuters)

Tom Daschle (d) et Barack Obama lors d'une conférence de presse à Chicago, le 11 décembre 2008.
(Photo : Reuters)

Au cœur d'une polémique sur plus de 100 000 dollars d'arriérés d'impôts, et de questions sur ses liens avec l'industrie de la santé, Tom Daschle a renoncé au poste de super ministre chargé de réformer le système de Santé. Quelques heures plutôt, Nancy Killefer, pressentie pour être conseillère du président Obama et superviser la réforme du budget et des dépenses publiques, a fait de même également pour une question de non-paiement des impôts. Ces deux affaires incarnent la difficulté de gouverner à la hauteur des promesses de campagne. Sur la nomination de Tom Daschle, le président Obama a admis avoir « foiré ».

Ceux qui ont lu le New York Times mardi matin, n’ont pas été surpris que Tom Daschle renonce à briguer le ministère de la Santé quelques heures plus tard. La page éditoriale, qui est le porte-parole officieux de la gauche américaine, le poussait déjà vers la sortie : « Monsieur Daschle, pouvait-on lire, fait partie de l’une de cette longue lignée de politiciens qui naviguent confortablement du gouvernement au monde des affaires… Il éclaircirait l’atmosphère en se retirant. »

Tout ce que l’ère Obama voulait ne pas être

Malgré le soutien du président qui avait répondu « absolument », lorsqu’on lui avait demandé lundi s’il gardait sa confiance à Tom Daschle, malgré la détermination des démocrates du Congrès à ratifier sa candidature, Tom Daschle a senti se lever le vent de l’indignation populaire. Il n’a pas voulu selon ses propres termes être « une distraction », un euphémisme politique pour « embarras ». Son affaire était devenue emblématique de tout ce que l’ère Obama voulait ne pas être.

A la fin de la semaine dernière, il est apparu que Tom Daschle avait payé en catastrophe 140 000 dollars d’arriérés d’impôts, lorsqu‘il était devenu probable qu’il allait faire partie du nouveau gouvernement. Avant cet accès tardif de vertu fiscale, il avait omis de déclarer pendant trois ans l’usage d’une voiture de maître avec chauffeur, un avantage en nature estimé à 250 000 dollars. Il s’en est expliqué en arguant qu’il avait pensé « naïvement » qu’il s’agissait d’un cadeau d’un ami. L’ami en question est le patron d’ « Intermedia Advisors », une société d’investissements qui employait M. Daschle… et c’est là qu’a été ouverte la boîte de Pandore.

Lorsqu’il a été battu aux élections de 2004 et qu’il a perdu du même coup la direction de la minorité démocrate au Sénat, Tom Daschle a exploité l’un des dossiers qu’il avait eu à traiter pendant sa carrière politique, celui du système de santé. Il avait déjà un pied dans le sujet, puisque sa femme est une lobbyiste connue, membre d’un grand cabinet de Memphis, dans le Tennessee, qui traite, entre autres choses, avec de grands laboratoires pharmaceutiques. Il a écrit un livre sur le sujet et il a été engagé par « Alston & Bird » un cabinet d’avocats et de lobbyistes. Ses diverses activités lui ont rapporté 5 millions de dollars en trois ans.

Tom Daschle n’a jamais eu le titre de lobbyiste, mais ce qu’il a fait y ressemble étrangement : il était consultant et donnait des conférences devant des représentants de compagnies d’assurances, de l’industrie pharmaceutique ou des distributeurs d’équipement médical. Autant de partenaires qui peuvent constituer des conflits d’intérêt pour quelqu’un qui était pressenti pour superviser la réforme de l’assurance maladie et du système de santé aux Etats-Unis, l’un des postes les plus importants de la nouvelle présidence.

Une profession reconnue et honnie

Les lobbyistes constituent une profession reconnue et codifiée aux Etats-Unis. Ils sont définis comme « des personnes des institutions ou des cabinets qui représentent les intérêts d’une tierce partie auprès d’un représentant du gouvernement ». Ils doivent être inscrits sur une liste officielle et obéir au code de leur profession : les représentants du gouvernement ou les parlementaires n’ont pas le droit de traiter avec des personnes qui ne font pas officiellement partie de la corporation.

Cette interférence officielle entre les groupes de pression de l’industrie privée et les représentants du pouvoir politique a soulevé beaucoup de questions éthiques. Le rôle principal des lobbyistes étant de faciliter la navigation de leurs clients dans les allées du pouvoir, il n’est pas étonnant que la plupart d’entre eux soient d’anciens politiciens ou bien leurs proches.

Les lobbyistes ont été l’une des cibles favorites de Barack Obama pendant sa campagne électorale. Il avait promis de se « démarquer de ce qui se faisait précédemment à Washington ». « Aucun lobbyiste ne trouvera du travail dans ma Maison Blanche », promettait-il régulièrement à la foule de ses supporters, qui ne manquait pas de huer la profession honnie. Le lendemain même de son élection, le nouveau président a signé un décret qui n’allait pas aussi loin que le bannissement annoncé des lobbyistes : il leur interdisait simplement de travailler à l’intérieur du gouvernement avec ceux qui avait pu être leurs clients pendant les deux années précédentes. Mais même cette version allégée s’est avérée difficile à tenir.

Moins d’une semaine plus tard, Barack Obama s’est accordé une dispense à lui-même pour engager William Lynn, ancien lobbyiste d’un vendeur d’équipement militaire, comme numéro deux du ministère de la Défense. Quelques jours plus tard, un lobbyiste de la lutte contre le tabac a été choisi comme numéro deux du ministère de la Santé. La raison est simple : le gouvernement veut les meilleurs spécialistes et il y a de grandes chances pour que les entreprises privées aient eu la même idée et les aient déjà engagés pour défendre leurs dossiers.

Des exceptions raisonnables

Nancy Killefer, une ancienne responsable du Trésor sous le gouvernement de Bill Clinton, a renoncé au poste de responsable de la réforme du budget et des dépenses publiques dans l'administration Obama.(Photo : AFP)

Nancy Killefer, une ancienne responsable du Trésor sous le gouvernement de Bill Clinton, a renoncé au poste de responsable de la réforme du budget et des dépenses publiques dans l'administration Obama.
(Photo : AFP)

« Les règles les plus strictes exigent des exceptions raisonnables », a expliqué Robert Gibbs le porte-parole de la Maison Blanche. Mais derrière la logique politique se profilent les attentes des électeurs et la perception des promesses non tenues. S’ils s’avèrent qu’elles sont impossibles à mettre en œuvre, pourquoi les avoir faites ?

Tom Dashle a eu la malchance d’être doublement emblématique. Il est arrivé lundi au Capitole en taxi, preuve qu’il avait compris la bévue des patrons de l’industrie automobile qui sont venus demander des subsides à Washington dans des jets privés. Mais déjà la presse faisait des gorges chaudes sur son précédent équipage. Aux Etats-Unis, l’équivalent de « gauche caviar » est « liberal limo », « la gauche en limousine », dont il s’est trouvé la vivante illustration. S’il n’a pas été officiellement un lobbyiste, il a incarné la théorie « des portes tournantes » entre la politique et le monde des affaires dénoncées dans le passé par Barack Obama.

Dans le deuxième volet de ses ennuis, ses problèmes fiscaux, il eu la mauvaise fortune d’être le deuxième. Le premier Tim Geithner qui avait « oublié » 40 000 dollars d’impôts est, lui, passé entre les gouttes. Après s’être excusé, il a été confirmé au poste de ministre des Finances, une fonction qui supervise, entre autres choses, le système fiscal.

Mardi une autre candidate à un poste gouvernemental, Nancy Killefer s’est retirée pour ne pas avoir à expliquer certains détails fiscaux. Cette avalanche de problèmes en pose un autre : normalement les failles des candidats doivent être détectées en amont. Ils sont soumis au « vetting process », une enquête serrée sur tout ce qui dans leur passé pourrait être soulevé au moment de la ratification de leur nomination. Cela soulève d’ailleurs un vrai débat : doit-on chercher en priorité le candidat le plus compétent ou un candidat vierge de toute infraction ?

Lorsque la révélation intervient après coup, elle est lourde de conséquences pour tout le monde. Barack Obama a donné une série d'interviews quelques heures après le retrait de Tom Daschle. Il a pris sur lui la responsabilité de ce fâcheux épisode : « I screwed up », a-t-il dit dans l'une d'entre elles, ce que l’on pourrait traduire par « J’ai cafouillé ». 

Barack Obama

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