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Nazisme

A la recherche du «docteur la mort», de Mauthausen au Caire

par Monique Mas

Article publié le 05/02/2009 Dernière mise à jour le 05/02/2009 à 17:52 TU

Une photo d'Aribert Heim qui daterait de 1959.(Photo : AFP)

Une photo d'Aribert Heim qui daterait de 1959.
(Photo : AFP)

Le nazi d’origine autrichienne, Aribert Heim, « docteur la mort » du camp de concentration de Mauthausen, est-il mort d’un cancer au Caire en 1992 sous l’identité musulmane de Tarek Hussein Farid comme l’affirme son fils au quotidien américain The New York Times et à la télévision allemande ZDF ? Cela reste à prouver selon le Centre Simon Wiesenthal, qui le laisse pour le moment en tête de sa liste des criminels nazis à pourchasser. En 2007 déjà, dans un livre autobiographique publié par le colonel israélien Danny Baz, Aribert Heim avait été donné pour mort, exécuté fin 1982 au Canada par des survivants de la Shoah. Reste qu’en l’absence de cadavre, rien n’a jamais permis de déclarer officiellement la mort du « boucher de Mauthausen », visé depuis cinquante ans par un mandat international émis par les autorités allemandes.

Selon la police criminelle du Bade-Würtemberg, qui abrite une cellule d'enquête sur Aribert Heim, le reportage de la télévision allemande ZDF « recoupe les informations les plus récentes des autorités » allemandes qui suivent sa piste depuis cinquante ans. Mais comme le souligne le directeur de l'antenne israélienne du Centre Simon Wiesenthal spécialisé dans la traque des criminels nazis, Ephraïm Zuroff, les preuves formelles de la mort au Caire du « boucher de Mauthausen » font toujours défaut en l’absence « de cadavre, de sépulture et à plus forte raison de confirmation ADN ».

Le nazi Heim en musulman arabe

C’est sur le contenu d’une mallette de documents remise par le propriétaire de l’hôtel où résidait le défunt Tarek Hussein Farid et sur la foi des allégations du fils d’Aribert Heim, Rüdiger Heim, que repose l’enquête conjointe de la télévision allemande et du quotidien américain The New York Times . Selon le certificat de décès égyptien, ce qui est sûr, c’est qu’un docteur Tarek a terminé ses jours en août 1992, dans une chambre du sixième étage du Qasr el Medina, un petit hôtel aujourd’hui délabré du Caire.

Cité par l’Agence France Presse, le nouvel occupant des lieux, familier de longue date de l’hôtel, Gamal Abou Ahmad, évoque « une sorte de géant, peu causant, mais qui ne ratait pas une prière à la mosquée », un Allemand arrivé au milieu des années soixante-dix, converti à l’islam et qui avait, selon ce même témoignage, de très bonnes relations avec la famille Doma, propriétaire de l’hôtel, et surtout avec le gérant de l’époque, un militaire égyptien germanophone.

Le cadavre disparu d'oncle Tarek

Selon le New York Times et la ZDF, c’est sous l’identité d’emprunt du docteur Tarek Hussein Farid, celle d’un « oncle Tarek » apprécié des enfants du vieux Caire islamique pour ses distributions de bonbons que le nazi Aribert Ferdinand Heim aurait terminé sa longue fugue. Né le 28 juin 1914 en Autriche, Heim s’était engagé dans les SS en 1940 pour devenir l’année suivante l’artisan de la mort par vivisection de centaines de détenus du camp de concentration autrichien de Mauthausen. Selon son fils, Rüdiger Heim, il serait mort d’un cancer de l’intestin le 10 août 1992, « le jour de la fin des Jeux Olympiques » de Barcelone.

Le corps du défunt Tarek-Heim aurait disparu en Egypte dans des circonstances rocambolesques. Rüdiger Heim raconte en effet ses efforts vains pour satisfaire les dernières volontés de son père en faisant don de son corps à la science, ce que l’islam prohibe. Le cadavre aurait en fin de compte été saisi par la police égyptienne, qui l’aurait jeté dans une fosse commune. Des confidences en forme de provocation qui ne collent pas complètement avec la version du locataire de l’hôtel Qasr el Medina.

La disparition du cadavre paraît très opportune au directeur de l'antenne israélienne du Centre Simon Wiesenthal, Ephraïm Zuroff. Le chasseur de nazis souligne que ce n’est pas la première fois que la descendance du criminel nazi donne de fausses informations sur Heim. « Certains ont intérêt à accréditer la thèse d’un décès », ajoute-t-il. Ces « révélations » interviennent en tout cas au moment où le Centre Wiesenthal se préparait à tripler, jusqu'à un million d'euros, la récompense pour toute information permettant de localiser le vieux nazi.

Heim déjà donné pour mort en 1982

Depuis qu’en mars 1950, l’Allemagne avait lancé un mandat d'arrêt international contre lui, le fuyard avait été signalé en Argentine, en Egypte, mais aussi en Uruguay ou en Espagne. Il a même déjà été donné pour mort vingt ans après sa disparition de Baden-Baden en Allemagne où il exerçait comme gynécologue depuis l’après-guerre. C’est en tout cas la version du colonel de l’armée de l’air israélienne, fin connaisseur des missions secrètes, Danny Baz.

D’après Danny Baz, Heim aurait été capturé au Canada et exécuté fin 1982 par des rescapés de la Shoah regroupés dans une organisation clandestine de « justiciers » baptisée « La Chouette ». Une « affaire classée » racontée dans un ouvrage autobiographique publié en 2007 aux éditions Grasset : Ni oubli, ni pardon. Au cœur de la traque du dernier nazi. Pour sa part, en l’absence de preuve de décès convaincante, le centre Simon Wiesenthal poursuivait sa traque.

Au Caire, Heim était inconnu de l’ambassadeur d’Allemagne. Le docteur Tarek ne semble pas avoir eu non plus de relations très ostentatoires avec d’autres nazis réfugiés en terre musulmane. Outre ses principaux débouchés latino-américains, la fameuse filière d’exfiltration nazie Odessa a disposé de réseaux en Egypte et en Syrie.

Le bras droit du logisticien de la solution finale Adolf Eichmann, Aloïs Brunner, aurait paisiblement terminé sa vie sous le parapluie syrien d’une commune détestation des juifs. Plus tard, sous Nasser, le nationalisme arabe en guerre contre « l’entité sioniste » n’a pas hésité à recycler des nazis comme Johann Von Leers, un proche de l'idéologue Goebbels converti à l'islam et placé à la tête d’un département du « service de propagande anti-sioniste ».

Le Centre Wiesenthal ne retirera pas Aribert Heim de sa liste de la « dizaine de criminels nazis les plus recherchés aussi longtemps qu'il n'y aura pas de preuve de sa mort ». La justice autrichienne a d’ores et déjà lancé des « vérifications » pour tenter de prouver de manière irréfutable que le sadique bourreau autrichien de Mauthausen est bien mort il y a 17 ans dans la peau d’un musulman dévot du Caire.