par Sophie Malibeaux
Article publié le 12/03/2009 Dernière mise à jour le 13/03/2009 à 13:42 TU
Le cortège des opposants et des avocats en robe noire s’est ébranlé ce jeudi de Karachi, la ville portuaire du sud du Pakistan, en dépit de l’interdiction de manifester décrétée par les autorités. Environ 2000 activistes politiques et défenseurs de l’Etat de droit ont répondu à l’invitation de Nawaz Sharif d’organiser une « Longue Marche » pendant cinq jours. La caravane tentait de rejoindre Lahore, capitale du Penjab, pour achever son périple par un sit-in dans la capitale Islamabad, le 16 mars prochain. Mais les autorités ont bouclé les issues de la ville, et empêché les manifestants de poursuivre leur route.
A Karachi, des policiers en civil arrêtent un militant de l’opposition pakistanaise qui participe à la « longue marche », le 12 mars.
(Photo : Reuters)
Le départ de la marche a été précédé par de nombreuses interpellations depuis mercredi 11 mars : au moins trois cents militants du parti de Nawaz Sharif, le PLM-N (Parti de la Ligue Musulmane, tendance Nawaz) dans tout le pays, selon l’organisation de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch.
La police de Karachi, pour sa part, a affirmé détenir 90 personnes dont le vice-président du Jamaat-e-Islami, Ghafoor Ahmed, ainsi que 18 avocats du Sindh, la province du sud du pays. Les manifestants partaient de Karachi, mais aussi de Quetta, capitale du Balouchistan. Les forces de sécurité ont procédé ce jeudi à de nouvelles interpellations alors que le cortège tentait de prendre la route de Lahore, barrée par des camions et des containers.
Agitation politique et soif d’une justice indépendante
Le mouvement est parti de la frustration des opposants du parti de Nawaz Sharif, progressivement mis à l’écart depuis l’échec du gouvernement d’union mis en place au lendemain des élections législatives de février 2008.
Dernier épisode en date, l’exclusion définitive de la vie politique de Nawaz Sharif et son frère Shabaz prononcée précipitamment par la Cour Suprême le 25 février 2009.
Une nouvelle fois, l’indépendance de la justice se trouvait mise à mal, de la même façon qu’il y a deux ans, sous Pervez Musharraf. Cette décision de justice allait donc de nouveau pousser dans la rue opposants et défenseurs de l’état de droit.
Depuis de longs mois déjà, l’opposition demande au président Zardari de respecter ses promesses et de réinstaurer l’ensemble des juges destitués en 2007 par le Président Musharraf. Une partie d’entre eux ont retrouvé leur poste, mais Asif Ali Zardari a refusé jusque-là de remettre en selle l’ancien président de la Cour Surprême, le juge Iftikhar Chaudhry. Le risque, pour l’actuel président, serait en effet de tomber sous le coup d’une décision du juge invalidant tout le processus ayant conduit à son accession au pouvoir.
De fait, Ali Zardari a pu bénéficier d’une amnistie du temps du président Musharraf, dans le cadre d’un accord passé entre son parti, le PPP, et le Parti de Pervez Musharraf (le PLM-Q, Parti de la Ligue Musulmane- tendance Qaid).
L’alliance entre le PPP de feu Benazir Bhutto et le PLM-N de Nawaz Sharif aura en fait permis de faire tomber le général-président, mais elle aura été de courte durée. Une fois passé ce cap, Asif Zardari aura surtout visé à consolider sa position, en prenant soin d’évincer ses principaux rivaux, aussi bien dans l’opposition qu’au sein même du PPP, où il s’est – en quelques mois - aliéné la vieille garde du parti.
Faire tomber le gouvernement
Le mouvement déclenché par l’opposition et une partie de la société civile met donc en péril un président devenu aussi vulnérable qu’impopulaire.
Comme le souligne Mariam Abou Zahab, chercheur au CERI, le mécontentement est à son comble, face à la recrudescence de l’insécurité et du chômage : « Les gens sont aujourd’hui inquiets face à la hausse des prix et à la criminalité qui rendent leur quotidien de plus en plus difficile ». Dans ce contexte, « Nawaz Sharif sait bien que s’il y avait des élections, il aurait aujourd’hui la population derrière lui ». D’où le discours de « sauveur du Pakistan » qu’il tient désormais, pour mobiliser la rue et faire tomber le gouvernement. Un mouvement qui remporte un certain succès, affirme Mariam Abou Zahab, dans les classes moyennes urbaines.
Les solutions tardives du gouvernement
Face aux risques de déstabilisation du pays, le premier ministre Gillani tente de trouver une issue acceptable par les différentes parties.
Il devrait pour cela obtenir l’annulation de la mesure prise par le président de placer la province du Penjab sous administration fédérale, afin que le Parlement de la province puisse procéder à l’élection de son nouveau gouvernement. Mais les efforts fournis par le Premier ministre pour désamorcer la crise interviennent un peu tard, au goût de Nawaz Sharif et de ses supporters. Eux n’ont plus rien à perdre et on décidé d’en découdre dans la rue.
Incertitudes sur le rôle de l’armée
Pour tenter de calmer le jeu, l’armée pourrait être de nouveau appelée à intervenir. Une grande incertitude demeure sur le degré d’instabilité que les responsables militaires seraient prêts à tolérer. La veille du lancement de la « Longue marche », le Premier ministre et le général en chef des armées, Kayani se sont entretenus, mais rien n’a filtré de leurs discussions.
Les craintes liées à une aggravation de la situation politique intérieure sont d’autant plus vives que l’armée pakistanaise a déjà fort à faire sur le front est du pays, aux frontières avec l’Afghanistan, dans une région qui sert de base arrière aux combattants islamistes.
A Ecouter
« Qu’est-ce qui motive les manifestants : [C’est surtout le fait que Ali Asif Zardari n’a pas tenu ses promesses, celles qui avaient été faites dans la charte pour la démocratie signée entre Benazir Bhutto et Nawaz sharif et réintégrer les juges dans leurs fonctions et notamment l’ancien président de la Cour suprême, le juge Chaudhry qui avait été destitué par le général Pervez Musharraff] ».
12/03/2009
Sur le même sujet