par Nicolas Vescovacci
Article publié le 18/03/2009 Dernière mise à jour le 19/03/2009 à 07:50 TU
Au lendemain d’un discours antimusulman très violent, le petit-fils d’Indira Gandhi se défend d’avoir voulu attiser les haines contre la minorité musulmane indienne. Varun Gandhi a expliqué mardi 17 mars à l’occasion d’un meeting électoral que si son parti, le Bharatiya Janata Party (BJP) remportait les élections générales d’avril et mai prochain, « les têtes des musulmans seraient coupées ! ». « Je n’ai pas le moindre sentiment négatif à l’égard d’aucune communauté », a déclaré ce mercredi Varun Gandhi devant la commission électorale. « Mon but était de ramener la confiance chez les Hindous qui sont assiégés », a-t-il conclu. A l’approche du 15ème scrutin législatif de l’histoire de la fédération indienne, les extrémistes hindous ont multiplié les provocations et les attaques contre tous ceux qui seraient tentés de s’éloigner de l’identité hindoue. L’extrémisme hindou est un phénomène récurrent en Inde qui s’invite, à chaque occasion, dans la campagne électorale.
Varun Gandhi (c), petit-fils de l'ancien Premier ministre Indira Gandhi, lors d'une conférence de presse à New Delhi, le 18 mars 2009.
(Photo : AFP)
A 29 ans, Varun est le mouton noir de la dynastie familiale. Cet ancien étudiant en droit, diplômé de la London School of Economics a depuis longtemps été désavoué par le clan des Gandhi. Sa tante, Sonia Gandhi, qui dirige le Parti du Congrès, dénonce régulièrement ses prises de positions qu’elle qualifie « d’inacceptables ».
Farouchement antimusulman, Varun Gandhi s’élève en fait contre tous ceux qui minimisent « l’Hindutva », sorte d’identité hindoue universaliste, transformée en véritable concept politique, selon lequel la religion et les valeurs hindoues fondent et guident chaque être humain. Ses adeptes prônent une dévotion au dieu Rama et revendiquent une certaine pureté de la race. L’objectif est de mobiliser la société pour se débarrasser de la « pollution » des cultures étrangères.
Pour Varun Ganghi, « l’Hindutva » est un patrimoine qui doit être préservé de l’Occident et de ses religions envahissantes, comme l’islam ou le christianisme. Ses récentes déclarations contre la minorité musulmane (14% de la population indienne) n’ont donc rien d’étonnant.
Jeu de pouvoirs
Ces attaques s’inscrivent dans un premier temps dans le jeu politique indien. Varun Gandhi est membre éminent du comité central du BJP, le Parti du peuple indien, un parti nationaliste hindou qui flirte bien souvent avec des thèses radicales. Varun est considéré par ses pairs comme un homme politique d’avenir. Et les vétérans du BJP, comme l’ancien Premier ministre Atal Bihari Vajpayee (1999-2004), ne cachent pas leur soutien à celui qui pourrait prendre un jour les rênes du parti. Expulsé du clan, Varun reste évidemment un Gandhi. Et, à ce titre, il semble le mieux placé pour attaquer frontalement les piliers de la dynastie. Adolescent en politique, donc rebelle jusqu’au bout !
Pour le BJP, Varun Gandhi est surtout un atout politique destiné à mobiliser l’électorat traditionnel du parti, la classe moyenne urbaine et tous les déçus du Parti du Congrès.
Dans moins d’un mois, le 15ème scrutin législatif de l’histoire de la fédération indienne va déplacer plus de 700 millions d’électeurs pendant trois semaines. Le parti du Congrès et le BJP sont au coude à coude. Et aucune de ces deux formations ne semble en mesure de gouverner seule, c'est-à-dire sans l’appui d’une constellation de plus petits partis. Il faut donc ratisser large !
Pour faire pencher la balance, rien de bien nouveau : le BJP use et abuse de discours nationalistes parfois extrêmes, éléments essentiels de sa panoplie électorale.
Attaquer les musulmans participe de cette stratégie : s’affirmer contre un « ennemi » peut s’avérer payant. D’ailleurs, la direction du BJP n’a pas condamné les propos de Varun Gandhi.
Violences confessionnelles
Cet extrémisme hindou mêlé de nationalisme fascisant refleurit à chaque grand rendez-vous électoral. Mais il n’est pas l’avatar d’un simple discours électoraliste. Il s’inscrit dans un lourd passé de violences confessionnelles. Pour les partisans de ce conservatisme, il n’est pas question de diluer la religion hindoue et ses valeurs dans un système politique laïc qui accepterait la différence. C’est au nom de ces valeurs que le 30 janvier 1948, le Mahatma Gandhi fut assassiné par un extrémiste hindou, membre du Rashtrtriya Sawyamsevak Sangh (RSS), une association de volontaires hindous aux allures paramilitaires fondée en 1925. Or, ce sont les membres actifs du RSS qui furent à l’origine de la création du BJP en 1980.
L’extrémisme hindou et son idéologie nationaliste sous-jacente s’illustrèrent à nouveau de manière dramatique en 1992 dans l’Etat de l’Uttar Pradesh. Après une longue campagne antimusulmane menée dès les années 80, produisant émeutes et massacres, le Vishwa Hindu Parishad, (l’autre grand mouvement nationaliste hindou) appela ses partisans à détruire une mosquée dans la ville d’Ayodhya. Cette mosquée construite au XVIe siècle est supposée être située sur l’emplacement d’un temple hindou dédié au dieu Rama. Le 6 décembre 1992, la mosquée fut détruite, ce qui déclencha des affrontements intercommunautaires sanglants. Bilan : plus de deux mille morts. Dix-sept ans après les faits, la situation à Ayodhya reste explosive. En 2009, le programme du BJP propose aux électeurs de construire un temple hindou sur le site disputé.
Contre les chrétiens
Les musulmans ne sont pas les seules cibles de l’extrémisme hindou. La minorité chrétienne fait aussi régulièrement l’objet de menaces, de violences et de discriminations. En août 2008, l’assassinat d’un leader fondamentaliste hindou dans l’Etat de l’Orissa (est de l’Inde) déchaîna la fureur de groupes radicaux. Selon un bilan officiel, 35 personnes, toutes chrétiennes, furent tuées. 4 500 maisons, détruites ou endommagées. Des centaines de familles chrétiennes converties depuis des générations furent obligées de se réfugier dans des camps. « Une honte nationale », explique à l’époque le Premier ministre, Manmohan Singh. Selon Pierre Prakash, le correspondant de RFI en Inde, le mot d’ordre envers les chrétiens est alors très clair : « devenez hindous ou partez ! » Or, dans cette partie de l’Inde, les populations paysannes, souvent très pauvres ont choisi le christianisme car il permet aux intouchables d’échapper au système des castes.
Exaltation hindoue et complicité gouvernementale
Par le passé, les groupes extrémistes hindous ont bénéficié de la complicité tacite d’un pouvoir central, peu enclin à freiner le développement d’une idéologie exclusive. L’exaltation d’une nation hindoue dominatrice et suprême ne dérange l’élite de Bombay ou de New Delhi que lorsque les violences tournent au carnage. Cette dérive identitaire du pouvoir ne serait pas si massive si la politique d’intégration des minorités menée par le Parti du Congrès depuis 2004 était un succès.
Cette dure réalité donne à l’opposition nationaliste des arguments naturels pour dénoncer l’échec d’une politique sociale, aussi coûteuse qu’inefficace. Et pour beaucoup, le BJP est le dernier rempart face à la montée des populations basses castes, devenues au fil des ans le premier réservoir de votes du pays. Ecarté du gouvernement fédéral depuis cinq ans, le BJP semble prêt à tout pour s’imposer comme la seule alternative crédible face au Parti du Congrès. Les liens étroits du BJP avec la nébuleuse extrémiste hindoue ont pu, un moment, ternir l’image du parti. Mais les bénéfices potentiels d’une campagne électorale qui ne recule devant aucun coup bas s’avèrent trop importants pour que les cadres du parti s’interdisent les pires attaques, surtout contre les musulmans.
Charlot menacé
Après l’Irak, l’Inde est le pays ou les violences confessionnelles sont les plus nombreuses au monde. La campagne électorale qui vient de s’ouvrir sur des attaques antimusulmanes ne vas pas aller vers l’apaisement. Sur une plage de l’Etat du Karnataka, même Charlie Chaplin fait les frais de groupuscules d’extrême droite. L'érection d'une statue du célébrissime acteur britannique pour un tournage a en effet déclenché l’ire de nervis hindous partis en croisade contre un symbole de l’Occident qu’ils jugent chrétien donc impur. Ces militants affirment que cette représentation de Charlot salit l'image d'un temple hindou, situé à proximité du plateau de cinéma. En Inde, même les monstres sacrés du cinéma ne sont pas à l’abri des thuriféraires du puritanisme hindou.
Référence bibliographique : Christophe Jaffrelot : les nationalistes Hindous, Presse de Sciences Po, 1993.
A écouter
« Varan Gandhi a 29 ans, il a décidé de rejoindre le parti nationaliste hindou ; de façon très exitée, il a lancé un mot d'ordre qui consiste à mettre l'accent frontalement sur les divisions religieuses. »
18/03/2009
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