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Birmanie

«La Dame de Rangoon» incarcérée

par Julie Lerat

Article publié le 14/05/2009 Dernière mise à jour le 15/05/2009 à 15:59 TU

La junte birmane a inculpé et incarcéré la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi ce jeudi. Elle l’accuse d’avoir enfreint les règles régissant son assignation à résidence, systématiquement reconduite depuis 2003. La semaine dernière, un Américain avait réussi à s’introduire dans la villa d’Aung San Suu Kyi en traversant un lac à la nage.

Aung San Suu Kyi.(Photo : AFP)

Aung San Suu Kyi.
(Photo : AFP)

Aung San Suu Kyi est de nouveau entre les murs de la prison d’Insein. Cela faisait six ans que la principale figure de l’opposition birmane n’avait pas été incarcérée par la junte. Ce jeudi, elle a été inculpée, ainsi que ses deux employées de maison, pour avoir enfreint les règles régissant son assignation à résidence. Le 3 mai dernier – selon les informations données par la junte – un Américain de 53 ans aurait traversé le lac Inya à la nage pour rejoindre la villa d’Aung San Suu Kyi, placée sous haute surveillance policière. L’homme se serait introduit dans la maison et y serait resté deux jours, avant d’être arrêté le 6 mai au matin.

Une semaine plus tard, c’est donc Aung San Suu Kyi elle-même qui est arrêtée pour avoir violé la « clause 22 » de la loi visant à « protéger l’Etat des dangers émanant d’éléments subversifs ». C’est en vertu de ce texte que la Prix Nobel de la paix était assignée à résidence depuis 2003. Aung San Suu Kyi a passé 13 des 19 dernières années en résidence surveillée et a été emprisonnée à plusieurs reprises dans le tristement célèbre complexe d’Insein, notamment entre 2000 et 2002.

Aung San Suu Kyi de nouveau mise à l’écart

La junte, au pouvoir depuis 1962, s’est toujours efforcée de tenir Aung San Suu Kyi à l’écart de l’arène politique, et son arrestation en est une nouvelle démonstration. La loi birmane autorise la junte à maintenir une personne en détention sans procès pendant cinq ans. Quand, après cinq années sous résidence surveillée, les autorités ont reconduit l’ordre d’assignation d’Aung San Suu Kyi, les avocats de l’opposante ont fait appel de la décision. Mais leur appel a été rejeté le mois dernier. L’ordre d’assignation d’Aung San Suu Kyi devait arriver à son terme le 27 mai prochain. Son arrestation épargne à la junte la peine de justifier sa reconduction.

Alors que le général Than Shwe a promis d’organiser des élections nationales pour 2010, il n’est pas non plus dans l’intérêt des militaires de maintenir Aung San Suu Kyi à portée de manifestation – lors de la révolte des moines, en 2007, « La Dame de Rangoon » était sortie sur le pas de sa maison, les larmes aux yeux, pour saluer les manifestants. Elle encourt aujourd’hui de trois à cinq ans de prison. De quoi laisser le temps à la junte d’organiser un scrutin sans entrave.

La Prix Nobel de la paix est toujours très populaire dans le pays. Fille du père de l’indépendance birmane, Aung San, lauréate du prix Nobel en 1991, Aung San Suu Kyi avait remporté les élections de 1990 avec son parti, la Ligue Nationale pour le Démocratie. La LND avait raflé 392 des 485 sièges à pourvoir lors des élections législatives. Mais la junte avait refusé de reconnaître ces résultats. Depuis, l’opposante est dans la ligne de mire des généraux au pouvoir, mais elle bénéficie d’une aura particulière auprès du peuple birman, et d’une reconnaissance internationale.

« C’est un imbécile »

Les médias birmans s’interrogent sur l’identité de cet Américain qui a offert à la junte un prétexte idéal pour écarter une opposante encombrante. Qui est donc John Yettaw, 53 ans, résident du Michigan ? La junte n’a donné aucune autre information que son nom et son numéro de passeport. Mais les théories se multiplient et se contredisent sur les raisons qui ont poussé cet homme à pénétrer dans la villa d’Aung San Suu Kyi, placée sous haute surveillance. Selon certains, il serait mormon, étudiant en psychologie, ou peut-être vétéran du Vietnam (ce qui est assez peu probable étant donné son âge : il aurait eu 19 ans en 1975, à la fin de la guerre).

Un site en birman (tharkinwe.com) a publié ce qu’il présente comme étant deux photos de John Yettaw, trouvées dans son appareil photo, saisi par la junte : l’une est un portrait de face, l’autre, un cliché de ses pieds, chaussés des palmes qu’il a utilisées pour parcourir à la nage les quelques 2 kilomètres qui le séparaient de la maison d’Aung San Suu Kyi. Toujours selon le site birman, il aurait utilisé Google Earth pour repérer son itinéraire, et se serait déjà rendu à la nage dans la villa de l’opposante en novembre dernier. Des opposants birmans en Thaïlande affirment avoir rencontré John Yettaw : il leur aurait raconté qu’il écrivait un livre sur l’héroïsme, inspiré de ses propres expériences. Rumeurs ? Difficile à dire pour l’instant : des diplomates américains ont été autorisés à rencontrer John Yettaw mercredi, mais ils n’ont fait aucun commentaire.

Pour les proches d’Aung San Suu Kyi, cet homme est en tous cas responsable de son incarcération. Kyi Win, l’un des avocats d’Aung San Suu Kyi, l’a qualifié d'« aventurier », ayant agi sur sa « propre initiative ». Il a conclu : « c’est un imbécile ». A Rangoon, des membres de l’opposition soupçonnent la junte d’être derrière cette affaire. La junte, qui s’est contentée d’informer que John Yettaw était, lui aussi, inculpé pour avoir encouragé une violation de la loi, pour avoir violé la loi sur l’immigration, et pour avoir nagé illégalement dans le lac. Il risque également cinq ans de prison.