par RFI
Article publié le 19/05/2009 Dernière mise à jour le 20/05/2009 à 10:29 TU
Adamou Moumouni Djermakoye, président de l'ANDP (Alliance nigérienne pour la démocratie et le progrès).
(Photo : AFP)
RFI : Adamou Moumouni Djermakoye, que pensez-vous du projet du président Tandja de changer la Constitution pour pouvoir se représenter ?
Adamou Moumouni Djermakoye : Je suis très mal à l’aise de critiquer le comportement d’un ami, d’un compagnon d’armes. Aujourd’hui, je me rends compte que ce que propose mon ami, le président Tandja Mamadou est plein de risques pour ce pays.
Aujourd’hui, tous les partis politiques sont opposés à la modification de la Constitution, ainsi d’ailleurs que toutes les centrales syndicales. Donc, j’espère que la sagesse va l’habiter au dernier moment pour revenir sur ce projet, qui ne me paraît pas du tout raisonnable. Pour un militaire, comme lui, il doit se rappeler la servitude de grandeur militaire surtout lorsqu’on a donné sa parole, sa parole d’honneur. On ne peut pas revenir là-dessus. Et je rappelle que les qualités que l’on attend d’un militaire, c’est d’abord la droiture et l’honnêteté.
RFI : « Servitude et grandeur militaire », dites-vous et de fait, le 27 mars, lors d’une visite de Nicolas Sarkozy à Niamey, le président a dit solennellement que jamais, il ne changerait la Constitution, mais aujourd’hui, ses partisans disent qu’il tient parole, puisqu’il propose une nouvelle Constitution.
A.M.D : Mais, une nouvelle Constitution ou modifiée, c’est exactement la monnaie d’une même pièce. C’est la même chose. Et vraiment, on joue sur les mots. Donc, cela n’est pas possible. Et, je vais vous dire, il a juré sur le Coran qu’il allait absolument respecter la Constitution et la faire respecter. Il l’a juré sur le Coran. Et chez nous, jurer sur le Coran, c’est vraiment la dernière des choses qu’un bon musulman peut se permettre de faire. Et je vais vous expliquer, le Niger est vraiment le cas spécial où on a justement introduit cette notion de serment coranique pour tout ce qui concerne la Constitution. Même dans les pays arabes, les pays musulmans, nulle part on ne fait allusion au serment coranique, sauf au Niger. Donc, j’espère qu’il va se rappeler de ce qu’il a dit.
J’en appelle à la conscience non seulement du président Tandja, mais aussi des amis du Niger. Il y a la Francophonie, il y a la Cedeao qui sont prêtes à envoyer des observateurs lorsqu’il y a des élections, mais qui ne bougent pas lorsqu’elles constatent qu’on fait fausse route.
RFI : Alors, la Cedeao désavoue tout de même cette initiative. Elle rappelle que le Niger a signé un protocole qui interdit de modifier la Constitution dans les six mois qui précèdent un scrutin. Quand vous dites que ce référendum est plein de risques, à quels risques, pensez-vous ?
A.M.D. : Tous les partis politiques sont contre, ainsi que les syndicats. A quoi ça servirait d’organiser un référendum auquel on sait d’avance que les organisations politiques et syndicales sont opposées. Cela veut dire qu’on risque la division des populations. On va diviser le peuple. Il faut s’attendre à ce qu’il y ait des difficultés en matière politique. Ça c’est sûr. On le voit venir aujourd’hui.
RFI : Y a-t-il un risque de guerre civile ?
A.M.D. : S’il y a une division, s’il y a une dissension sociale, économique,etc. tout est possible. C’est ce qu’il ne faut pas souhaiter pour si peu. Cela ne vaut pas pour le Niger. Tandja est un ami, mais je préfère quand même le Niger à une situation chaotique. Si la sagesse peut habiter Tandja et tous ceux qui sont derrière lui, il vaut mieux cela. Qu’il reparte avec les honneurs, parce que pendant dix ans, il a fait des choses extraordinaires. Je crois qu’il rentre dans l’Histoire. Mais si jamais, ce n’est pas cela, je ne suis pas convaincu que l’Histoire le retiendrait. Il aura divisé les Nigériens avant de partir.
RFI : Vous craignez une situation chaotique. L’armée pourrait-elle sortir alors de ses casernes ?
A.M.D. : Tout est possible, lorsqu’il y a des difficultés de cet ordre. Je ne suis pas du tout en contact avec l’armée, mais nous sommes en Afrique. Vous savez, tout est occasion à intervenir. Mais je dis, ne donnons pas l’occasion à qui que ce soit – pas l’armée seulement, mais à d’autres aussi – de pouvoir intervenir dans les affaires du Niger.
RFI : Et comment expliquez-vous cette volte-face de la part d’un homme que vous connaissez si bien ?
A.M.D. : Nous n’avons jamais pensé qu’il allait remettre en cause sa parole d’honneur. Un officier, c’est un homme de parole. Nous souhaitons qu’il se rappelle simplement ce qu’il a dit à ses camarades pour qu’il revienne à la raison. Moi, je suis prêt à être à ses côtés, pour travailler à ramener la sérénité dans notre pays.
RFI : A la suite de votre prise de position, les deux membres de votre parti, qui étaient au gouvernement, ont été limogés. Est-ce que vous vous situez aujourd’hui dans l’opposition ?
A.M.D. : Nous, pour l’instant, nous sommes toujours dans cette majorité. Nous attendons de voir ce qu’il va se passer, parce qu’il y a tous les partis politiques de cette majorité qui ont dit non à la révision de la Constitution. Donc on attend de voir quel sort leur sera réservé.
RFI : Et si malgré tous vos conseils et toutes vos mises en garde, le président ne vous écoute pas, est-ce que vous pensez - comme le suggère le PNDS – que la Haute Cour de justice devrait le juger pour haute trahison ?
A.M.D. : Je suis très mal placé en tant que président de la Haute cour de justice. Il ne m’appartient pas d’amener les justiciables devant cette Haute cour. Les partis et les associations qui ont avancé cette idée sont tout à fait libres de ce qu’ils disent. Mais pour moi, en tant que président de la Haute cour de justice, j’attends de voir ce qu’il va se passer.
Entretien réalisé par Christophe Boisbouvier de RFI
A lire