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Sri Lanka

Enquête sur une guerre sans témoins

par julie lerat

Article publié le 21/05/2009 Dernière mise à jour le 22/05/2009 à 13:15 TU

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, doit se rendre au Sri Lanka ce vendredi. Il a évoqué la possibilité de lancer une enquête sur d’éventuels crimes de guerre. Une enquête qui s'annonce difficile, car la guerre s’est déroulée sans observateurs indépendants. Selon les dernières estimations de l’ONU, le conflit au Sri Lanka aurait fait jusqu’à 100 000 morts au cours des 37 dernières années.
Des civils arrivent au village de Putumatalan, au nord du Sri Lanka, après avoir fui une zone de combats, le 22 avril 2009. (Photo : Reuters)

Des civils arrivent au village de Putumatalan, au nord du Sri Lanka, après avoir fui une zone de combats, le 22 avril 2009.
(Photo : Reuters)

Après avoir mollement protesté au cours des quatre mois qu’a duré l’offensive de l’armée sri-lankaise, l’ONU, l’Union européenne, et les Etats-Unis font désormais poindre la menace d’une enquête sur d’éventuels crimes de guerre.

Le Haut Commissaire pour les droits de l’Homme, Navi Pillay, avait été la première à prévenir le gouvernement sri-lankais et les Tigres tamouls que leurs actions pourraient être considérées comme des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. C’était au mois de mars. Depuis, le gouvernement britannique a assuré son « soutien à une enquête rapide (…) pour déterminer si des crimes de guerre ont été commis ». Lundi dernier, les 27 pays de l’Union européenne appelaient à leur tour à l’ouverture d’une enquête indépendante. Le lendemain, le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, interrogé à propos des accusations de crimes de guerre, répondait qu’elles devraient « faire l’objet d’une enquête appropriée ».

La perspective d’une enquête semble donc se dessiner et pourrait être confirmée dans les jours à venir : lors de la visite de Ban Ki-moon au Sri Lanka, ce vendredi, ou lors de la réunion spéciale du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU sur le conflit sri-lankais convoquée ce lundi. Une telle enquête n’aurait pas de conséquences juridiques pour les parties au conflit, mais elle pourrait amener à isoler le gouvernement sri-lankais.

Les conclusions de cette possible enquête ne seraient en revanche pas connues avant longtemps, car les enquêteurs risqueraient d’avoir du mal à faire la lumière sur ce qui s’est vraiment passé entre janvier et mai 2009 dans le nord du Sri Lanka. Hormis le Comité International de la Croix Rouge, aucun témoin indépendant n’a eu l’autorisation d’accéder aux zones de conflit.

Les civils, premières victimes

Or de nombreuses accusations devront être étayées. Les Tigres de l’Eelam tamoul (LTTE) sont soupçonnés d’avoir utilisé les populations civiles comme « boucliers humains » : l’ONU estime que 50 000 civils étaient pris au piège dans la zone des combats au cours des derniers jours d’affrontements. Les enquêteurs, si enquête il y a, devront également faire la lumière sur l’enrôlement d’enfants par les Tigres tamouls : entre 2003 et fin 2008, l’Unicef a répertorié 6000 cas d’enfants recrutés par le LTTE. En février dernier, alors que l’armée renforçait son offensive, l’agence de l’ONU a accusé les Tigres tamouls d’avoir intensifié le recrutement d’enfants soldats.

Le gouvernement sri-lankais, lui, est soupçonné d’avoir bombardé la zone protégée où se réfugiaient les civils, ainsi qu’un hôpital de Mullivaikal - une centaine de personnes ont péri suite au bombardement. L’armée affirme, de son côté, qu’elle a tout fait pour « sauver » les civils, notamment le 20 avril dernier, lorsque quelque 100 000 personnes ont quitté la zone de conflit où elles résidaient. Pour l’armée, il s’agit de la « plus grande opération au monde de sauvetage d’otages ». Le président sri-lankais ne veut pas entendre parler d’atteintes aux droits de l’Homme ou de crimes de guerre : aux pays occidentaux, qui ont timidement reproché à Colombo de mettre en danger les populations civiles, Mahinda Rajapakse a conseillé « d’aller voir ce qu’ils font en Irak et en Afghanistan ».

Une guerre sans témoin

D’autres événements devraient encore être éclaircis. Le sort de deux dirigeants des Tigres tamouls abattus alors qu’ils se rendaient aux autorités, drapeau blanc à la main, reste à élucider. Le chef politique B. Nadesan et le chef du secrétariat à la paix S. Pulideevan avaient contacté le CICR pour lui demander de jouer les intermédiaires et d’annoncer à l’armée qu’ils baissaient les armes. Ont-ils été abattus par l’armée sri-lankaise ? Ou par les Tigres qui n’acceptaient pas que certains des leurs se rendent ? Au-delà de ce cas précis, l’enquête devrait tenter de déterminer si l’armée a tué civils et combattants tamouls de manière indifférenciée. Des organisations tamoules et de défense des droits de l’Homme accusent en effet les forces armées sri-lankaises d’avoir tué nombre de civils en prétextant qu’il s’agissait de combattants tamouls.

Enfin, plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme s’interrogent sur le sort de trois médecins qui officiaient dans la zone des combats et au service du gouvernement. Ils ont communiqué à la presse le nombre de blessés et de morts suite aux bombardements répétés de l’hôpital de Mullivaikal, où ils travaillaient. Ils ont ensuite disparu à un check-point de l’armée, et seraient interrogés par la police pour avoir divulgué de fausses informations… On reste aujourd’hui sans nouvelles de ces hommes que les autorités sri-lankaises ont pu considérer comme des témoins gênants.

Colombo s’est efforcé de tenir tout observateur à distance. « On ne peut rien vérifier », confiait Nimaka Fernando, avocate sri-lankaise et présidente du Mouvement international contre toutes les formes de discrimination et de racisme, au plus fort des combats. « Aucun média international n’a été autorisé à entrer. Au Sri Lanka, les médias ne peuvent aller dans les zones de combat ou dans les camps que si le gouvernement les contrôle. Il s’agit d’une guerre sans témoins. On ne sait pas ce qui s’y passe ».

Quatre jours après la défaite des Tigres tamouls, les medias et les organisations humanitaires n’ont toujours pas accès à la zone des combats ou aux camps de réfugiés, où vivent désormais 280 000 déplacés.

Ban Ki-moon à Colombo

Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, doit arriver ce vendredi au Sri lanka pour une visite de deux jours. Il veut encourager la réconciliation entre les cinghalais au pouvoir et la minorité tamoule.

Mais il devrait également faire pression sur le gouvernement pour qu'il autorise les agences de l'ONU et les organisations humanitaires à avoir accès total aux camps de réfugiés et aux zones où se sont déroulés les combats.

Quatre jours après la victoire du gouvernement sur les Tigres tamouls, les organisations humanitaires ne peuvent toujours pas porter assistance aux quelques 280 000 déplacés du conflit sri-lankais. Les autorités sri-lankaises ont notamment restreint l'accès au camp de Menik Farm, où s'entassent plus de 130 000 personnes.

Elles expliquent qu'elles ont besoin de temps pour s'assurer que des combattants tamouls ne se sont pas glissés parmi les réfugiés pour constituer des cellules dormantes. S'agit-il d'un prétexte pour éloigner les obsevrateurs indépendants et les empêcher de recueillir les témoignages des civils?

Les journalistes, eux non plus, n'ont pas accès aux camps de réfugiés. Selon le gouvernement de Colombo, il n'est pas question de les laisser traiter les réfugiés comme des animaux dans un zoo. Au moment où la communauté internationale évoque la possibilité d'une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, les autorités sri-lankaises bloquent également tout accès aux anciennes zones de conflit.

Ce mercredi, Colombo y a mené une opération de «nettoyage» et ramassé les cadavres. Le CICR, qui était la seule organisation à pouvoir pénétrer dans cette zone des combats, n'a pu y distribuer aucune aide alimentaire ou médicale depuis deux semaines.