par Paul Khalifeh
Article publié le 08/06/2009 Dernière mise à jour le 08/06/2009 à 17:50 TU
Démentant la plupart des pronostics, la coalition anti-syrienne du 14-Mars a remporté les élections législatives devant l’opposition regroupée autour du général chrétien Michel Aoun et du Hezbollah. Mais au lieu de renforcer la stabilité, les résultats de ce scrutin pourraient plonger le pays dans une nouvelle crise de pouvoir.
Saad Hariri, politicien et leader de l’Alliance anti-syrienne, salué après sa victoire aux élections à Beyrouth, le 7 juin 2009.
(Photo : Reuters)
Les partisans du 14-Mars ont fait la fête toute la nuit. Ils n’ont pas attendu l’annonce des résultats officiels par le ministère de l’Intérieur, lundi après-midi. On savait déjà, dès l’aube, que la coalition au pouvoir depuis 2005 avait obtenu 71 des 128 sièges au Parlement (répartis à égalité entre chrétiens et musulmans), contre 57 pour l’opposition.
Ce résultat inattendu a surpris aussi bien les Libanais et les observateurs, que les chancelleries occidentales, qui donnaient favori l’opposition, avec quelques sièges d’avance seulement. Si bien que des responsables de pays européens avaient multiplié, ces derniers temps, les déclarations assurant que leurs pays traiteraient avec n’importe gouvernement issu des élections, même si le Hezbollah sortait vainqueur de cette consultation populaire.
Alors que s’est-il passé pour que le choix des électeurs ne soit pas conforme à la plupart des pronostics et des sondages d’opinion ? Plusieurs facteurs combinés sont intervenus. L’allié chrétien du Hezbollah, le général Michel Aoun, à qui revenait la tâche d’assurer 32 des 65 sièges nécessaires pour obtenir la majorité au Parlement, a été la cible d’une vaste campagne axée sur son alliance avec le parti chiite. Les armes du Hezbollah, la wilayat al-Faqih (la jurisprudence du théologien), la République islamique, le boycott du Liban par l’Occident, la fuite des capitaux… autant de thèmes utilisés à fond par les adversaires de Michel Aoun pour susciter chez les chrétiens un sentiment de peur vis-à-vis d’une éventuelle victoire du parti de Hassan Nasrallah.
Autre point, le rapatriement de dizaines de milliers de Libanais vivant à l’étranger pour voter dans des circonscriptions où la bataille était très serrée. Par exemple dans le Koura, au Liban-Nord, ces votes inattendus ont permis au 14-Mars de rafler les trois sièges en lice, alors que tous les sondages antérieurs donnaient la victoire au moins à deux des trois candidats de l’opposition.
Autre élément, la mobilisation exceptionnelle de l’électorat sunnite. Fait très rare dans les annales électorales libanaises, dans la circonscription de Zahlé, dans la plaine orientale de la Békaa, 64% des 40 000 électeurs sunnites se sont rendus aux urnes pour voter en masse en faveur de la liste du 14-Mars. Cet apport imprévu, couplé à un léger recul de la popularité de Michel Aoun et de ses alliés chez les chrétiens, ont permis au 14-Mars de rafler la totalité des sept sièges. Ce qui s’est passé dans ces deux circonscriptions était amplement suffisant pour faire pencher la balance.
Autre surprise, la victoire des cinq candidats du 14-Mars dans les quartiers chrétiens de Beyrouth face à la liste alignée par Michel Aoun. Partout ailleurs, les résultats étaient proches des pronostics. Dans le Mont-Liban chrétien, Michel Aoun a remporté 20 des 22 sièges. L’apport de milliers de votes chiites et arméniens a conforté la position de ses candidats face à leurs rivaux. Dans le Kesrouan, une circonscription où Michel Aoun était personnellement tête de liste, et où 90% électeurs sont maronites, le général Aoun a remporté les cinq sièges. Dans le bastion maronite de Zghorta, au Liban-Nord, son allié Sleiman Frangié et ses deux colistiers ont battu les trois candidats du 14-Mars.
Complications politiques
A Tripoli, la deuxième ville du Liban et dans toutes les circonscriptions du Nord à majorité sunnite, le chef de la majorité sortante, Saad Hariri, n’a eu aucune difficulté à rafler la totalité des sièges. Même scénario à Beyrouth et dans le Sud de la Békaa. Victoire facile aussi dans la ville à majorité sunnite de Saïda (40 kilomètres au sud de Beyrouth) pour le Premier ministre sortant, Fouad Siniora, et Bahia Hariri, sœur de l’ancien Premier ministre assassiné, Rafic Hariri.
Saad Hariri, portrait |
Saad Hariri n'avait rien demandé, ou presque... Le fils de l'ancien Premier ministre assassiné n'a jamais exprimé un amour immodéré pour la politique. Au contraire, il prospérait dans les affaires. Libanais mais également de nationalité saoudienne, il dirigeait à Ryad la Saudi-Oger, une entreprise de travaux publics grâce à laquelle son père Rafic Hariri avait fait fortune. Agé de 39 ans, il est licencié en économie de l'université américaine de Georgetown. Le magazine Forbes évalue sa fortune à 1,4 milliard de dollars. C'est le meurtre de son père qui change le cours de son destin. Il n'a de cesse de rechercher les coupables et devient très vite l'un des adversaires les plus critiques envers le président libanais d'alors, Emile Lahoud, proche de Damas, qu'il tient pour responsable de l'assassinat de son père. De son père il hérite également d'une formidable machine politique, d'un réseau de relations extrêmement efficace et d'un giganstesque capital de sympathie. Leader incontesté de la majorité parlementaire, avec la bénédiction notemment des Etats-Unis et de l'Arabie Saoudite, c'est la seconde fois qu'il remporte des élections législatives et rien ne s'oppose à ce qu'il soit nommé chef du gouvernement. Aussitôt sa victoire annoncée, en tout cas, Saad Hariri est allé se recueillir sur la tombe de son père. RFI |
Dans la montagne druze, Walid Joumblatt, qui s’est allié pour la circonstance avec ses anciens ennemis chrétiens Amine Gemayel et Samir Geagea, a remporté tous les sièges.
Enfin, au Liban-Sud et dans le Nord de la Békaa à majorité chiite, les listes du Hezbollah et du Mouvement Amal, du président sortant du Parlement Nabih Berry, ont raflé tous les sièges… comme prévu.
Au lieu de contribuer à la stabilité politique du Liban après quatre années de turbulences, les résultats de ces élections pourraient replonger le pays dans une crise complexe. Bien avant le jour des élections, chaque parti avait annoncé ses conditions. Le 14-Mars a prévenu qu’en cas de victoire, il n’accorderait pas à l’opposition une minorité de blocage au gouvernement, comme c’est le cas actuellement depuis l’accord de Doha qui a mis fin, en mai 2008, aux affrontements armés entre les partisans des deux bords. L’opposition, elle, a déclaré qu’elle ne participerait pas à un cabinet dans lequel elle ne détenait pas ce fameux tiers de blocage. Anticipant ce problème, le président de la République, Michel Sleimane, a proposé une solution médiane : le nombre de portefeuilles qui lui seraient attribué, additionné à ceux de l’opposition, formeraient ensemble le tiers de blocage. De la sorte, le chef de l’Etat deviendrait l’arbitre en cas de profondes divergences portant sur des questions cruciales comme l’avenir de la résistance armée du Hezbollah ou de l’implantation définitive des réfugiés palestiniens au Liban. Il n’est pas sûr que l’opposition accepte cette formule. Dernier scénario : le 14-Mars forme un gouvernement sans les principaux partis chiites et chrétiens. Il lui sera alors difficile, sinon impossible, de gouverner seul, comme l’a montré l’expérience de gouvernement Siniora entre décembre 2006 et mai 2008.
Le seul espoir d’éviter une longue crise gouvernementale réside dans une modification du paysage politique avec la création d’une troisième force entre les blocs parlementaires de Walid Joumblatt et de Nabih Berry. De la sorte, la bipolarisation de la scène politique qui paralyse les institutions, serait brisée. Mais pour l’instant, il n’y a aucun indice sur la possible désintégration du 14-Mars et de l’opposition.
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