Article publié le 20/07/2009 Dernière mise à jour le 20/07/2009 à 16:04 TU
Quinze ans après l’attentat contre l’Amia, la plus importante organisation juive du pays, qui a causé la mort de 85 personnes, les proches des victimes réclament toujours justice. Et si l’enquête a avancé, l’agression subie par un témoin-clé ne manque pas de préoccuper.
De notre correspondant à Buenos Aires, Jean-Louis Buchet
Émotion, espoir, préoccupation : tels ont été les sentiments dominants du quinzième anniversaire de l’attentat contre l’Amia, la principale organisation juive d’Argentine. Émotion, lors des hommages aux victimes, qui ont été nombreux mais limités, en raison de la suspension, pour cause de grippe A, du grand rassemblement prévu initialement. Samedi 18 juillet, une minute de silence a été observée à 9h 53, heure de l’explosion, quinze ans plus tôt, de la voiture piégée qui a détruit le siège de l’Amia, dans le centre de Buenos Aires, faisant 85 morts et 300 blessés. Ensuite, les proches des victimes ont déposé des fleurs au pied du mur où sont gravés les noms des disparus. Un geste qu’ont répété, durant le week-end, des argentins de tous âges et de toutes conditions sociales, tandis que radios et télévisions diffusaient un message saluant la mémoire des 85 personnes qui ont perdu la vie ce 18 juillet 1994. Tout en réclamant justice, comme le font les familles des victimes et la société argentine dans son ensemble. « Une dette de l’État national », ainsi que l’a reconnu le chef du gouvernement Aníbal Fernández. Quinze ans après, les responsables du plus grave attentat terroriste de l’histoire du pays n’ont toujours pas été jugés. Mais les progrès de l’enquête autorisent un certain espoir.Contrairement à ce qui se passait dans les années 90, quand le gouvernement de l’époque laissait les enquêteurs s’égarer sur des fausses pistes, le procureur en charge du dossier, Alberto Nisman, bénéficie du plein appui des pouvoirs publics qui l’ont doté de moyens importants. Avançant dans ses investigations, il a pu confirmer la thèse d’un attentat commandité par l’Iran et planifié par son ambassade à Buenos Aires, sans doute pour « punir » le président Carlos Menem du retard pris par la mise en œuvre d’un contrat de coopération nucléaire. Il paraît également établi que les exécutants ont été des membres du Hezbollah libanais, entrés dans le pays avec des faux passeports grecs et repartis le jour-même de l’explosion. Les terroristes auraient bénéficié de complicités locales, dont celle d’un mécanicien, Carlos Telleldín, pour la fourniture du véhicule. Enfin, il y a quelques semaines, Nisman aurait identifié le coordinateur de toute l’opération, un colombien du nom de Salman El Reda, résidant aujourd’hui au Liban. Les éléments de preuves rassemblés par Nisman ont à leur tour permis que le juge Rodolfo Canicoba Corral demande des mandats d’arrêt internationaux pour El Reda, ainsi que pour un libanais et sept anciens diplomates iraniens. Parallèlement, la Cour suprême, en permettant de réutiliser une partie de la procédure des années 90, a ouvert la voie à une inculpation de Carlos Telleldín qui permettrait d’en savoir plus sur ce qu’on appelle ici la « connexion locale ».
Graves accusations
C’est au sujet de cette partie de l’enquête que les préoccupations se font jour. Parce que ce 18 juillet, alors que se déroulaient les différentes cérémonies en hommage aux victimes, des inconnus ont tiré sur un témoin clé, Claudio Lifschitz, qui n’a dû son salut qu’à la rapide intervention de la garde que la police lui a affectée après qu’il eut subi une première agression. Ancien collaborateur du juge qui a dirigé l’enquête sur des fausses pistes dans les années 90, Lifschitz a dénoncé les liens entre les membres de la « connexion locale » et de hauts responsables du gouvernement de Carlos Menem, notamment les chefs du contre-espionnage. Selon Lifschitz, les services secrets argentins avaient réussi à infiltrer une cellule iranienne à Buenos Aires quelques mois avant l’attentat et ils n’auraient rien fait pour empêcher les terroristes d’agir. C’est ce qui expliquerait l’attitude des pouvoirs publics et de la justice lors de la première enquête et conduit Lifschitz à formuler de graves accusations contre plusieurs anciens collaborateurs de Menem.
Étant donné que l’arrestation des ex-diplomates iraniens par Interpol est peu probable sans la collaboration, aujourd’hui exclue, de Téhéran, c’est sans doute à partir de la connexion locale que l’enquête a le plus de chances d’aboutir à des résultats. À condition, bien sûr, que Lifschitz soit en mesure de maintenir ses accusations.
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