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Géorgie / Russie

Moscou-Tbilissi : les mots repartent à la guerre

par Piotr Moszynski

Article publié le 05/08/2009 Dernière mise à jour le 05/08/2009 à 17:26 TU

A l’approche de l’anniversaire de la guerre russo-géorgienne pour le contrôle de l’Ossétie du Sud, la tension monte de nouveau autour de cette province séparatiste pro-russe. Accusations de « provocations », menaces à peine voilées, avertissements et appels à la communauté internationale… Bref, une impression de déjà vu.

Le chef adjoint de l’état-major russe, Anatoli Nogovitsyne.(Photo : Reuters)

Le chef adjoint de l’état-major russe, Anatoli Nogovitsyne.
(Photo : Reuters)

Souvenons-nous. Il y a un peu plus d’un an, fin avril 2008, Moscou évoque d’hypothétiques intentions belliqueuses de la Géorgie et prévient que « si une guerre est déclenchée », les Russes « devront défendre leurs compatriotes, au besoin par des moyens militaires ». Tbilissi prend ces déclarations pour « une menace directe d’agression ». Le « ministre des Affaires étrangères » de l’Abkhazie s’empresse de devancer les souhaits de ses amis de Moscou, mis en œuvre un peu plus tard, en déclarant cette province géorgienne séparatiste prête à devenir un « protectorat militaire » russe et à accueillir des bases russes sur son sol.

« Il existe un risque »

Regardons les dépêches des agences de presse de ces derniers jours. Le chef adjoint de l’état-major russe Anatoli Nogovitsyne déclare ce mercredi : « Nous voyons clairement que la Géorgie se réarme. L’expérience montre que s’ils se réarment, ils le font dans l’objectif d’une agression. (…) S’il y a une agression, notre réponse sera adéquate ». Sur le terrain, des deux côtés de la « frontière » entre la Géorgie et sa province séparatiste pro-russe Ossétie du Sud, Russes et Géorgiens s’accusent mutuellement de « provocations ». Les Russes auraient déplacé un poste frontière ossète en défaveur de la Géorgie… Les Géorgiens auraient tiré au mortier sur la capitale ossète Tskhinvali…

Le président géorgien Mikheïl Saakachvili prévient qu’« il existe un risque » de reprise du conflit armé. « Les Russes – déclare-t-il sur la radio française RTL – exercent une pression constante. Leurs dernières manœuvres sont préoccupantes, ils refusent de répondre aux appels des observateurs européens, et malheureusement les médias à Moscou annoncent une situation de conflit imminente ». Le « président » de l’Ossétie du Sud, Edouard Kokoïty, s’empresse de devancer les décisions éventuelles de ses amis de Moscou en annonçant que l’armée russe va procéder à des exercices de sécurité « préventifs » dans la province. Les Russes lui opposent juste un timide démenti officieux et indirect : l’agence Itar-Tass cite une source au ministère de la Défense, selon laquelle « aucun exercice d’envergure avec la base russe déployée en Ossétie du Sud n’est prévu ».

Leçons du passé

La guerre de mots, la guerre de nerfs repart donc de plus belle, selon le même schéma et dans les termes presque identiques qu’il y a un peu plus d’un an. En l’observant à l’époque de loin, de l’Occident, nous avions tous tendance à ne s’attendre, au pire, qu’à une série d’escarmouches locales entre les Géorgiens et les Ossètes. En effet, personne ne semblait avoir un réel intérêt à déclencher une véritable guerre. Et pourtant, elle a bien éclaté. Les Géorgiens se sont laissés provoquer, en pensant naïvement qu’ils pouvaient compter sur le soutien militaire occidental en général, et américain en particulier. Ils en ont payé un prix très lourd sur le plan militaire et politique. En principe, les leçons tirées de cette expérience devraient leur éviter de commettre les mêmes erreurs d’appréciation. Face aux Abkhazes et Ossètes appuyés par une armée russe suréquipée, ils n’ont aucune chance de gagner. Et ils savent maintenant mieux que personne que les Américains n’iront pas, pour les soutenir, jusqu’à risquer un affrontement direct de leurs soldats avec les Russes. C’est pour cela que les accusations russes sur les prétendus préparatifs géorgiens à attaquer les séparatistes paraissent assez peu crédibles.

Il y a un an, les soupçons sur une possible attaque russe, proférés par les Géorgiens, ne semblaient guère plus convaincants. En effet, pensait-on, une telle attaque pourrait déclencher une riposte douloureuse. L’armée géorgienne, remodelée et modernisée par les Américains, n’était plus perçue comme les soldats mal fagotés et munis d’équipements vieillissants hérités de l’ère soviétique, que les Abkhazes ont combattus en 1992. Aujourd’hui, tout le monde sait – et les Russes les premiers – que, malgré l’aide américaine, la Géorgie ne dispose pas de potentiel militaire suffisant pour pouvoir s’opposer toute seule à la puissance de feu de l’armée russe.

Freins renforcés, freins affaiblis

A l’époque, on pensait également que la Russie allait se garder de se laisser entraîner dans un conflit armé avec un petit pays comme la Géorgie, pour ne pas risquer d’apparaître ainsi comme l’agresseur et – contrairement à ses intérêts politiques prioritaires – faire accélérer l’entrée de la Géorgie à l’OTAN. Aujourd’hui, tout le monde sait – et les Russes les premiers – qu’en attaquant la Géorgie, Moscou a obtenu l’effet exactement inverse.

Autrement dit, presque tout ce qui a pu être considéré il y a un an comme un frein à l’aventurisme présumé de Mikheïl Saakachvili, se trouve aujourd’hui très sérieusement renforcé. En revanche, tout ce qui a pu être considéré à l’époque comme un frein aux ambitions présumées de la Russie de rétablir sa zone d’influence dans le Caucase, se trouve aujourd’hui très sérieusement affaibli. Avec un facteur aggravant : le Kremlin a juré d’avoir la tête de Saakachvili, qui, selon la fameuse phrase particulièrement élégante et poétique de Vladimir Poutine, mériterait d’être « pendu par les couilles ». Y aura-t-il, comme en août 2008, de suites militaires à cette constatation ? Personne ne le souhaite, mais tout le monde le craint.