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Somalie / Etats-Unis

Raid américain en Somalie

par Sylvain Biville

Article publié le 15/09/2009 Dernière mise à jour le 15/09/2009 à 20:26 TU

L’armée américaine a tué lundi l’un des responsables d’al-Qaïda lors d’un raid aérien dans le sud de la Somalie. Le Kényan Saleh Ali Saleh Nabhan était l'un des hommes les plus recherchés par le FBI, pour son rôle présumé dans l’attentat de 2002 contre un hôtel, sur la côte kényane, fréquenté par des Israéliens. En Somalie, les islamistes radicaux ont promis de « venger » la mort.

Saleh Ali Saleh Nabhan, sur une photo diffusée par la police kényane en décembre 2002.(Photo : AFP)

Saleh Ali Saleh Nabhan, sur une photo diffusée par la police kényane en décembre 2002.
(Photo : AFP)

Saleh Ali Saleh Nabhan était considéré par Washington comme l'un des principaux dirigeants d'al-Qaïda en Afrique de l'Est. La fiche d'information du FBI, présente ce Kényan d'origine yéménite, âgé de 30 ans, comme un homme « dangereux ». Il est soupçonné d'avoir fomenté l'attentat au camion piégé qui avait fait 15 morts, en 2002, dans un hôtel de la côte kényane fréquenté par des touristes israéliens. Le même jour, des missiles avaient été tirés contre un avion de la compagnie israélienne El Al, sans atteindre leur cible.

La mort de Saleh Ali Saleh Nabhan, annoncée par un officiel somalien à Mogadiscio, n’a pas été confirmée par le Pentagone, traditionnellement très discret sur ses activités en Somalie. Mais la très vive réaction des islamistes radicaux somaliens shebab, qui ont menacé mardi de « venger » sa mort semble confirmer sa disparition. « Ceux qui meurent pendant le mois saint du ramadan pour la gloire d'Allah valent beaucoup plus que ceux qui sont encore en vie », a déclaré à l'AFP un dirigeant de la milice, en faisant du terroriste présumé un martyr.

Opération commando héliportée

La Somalie et Mogadiscio, sa capitale.(Carte : DK/RFI)

La Somalie et Mogadiscio, sa capitale.
(Carte : DK/RFI)

Cela fait des mois que l'armée américaine suivait à la trace Saleh Ali Saleh Nabhan. L'opération-commando au cours de laquelle il a été assassiné, a eu lieu en plein jour, lundi à la mi-journée, dans un village de la côte sud de la Somalie. Elle a été menée par les forces spéciales du Pentagone, une unité d’élite, arrivée à bord d’au moins quatre hélicoptères, selon des témoins visuels de la scène, en provenance d'un navire de guerre américain stationné dans la région. Les soldats américains ont pris pour cible un convoi de deux véhicules à bord desquels se trouvait, notamment, Saleh Ali Saleh Nabhan, dans une zone du pays qui est totalement contrôlée par les milices radicales « shebab », que les Etats-Unis accusent d’être liées à Al-Qaïda. Une fois les véhicules neutralisés, les hélicoptères américains ont atterri pour récupérer les corps des personnes tuées, ainsi que, semble-t-il, d’autres passagers blessés.

Ce n'est pas la première fois que l'armée américaine frappe en Somalie. Chaque opération est menée dans le plus grand secret et, cette fois encore, le Pentagone s’est montré avare de détails. Depuis trois ans, les Etats-Unis ont mené au moins une demi-douzaine de missions en Somalie. La première a eu lieu en décembre 2006, dans la foulée de l'invasion éthiopienne. Elle visait les auteurs présumés des attentats du 7 août 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi, au Kenya et de Dar-es-Salam, en Tanzanie, qui avaient fait 218 victimes. Ces attaques sont considérées comme le « baptême du feu » d’al-Qaïda, le réseau terroriste d’Oussama ben Laden, plus de trois ans avant les attentats du 11 septembre 2001.

Changement de stratégie

Depuis 2006, l'armée américaine, encore traumatisée par son intervention calamiteuse de 1994 en Somalie, privilégiait les frappes à distance, par l’intermédiaire d’avions de chasse ou de missiles de longue portée de style Tomahawk, lancés depuis la haute mer. C’est lors de bombardements de ce type, peu regardants sur les « dégâts colatéraux », qu’ont été éliminés, en décembre 2006, le Soudanais Tariq Abdullah, alias Abu Taha al-Sudani, l’artificier présumé d’al-Qaïda, ou encore, en mai 2008, le Somalien Aden Hashi Ayro, chef des milices « shebab », formé en Afghanistan. L’opération commando menée contre Saleh Ali Saleh Nabhan est d’une toute autre nature : plus ciblée, elle a été conduite avec la participation d'hommes au sol. Cela indique peut-être un changement de stratégie de la part de Washington, soucieux de limiter le nombre de victimes civiles.

Dans les milieux du renseignement, la mort de Saleh Ali Saleh Nabhan est présentée comme un succès important pour les Etats-Unis, qui redoutent que la Somalie ne devienne un nouveau sanctuaire pour al-Qaïda, comme l’avait été l’Afghanistan dans les années 1990. Mais l'homme le plus recherché par Washington en Somalie court toujours : il s'agit du Comorien Fazul Abdullah Mohamed, considéré comme le véritable chef d'al-Qaïda en Afrique de l'Est.

Saleh Ali Saleh Nabhan : un lien entre les islamistes somaliens et al-Qaïda

Trois questions à Peter Pham, spécialiste américain de la Somalie à l’Université James Madison, à Harrisonburg en Virginie.

RFI : Pourquoi Saleh Ali Saleh Nabhan se trouvait-il dans le sud de la Somalie ?

Peter Pham : C’est là qu’il avait trouvé refuge depuis 2002, après l’attentat contre un hôtel israélien à Mombasa et la tentative d’attentat contre un avion israélien. Il se cachait au sein de la milice « shebab », pour laquelle il assurait le contact avec des éléments terroristes en Arabie Saoudite et au Pakistan, où il avait reçu un entraînement militaire dans des camps d’al-Qaïda. Au moment où il a été tué, il était en charge de coordonner le travail des combattants étrangers venus assurer l’entraînement des « shebab » en Somalie.

 RFI : Son rôle témoigne-t-il de liens croissants entre « shebab » et al-Qaïda ?

Pour de nombreux analystes, dont je fais partie, Ali Saleh Nabhan est la preuve du lien idéologique et opérationnel entre les islamistes radicaux somaliens et des terroristes étrangers. Le message des « shebab », qui ont promis de venger sa mort, confirme le rôle clé qu’il jouait. Cet homme était recherché par les Américains depuis plus de dix ans, à la fois parce qu’il contribuait à l'implantation d'al-Qaïda en Afrique de l'Est, et aussi pour des actes bien précis. Par exemple, cette année nous avons vu qu'un kamikaze s'est fait exploser au Yémen, après avoir été entraîné dans des camps qui étaient tenus par cet homme. Il a donc été éliminé autant pour les actes qu'il a commis par le passé que pour ses dernières activités en Somalie. Il était sous surveillance depuis un moment et l'attaque a été déclenchée à un moment opportun où il était isolé et alors que son élimination ne risquait pas de provoquer la mort de civils innocents.

RFI : Les Etats-Unis pourraient-il accroître leurs opérations en Somalie parce qu’ils considèrent le pays comme un sanctuaire pour al-Qaïda ?

Non, je pense que les opérations américaines resteront limitées à des cas extrêmes de cibles de grande valeur. Les conséquences de la mort de M. Nabhan vont bien au-delà de sa personne. C’est le lien opérationnel avec les islamistes radicaux à l’étranger qui est touché. Ce n’est que dans ces cas exceptionnels que sont justifiés, pour les Etats-Unis, le coût et l’investissement humain dans la surveillance et le renseignement que représente une telle opération.

Propos recueillis par Alexandra Brangeon