Article publié le 29/09/2009 Dernière mise à jour le 07/10/2009 à 16:21 TU
Le capitaine Dadis Camara, évoque sur RFI, une armée incontrôlable, et il se demande si un civil élu serait capable, justement, de contrôler cette armée… « C’est la première fois que la junte militaire guinéenne réprime dans le sang une manifestation d’opposants depuis son arrivée au pouvoir il y a neuf mois ». Parvenu au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat, Moussa Dadis Camara apparaît aujourd’hui de plus en plus isolé. Le chef de la junte guinéenne répond aux questions de Christophe Boisbouvier de RFI.
Moussa Dadis Camara : Les leaders politiques avaient fait un programme de manifestations et ils ont jugé nécessaire d'en fixer la date au 28 septembre. On ne peut pas falsifier une journée historique. Le 28 septembre est la date du référendum qui a conduit notre pays à l’indépendance. Ce jour du 28 septembre, c’était une journée de recueillement. Et le 29, il devait y avoir cette manifestation mais ils ont jugé nécessaire de manifester le 28 septembre.
Donc, le matin à 10 heures, on commence à comprendre qu’il y a déjà une marche et que les commissariats ont été saccagés. Ils ont pris des armes, et donc les gens ont continué en direction du stade du 28-Septembre. Moi-même je n’étais pas sur le terrain… Les hommes ont, semble-t-il, défoncé le portail du grand stade, ils sont rentrés et cela a attiré l’attention des sympathisants du CNDD (Centre national pour la démoratie et le développement), qui sont d’ailleurs mes sympathisants. Ils ont été alertés.
Et quand ils sont rentrés dans le stade il y a eu - finalement – accrochage. Donc, je crois qu’il y a eu certainement des bousculades, et on m’a dit que le stade était vraiment perturbé.
RFI : Vous dites que tout cela est survenu à cause d’une bousculade au stade, mais d’après de très nombreux témoignages, beaucoup de gens, plusieurs dizaines de personnes ont été tuées par des tirs à balles réelles de la part de vos hommes, de la part des Bérets rouges…
Moussa Dadis Camara : Moi-même je n’étais pas au stade. On m’a dit qu’il y avait des bousculades et on m’a dit également qu’il y a eu des tirs et que les gens avaient pris des armes au niveau du commissariat de police. Donc, dans cette marée humaine, il y a eu des tirs... Mais qui aurait tiré ? Point d’interrogation ! Mon plus grand souci était d’abord de savoir combien de personnes ont été blessées et aussi quelles sont celles qui ont perdu leur vie.
RFI : On parle de plusieurs dizaines de cadavres, qui sont à la morgue aujourd’hui…
Moussa Dadis Camara : J’attends, effectivement, qu’on me donne la vraie statistique de ceux-là, ce cas malheureux… c’est vraiment triste ! Effectivement, il y a eu des morts. Mais la statistique… le nombre, je ne l’ai pas encore eu par rapport à ce cas très malheureux. Mais très franchement parlant, je suis très désolé, je suis très désolé…
RFI : Il y a de nombreux témoignages qui parlent de femmes qui ont été déshabillées et violentées, avec le canon des fusils des militaires. Il y a aussi des témoignages qui disent que les militaires ramassent les corps à la morgue, pour éviter que l’on fasse un comptage des victimes…
Moussa Dadis Camara : Si au moins j’avais été sur le terrain, si on m’avait permis… Et là, vous pouvez demander, quand j’ai appris qu’il y avait des accrochages partout, je me suis dit : si j’étais sur le terrain, j’aurais peut-être demandé si effectivement les militaires avaient les armes. Parce que moi, je suis habitué à cela...
Toutes les fois que les militaires venaient avec les armes, moi-même je leur disais : si vous voulez renverser le général Lansana Conté en passant par l’humiliation ou en essayant de faire du mal aux généraux, je demande que vous me fusilliez.
Donc, je suis resté dans mon bureau. Du bureau, mettez-vous à ma place, je ne suis pas vraiment un sorcier pour savoir. En toute sincérité, comment ces événements se sont passés ? J’ai le compte-rendu qu’on vient de me faire. Compte-rendu faux ou vrai ? Je suis dans un dilemme !
J’ai dit que c’est un cas très malheureux mais j’ai dit aussi que j’avais une armée, une armée qui est patriote, mais où les droits ont été bafoués et pour laquelle on demande une restructuration.
Il s'agit donc d'un mouvement incontrôlé, même le chef de l’Etat ne peut pas contrôler ce mouvement. Et c’est pour cette raison, d’ailleurs, que je ne sais pas encore dit si je serais candidat. Parce que je sers ce peuple. On ne peut plus commander dans la dictature.
Et donc aujourd’hui je suis dans un dilemme. Dire aujourd’hui même… faire une déclaration à cette population pour dire : je ne suis pas candidat… je ne serai pas candidat… --- je ne sais pas ce qui va arriver. Demain je peux être condamné. Par conséquent, je suis dans un dilemme.
RFI : Justement, les manifestants de ce lundi vous demandent de quitter le pouvoir. Est-ce que vous les écouterez et est-ce que vous tiendrez votre promesse de décembre dernier, c'est-à-dire de rentrer dans votre caserne et de ne pas vous présenter à la prochaine présidentielle ?
Moussa Dadis Camara : Une partie veut du président Dadis, une autre partie a d'autres sympathies. Et c’est cela la démocratie. Donc, cette question est bel et bien venue et je vais même convoquer les coordinations régionales. Les religieux, les prêtres, les musulmans... Qu’ils viennent accompagnés de la presse internationale.
Je vais même organiser un programme de sortie à l’intérieur (du pays). Les 33 préfectures, en une semaine ou en deux semaines. Je vais inviter tous ceux qui ne veulent pas du président Dadis et tous ceux qui veulent que le président Dadis soit candidat et ainsi faire un dialogue…
RFI : Donc vous voulez faire une consultation nationale ?
Moussa Dadis Camara : Le contact va être direct avec la population de l’intérieur. Pas seulement la capitale. Parce que la capitale en elle-même ne peut pas constituer la nation. »
RFI : Et c’est après cette consultation que vous déciderez d’être candidat ou pas ?
Moussa Dadis Camara : Après cette consultation, ça va nous donner des leçons. Je pourrai, effectivement, à travers cette consultation… Vous-même, je crois que vous allez être éclairé.
RFI : Dans la répression de ce lundi, deux chefs de l’opposition, Seyllou Dalein Diallo et Sydia Touré, ont été blessés et arrêtés. Que sont-ils devenus ?
Moussa Dadis Camara : D’abord, c’est moi qui me suis renseigné à leur sujet. J'ai demandé à ce qu'ils ne soient pas envoyés à la gendarmerie ou à la police. Je les ai envoyés dans l’une des meilleures cliniques. Et je suis même en train de m'informer sur leur état.
D’abord, j’avais la plus grande inquiétude. Et quand on m’a dit que non, que quelqu'un a été bastonné. J’ai demandé immédiatement de les envoyer à la clinique Pasteur.
RFI : Est-ce que ces opposants pourront sortir librement de cette clinique ?
Moussa Dadis Camara : Ils sortiront librement de cette clinique ! J’ai toujours œuvré à ça ! C’est un incident malheureux ! Je suis très navré !
RFI : Est-ce que les journalistes pourront continuer à travailler librement ?
Moussa Dadis Camara : Les journalistes… ils sont en train de travailler librement. Et vous savez, je pourrais aujourd’hui dire : puisqu’on est dans cette situation, fermez les radios. Mais je m’y suis refusé de le faire.
RFI : Mais franchement, après ce drame, après ce bain de sang, vous avez envie de rester ou vous avez envie de partir ?
Moussa Dadis Camara : Vous savez… je vais vous dire, avec le pouvoir, à des moments donnés, vous n’êtes plus responsable de vous-même. Vous êtes pris par une partie du peuple. Si je devais quitter, ce serait pour aller dans une institution internationale, y prendre une responsabilité… au sein des institutions internationales.
Parce que si je devais quitter le pouvoir, je ne pourrais plus rester dans l’armée… je serais très incombrant ! Si je laisse une bonne fois… C’est pourquoi après la prise du pouvoir je n’ai pas prétendu faire des voyages à l’extérieur. Je refuse de m’habituer à une vie ostentatoire pour ne pas avoir de regrets.
Aujourd’hui je n’ai pas encore déclaré si je dois être candidat. Je suis dans un dilemme. Est-ce qu'un civil pourra gérer les militaires dans une armée qui n’est pas structurée ? Je suis dans un dilemme.
RFI : Est-ce que vous ne craignez pas qu’on dise aujourd’hui que Moussa Dadis Camara a du sang sur les mains ?
Moussa Dadis Camara : Non, je ne le crains pas parce que cet accrochage n’est pas venu de moi ! Voilà, j’ai cette probité morale ! »
Un entretien réalisé par Christophe Boisbouvier
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