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Etats-Unis

«Torture made in USA», ou comment la torture a été légalisée sous George W. Bush

par Véronique Gaymard

Article publié le 19/10/2009 Dernière mise à jour le 20/10/2009 à 09:40 TU

Le film d’investigation Torture made in USA de Marie-Monique Robin sort ce lundi en première diffusion sur Internet. Il montre comment la torture est devenue un instrument de la politique américaine dans sa lutte contre le terrorisme, tout en posant la question de la responsabilité des hauts responsables de l’administration Bush et de leur poursuite pour « crimes de guerre ». Torture made in USA est soutenu par Amnesty International, Human Rights Watch et l'ACAT, l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture.

Marie-Monique Robin, réalisatrice du filme d'investigation <i>Torture made in USA</i>.(Photo : DR)

Marie-Monique Robin, réalisatrice du filme d'investigation Torture made in USA.
(Photo : DR)

Première diffusion sur Internet

Torture made in USA un documentaire d’investigation, sort ce lundi sur le site de Mediapart, en accès libre pendant deux mois. La réalisatrice, Marie-Monique Robin, prix Albert Londres 1995, auteure duMonde selon Monsanto qui a fait le tour de la planète, avait déjà réalisé en 2003 un documentaire intitulé Escadrons de la mort, l’école française. Ce dernier travail d’investigation Torture made in USA en est une continuité. Marie-Monique Robin a construit son film en alternant entre les archives et des entretiens de grande qualité. Ce documentaire n’a malheureusement pas vu le jour sur la chaîne de télévision Canal Plus où il aurait dû être diffusé en novembre dernier. Il était resté dans un tiroir, le coût exorbitant des archives ayant été sous-estimé par la société de production. Il y aura donc une diffusion Internet avant la télévision, c'est une première : le film sera en accès libre sur le site de Mediapart pendant deux mois.

Les commissions du Sénat

Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat américain à la Défense.(Photo : DR)

Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat américain à la Défense.
(Photo : DR)

Alors que le débat sur la torture se poursuit aux Etats-Unis, ce film a une vertu pédagogique indéniable. Il met en perspective d’une part tous les discours des hauts responsables politiques américains depuis les attentats du 11 septembre 2001, date du changement radical d'attitude des Etats-Unis, et d’autre part toutes les déclarations des personnes auditionnées par les commissions d'enquête du sénat. Ces commissions ont été créées suite aux scandales révélés par les photos d’Abou Ghraib. L'un des plus hauts responsables du gouvernement Bush auditionné par le Sénat a été le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld. Il nie en bloc toute implication du gouvernement.

Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la Défense auditionné par la Commission du Sénat

« Je voudrais savoir, M. le secrétaire, si un seul des abus commis en Irak a été encouragé, admis ou permis par le règlement ou la politique du département de la Défense ? »

19/10/2009 par Véronique Gaymard

La légalisation de la torture

Le lien entre les discours, les auditions, et les interviews qu'a réalisés Marie-Monique permet de comprendre les mécanismes mis en place de la légalisation de la torture.

Marie-Monique Robin sur les révélations à Abou Ghraib

« C’est à partir du moment où les photos d’Abou Ghraib vont sortir (…), où on va entendre M. Rumsfeld dire dans la première audition : « Je ne savais pas, je suis désolé » ; mais il ment. »

19/10/2009 par Véronique Gaymard

Parmi ces archives utilisées dans le film Torture made in USA, Marie-Monique Robin a placé dès le début de son documentaire la conférence de presse qu'a tenue George W. Bush à Camp David, quatre jours après les attentats du 11 septembre 2001.

« Nous trouverons ceux qui ont fait ça, nous les tirerons de leurs trous, nous les ferons détaler... et nous les mènerons devant la justice. L'administration ne dira pas comment elle obtient ses renseignements, ni ce qu'elle a l'intention de faire, ni quels sont ses plans. Les Etats-Unis sont prêts à tout pour gagner cette guerre. »

Dans les ténèbres du renseignement

Marie-Monique Robin enchaîne dans son documentaire sur une interview du vice-président des Etats-Unis, Dick Cheney, qu’il a donnée sur la chaîne de télévision NBC, et qui va passer inaperçue dans l'émotion de l'après 11-septembre.

« Nous devons agir dans l'ombre pour ainsi dire, nous devons passer du temps dans les ténèbres du renseignement, là où se passent des affaires louches, dangereuses et sales. Pour cela nous devons libérer de toute contrainte les services de renseignement pour qu'ils puissent conduire leur mission. »

La peur dans les rangs républicains

Janis Karpinski, commandant des prisons en Irak 2003 - 2004.(Photo : DR)

Janis Karpinski, commandant des prisons en Irak 2003 - 2004.
(Photo : DR)

Personne parmi les députés républicains ne s’oppose ouvertement à la pente dangereuse vers laquelle les hauts responsables américains de l’administration Bush est en train de glisser. Certaines voix chuchotent, font sortir des mémos compromettants, c’est ce qui rassure Marie-Monique Robin. Le général Janis Karpinski, commandant des prisons en Irak entre 2003 et 2004, au moment où éclate le scandale des photos d’Abou Ghraib, explique bien la façon dont cette peur a été exploitée au sein même de l’administration.

Le général Janis Karpinski

« Nous étions très vulnérables ; les Américains avaient peur. Comment est-ce arrivé ? Et voilà que le vice-président des Etats-Unis tire parti de cette inquiétude et exploite notre vulnérabilité. »

19/10/2009 par Véronique Gaymard

SERE, un programme de survie retourné contre les prisonniers

C’est notamment l'utilisation d'un manuel de survie appelé S.E.R.E, qui signifie « Survival Evasion Resistance and Escape » (survie, évasion résistance et fuite) qui sera utilisé comme un manuel de torture contre les prisonniers. Ce manuel a été rédigé après la guerre de Corée, alors que les prisonniers américains se laissaient mourir suite aux tortures et aux interrogatoires perpétrés par la partie adverse. L’armée a décidé de réaliser un manuel à destination des officiers, afin de les former à résister à ces formes de torture : positions de stress, bruit, variation extrême de température, nudité, waterboarding, c’est-à-dire le supplice dit de la baignoire, ainsi que la présence de chiens pour exploiter la peur. Mais toutes ces techniques de torture auxquelles les soldats américains devaient apprendre à résister dans le programme S.E.R.E. seront exploitées pour extorquer du renseignement.

Témoignage du général Ricardo Sanchez : « oui, on a torturé »

L’un des témoignages les plus forts dans le documentaire de Marie-Monique Robin est indéniablement celui du général Ricardo Sanchez, l'ancien chef des forces de la coalition en Irak qui s'exprimait pour la première fois devant une caméra.

Le général Ricardo Sanchez, sur les tortures

« Je reconnais très clairement que nous avons torturé, que nous avons maltraité des gens. Cela restera à jamais une défaite stratégique pour notre pays. »

19/10/2009 par Véronique Gaymard

Les responsables de crimes de guerre n’ont toujours pas été inquiétés

La torture a été légalisée grâce à un corps de juristes rattachés au plus haut niveau de l’administration Bush. Selon le général Ricardo Sanchez, des crimes de guerre ont bien été commis, mais les responsables de ces crimes ne sont pas inquiétés.

Le général Ricardo Sanchez, sur les crimes de guerre

« Il n’y a aucun doute, nous avons commis des crimes de guerre. A ce jour, ceux qui nous ont conduits sur cette pente sinistre n’ont toujours pas rendu de comptes. »

19/10/2009 par Véronique Gaymard

La torture sur le terrain, encore aujourd’hui

Aujourd'hui, après l'élection du président Barack Obama, la torture a été définitivement interdite dans l'armée américaine, par décret présidentiel. C’est la première action réalisée par le président américain. Il a promulgué un décret mettant fin aux pratiques de torture, à l'utilisation de prisons secrètes de la CIA. Le président américain a ordonné la mise en place d'un groupe de travail inter-agences, pour évaluer les pratiques d'interrogatoire du manuel de terrain de l'armée, et appelé à la fermeture du centre de détention de Guantanamo.

Mais selon Marc Zarrouati, président d'honneur de l'ACAT France, l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, qui a soutenu le film de Marie-Monique Robin, la réalité sur le terrain est loin d’être exemplaire.

Marc Zarrouati, président d’honneur de l’ACAT, Action des chrétiens pour l'abolition de la torture

« Il y a un certain nombre de bases américaines où se pratiquent encore des tortures. »

19/10/2009 par Véronique Gaymard

Torture made in USA sur le site www.mediapart.fr

Le documentaire de Marie-Monique Robin, Torture made in USA, d'une durée de 85 minutes est en accès libre sur www.mediapart.fr pendant deux mois à compter de ce lundi.