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Télévision

Racisme : la télé aime le blanc

La télé est-elle le miroir de la société ? Pas vraiment. Que ce soit aux Etats-Unis ou en France, on peut constater que les programmes, fictions en tête, ne donnent pas toujours une image très réaliste de l'importance des minorités ethniques.
Aux Etats-Unis, les associations anti-racistes n'y vont pas par quatre chemins. Que les grands networks proposent une grille de programmes un peu trop «blanche» à leur goût et elles montent au créneau avec leurs avocats, argumentent autour des quotas à respecter, menacent de procès et de boycottages. C'est ce qui s'est passé récemment lorsque certaines d'entre elles, notamment la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), ont constaté que sur les 26 séries présentées par les quatre grandes chaînes hertziennes (ABC,CBS, NBC, Fox) à la rentrée 1999, on ne dénombrait quasiment aucun personnage de premier ou second plan pour les acteurs issus des minorités ethniques. Résultat : les scénarios ont été remaniés pour faire place à plus de diversité et calmer la colère des associations. Malgré cet effort, un phénomène a été constaté par plusieurs études : le fossé se creuse sur les chaînes généralistes entre le «bon public» (la jeune classe moyenne blanche) que l'on chouchoute et le reste de la population dont les attentes sont largement moins prises en compte.
Les chaînes, pour séduire les annonceurs publicitaires, ciblent leurs séries et sitcoms sur des niches de publics de consommateurs potentiels. Pour plaire au plus grand nombre (la population blanche représente encore plus des deux tiers de l'audience), elles délaissent tous les autres. Le monde télévisuel est fait, sur les grandes chaînes hertziennes, pour les Blancs et par les Blancs : chez les scénaristes aussi, les minorités ethniques sont sous-représentées. Les Noirs, mais plus encore les Latinos et les Asiatiques, font les frais de cette injustice.

A chacun sa télé

D'un côté, les Blancs plébiscitent des séries comme Urgences (1er) et Friends (2ème) qui ne passionnent pas les Noirs (15ème et 88ème). De l'autre, les Noirs regardent le Steve Harvey Show que les Blancs ne connaissent même pas (127ème) (étude TN Media). Et sur les vingt programmes les plus appréciés, seuls quatre le sont par les deux communautés au premier rang desquels une émission sur le football américain. Le Cosby Show reste l'exception qui confirme la règle. Ce sitcom avait obtenu, dans les années 80, un très gros succès auprès de tous les publics en relatant les aventures d'une famille noire, drôle mais socialement correcte, avec un papa médecin et une maman avocate.

Depuis, la tendance est plus que jamais d'aller trouver sur les chaînes à péage spécialisées des programmes destinés au public noir (Black Entertainement Television) ou latino (KMEX) que les chaînes généralistes ne fournissent pas. Même si des séries au casting mixte (Urgences, par exemple) rencontrent un grand succès dans la population blanche, elles ne font pas autant d'audience dans les autres communautés qui ne s'y reconnaissent pas forcément. Avec le développement du câble, le mot d'ordre est de plus en plus à chacun sa télé, et tant pis pour le melting pot.

En France, la télévision est moins placée sous haute surveillance. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, en l'absence d'une législation, n'est que très peu amené à intervenir auprès des patrons de chaînes pour demander une meilleure représentation des «minorités ethniques» dans les programmes. Il ne reçoit d'ailleurs quasiment pas de demandes de la part des associations anti-racistes qui ne semblent pas encore très préoccupées par le problème. Seules quelques-unes, comme Action positive pour le progrès et le développement des Français d'origine africaine (APPD), font du lobbying. Noël Ngabissio, son président, explique : «On fait bien des feuilletons sur le Moyen Age en France mais pas sur la communauté noire aujourd'hui alors qu'elle a une culture à montrer. Les Noirs sont écartés de tout. Il faut tenir compte de notre existence, c'est comme cela que l'on effacera le racisme».

Halte aux clichés

Car c'est bien là un des enjeux principaux : tenir compte du rôle éducatif et fédérateur de la télévision, média de masse à responsabilité sociale. Pour Jérôme Bourdon, chercheur à l'Institut national de l'audiovisuel : «La fiction française reste singulièrement dominée par la classe moyenne blancheà L'idéologie de l'intégration interdit de trop insister sur la spécificité des cultures étrangères. Pour autant, l'on s'interroge sur la difficulté des scénaristes français à intégrer dans leurs récits des personnes d'origine étrangère, sans en faire ni des délinquants, ni des victimes, et en montrant simplement leur vie quotidienne.» (1)

En effet, dans de nombreuses séries françaises, les acteurs noirs ou d'origine maghrébine ne trouvent que des emplois stéréotypés : le jeune beur délinquant, la femme de ménage africaine, l'inspecteur de service. Même si dans plusieurs feuilletons (Navarro, Julie Lescaut, L'instit), les scénaristes se préoccupent de défendre régulièrement des thèses anti-racistes. Noël Ngabissio réagit face à cette abondance de clichés : «Il y a eu un progrès dans les séries TV françaises, les acteurs d'origine africaine ne sont plus balayeurs, ils sont policiers ! Ces stéréotypes me font réagir. Il faut montrer la communauté noire sous l'angle valorisant, montrer comment elle vit aujourd'hui, pourquoi pas au travers d'une histoire d'amour».

Certains, pensent qu'il serait peut-être utile de légiférer et pourquoi pas d'en arriver au système des quotas à l'américaine. C'est l'avis de Noël Ngabissio : «On voit plus de Noirs à la télévision américaine qu'en France. Aux Etats-Unis, quand on est valable, on est valable. Il faut obtenir, en France, une égalité des chances. Mais cela ne peut passer que par une volonté politique».

(1) «Les étrangers au prime time, ou la télé est-elle xénophobe ?», Jérôme Bourdon, in Télés d'Europe et immigration, coordonné par Claire Frachon et Marion Vargaftig Documentaion française/INA, 1993.



par Valérie  Gas

Article publié le 15/11/1999