par Elisabeth Bouvet
Article publié le 28/09/2007 Dernière mise à jour le 28/09/2007 à 16:45 TU
Servante-esclave. « Moguedouchou. » 1882-1883 (Somalie).
Georges Révoil.
© BnF, département Cartes et plans.
Connaissance et découverte du monde, version sépia… Tel est le programme de la Bibliothèque nationale de France, à Paris qui expose actuellement quelques-unes des premières photographies de la vénérable Société de géographie fondée en France en 1821 et qui contribua, en participant au mouvement des grandes explorations de la seconde moitié du XIXe siècle, à faire découvrir les 5 continents. Paysages, peuples, architecture, botanique… Pas un domaine qui n’échappe à la sagacité de ses pionniers de la photographie. De ce point de vue, le catalogue de la Société de géographie constitue une source unique pour revivre l’histoire des expéditions ainsi que les mutations d’un monde en proie à l’industrialisation et même, en voie de disparition. Et c’est donc ce voyage, à rebours, que la BnF nous invite à refaire jusqu’au 16 décembre.
Ibsamboul, Colosse médial du spéos de Phré. 1850. (Abou Simbel)
Maxime Du Camp.
© BnF, département Cartes et plans, Société de géographie.
Quand la Société de géographie voit le jour en 1821, l’objectif défini par ses 217 fondateurs est on ne peut plus clair : il s’agit de concourir aux progrès de la géographie. Elle va, pour cela, encourager toutes sortes de missions exploratrices, bientôt épaulée dans sa quête effrénée de connaissances par un outil complètement révolutionnaire : la photographie. Oubliées, « les études selon nature », pas forcément des plus fiables. L’appareil photographique a pour lui de restituer fidèlement ce qu’il immortalise, et ainsi, de satisfaire pleinement les curiosités multiples. Bref, entre une Société qui cherche à repousser les frontières de l’inconnu et une technique qui ne demande qu’à se perfectionner, le dialogue s’avère vite fructueux. Et Olivier Loiseaux, le commissaire de l’exposition, de rappeler que « la plus ancienne photographie que l’on montre est signée Maxime Du Camp, elle date de 1850, il se trouve en Egypte et à cette date-là, on n’a pas encore découvert les sources du Nil ». L’Egypte mais aussi l’Alaska, le Cap-Horn, l’Amazonie, le Japon, l’Ouest américain… « L’exposition se découpe en 3 parties qui restituent chacune une manière de voir le monde. La première intitulée L’exploration du monde nous emmène effectivement sur tous les continents », explique Olivier Loiseaux.
Un regard émerveillé
Le visiteur a à peine entamé ce tour du monde qu’il est saisi par la qualité des clichés présentés. Des clichés qui reviennent pourtant de loin si l’on en juge par les conditions dans lesquelles ils furent pris. « Effectivement, la photographie d’exploration, c’est un métier assez éprouvant, confirme Olivier Loiseaux. Dans les milieux tropicaux, le photographe a évidemment des problèmes avec ses plaques de verre. Par exemple, dans l’exposition, on présente des images un tout petit peu pâlies de l’exposition Chaffanjon, sur l’Orénoque, en 1886. Or on sait que quand l’un des membres de l’expédition confiera ces photographies à la Société de géographie, il ira jusqu’à s’excuser qu’elles ne soient pas excellentes en raison de l’humidité qui régnait sur le fleuve ». Ce qui n’empêchera pas Jules Verne de s’inspirer de la personnalité de Jean Chaffanjon pour écrire en 1898, Le superbe Orénoque. On pourrait encore citer l’anecdote concernant le commandant Victor Deporter, en mission dans le Sud algérien, en plein cœur du Sahara et qui, lui aussi, sollicitera l’indulgence des membres de la Société de géographie devant la piètre qualité de ses travaux photographiques avant de promettre qu’il fera mieux la prochaine fois ! Et ainsi de suite car derrière chaque cliché, s’écrit une histoire.
A droite, jeune fille somali. A gauche, deux jeunes filles gallas. Vers 1888 (Ethiopie).
Edouard Joseph Bidault de Glatigné.
© BnF, département Cartes et plans, Société de géographie.
Il suffit, par exemple, de se placer devant les superbes photographies d’un certain Edouard-Joseph Bidault de Glatigné, prises à Harar, dans la Corne de l’Afrique, pour vouloir aussitôt en savoir plus sur lui : « On a assez peu d’informations sur ce descendant d’une vieille famille de la Mayenne. On sait qu’il a ouvert un studio photographique à Aden en 1878 et qu’il est resté presque dix ans dans la région. On sait aussi qu’il a rencontré le poète Arthur Rimbaud. En 1888, Rimbaud parle dans ses lettres d’un certain Bidault, qu’il décrit comme ‘un esprit rêveur qui passe ses journées en contemplation et à faire de la photographie’. Nous possédons une centaine de clichés de Bidault de Glatigné dont une vingtaine de portraits parmi les plus respectueux des populations photographiées ». Et parmi les plus réussis de l’exposition comme en témoigne ce cliché représentant 3 jeunes filles, l’une somali, les deux autres gallas, « une composition exemplaire, poursuit Olivier Loiseaux, avec notamment ces drapés à l’antique de toute beauté ». Même émotion, encore, devant ces photographies rapportées du Cap-Horn où les membres de la mission conduite par le capitaine de frégate Louis-Ferdinand Martial ont immortalisé quelques Fuégiens que l’on devine apeurés, fragiles. Images crépusculaires d’un monde effectivement en voie de disparition.
Un regard attentif
Regards sur un monde en changement est justement l’intitulé de la deuxième partie de l’exposition. « Car, précise son commissaire, si la Société de géographie s’intéresse à tous les projets d’exploration, elle est en même temps attentive aux profonds bouleversements que connaît le monde, sous toutes les latitudes ». Révolution industrielle, découverte de gisements de matières premières, développement des voies de transports, toutes ces mutations ont fait l’objet de précieux témoignages. L’Italien Giorgio Sommer est là pour rendre compte des transformations à pas de géant de la ville de Naples. A New York, August Loeffler photographie le chemin de fer aérien qui est construit dans Manhattan, jouant avec bonheur de ces lignes qui redessinent la physionomie de la ville. « On a vraiment des images d’une modernité incroyable, remarque Olivier Loiseaux. On sent que les perspectives nées de ces géométries industrielles les fascinent ».
At George's landing stage, Liverpool. Vers 1890.
J. Valentine and Sons
© BnF, département Cartes et plans, Société de géographie.
Même « hypnotisme » devant ce cliché de l’agence britannique Valentine & Sons pris vers 1890 à Liverpool, sur le vif : « On y voit le port de Liverpool en pleine effervescence avec son nouveau quai flottant installé vers 1847 et qui permet à des bateaux beaucoup plus nombreux d’accoster. Et ce qui est incroyable, c’est que le photographe a su saisir le ballet incessant des steamers dans l’estuaire et même jusqu’à l’agitation sur le quai », commente le commissaire de l’exposition avant d’indiquer que c’est également là, dans cette deuxième partie, que l’on se trouve « aux sources de certains usages de la photographie moderne quand celle-ci devient notamment promotionnelle. Dès cette époque, des compagnies ferroviaires américaines, par exemple, vont employer des grands noms de la photographie pour montrer les bienfaits de tous ces projets. Ce sera la même chose avec le canal de Panama ». L’exposition présente même un cas singulier « d’auto-promotion » avec l’industriel russe Dimitri Solomirsky, riche héritier d’un domaine industriel au cœur de l’Oural qu’il photographie lui-même pour mieux l’ériger en modèle de complexe minier. Un document rare, souligne Olivier loiseaux puisque « ce genre de reportage ‘moderne’ sur une installation industrielle n’existe nulle part ailleurs ». On l’aura compris, l’aspect documentaire n’est plus (seulement) l’enjeu. Ainsi encore du photographe Menzies Dickson qui décide de prendre une image toutes les 20 minutes de l’éruption, en novembre 1880, du volcan Mauna Loa, à Hawaï, introduisant du même coup une notion, un concept qui s'épanouira au siècle suivant : la série photographique.
Haut fourneau : usine Séverskoy. Domaine de Sysserte (Oural). Vers 1896.
Dimitri Solomirsky.
© BnF, département Cartes et plans, Société de géographie.
Un regard encyclopédique
Si certains photographes parviennent à se distinguer par la qualité de leur travail, l’ambition affichée par la Société de géographie et ses « émissaires » envoyés aux quatre coins du monde est bien celle de restituer l’immense diversité du monde. Cette passion pour l’inventaire, selon l’intitulé de la dernière partie de l’exposition, ne connaît effectivement aucune limite. « La Société de géographie s’intéresse à un panel très large de disciplines. Cela va de l’anthropologie à la botanique en passant par l’architecture, de la géologie à l’ethnologie en passant par l’économie. Et la photographie va justement renforcer ce souci de classement ». Et effectivement, l’œil du visiteur est comme happé dans un tourbillon et de thématiques et d’angles de vue : c’est Désiré Charnay qui tourne autour des temples du Yucatan pour en photographier toutes les façades, c’est Linnaeus Tripe qui part en Inde du Sud avec la mission de rapporter un inventaire complet de ses palais, c’est Felice Beato qui se prend de passion pour les paysages japonais, c’est Timothy O’Sullivan, entre autres, qui explore l’Ouest américain et ses canyons grandioses. Des sujets divers donc, des différences d’approche aussi qui vont, indique Olivier Loiseaux, « de la photographie de terrain à la photographie de salon. On passe ainsi des portraits profondément humanistes de Bidault en Ethiopie aux images des aborigènes exhibés au jardin d’acclimatation qu’a prises Bonaparte ». C’est sans doute dans cette diversité de regards que réside justement l’intérêt de revoir certains des trésors photographiques de la Société de géographie, illustrations effectivement de l’immense diversité du monde.